Cartouche
Enfant de la banlieue parisienne, d’origine algérienne, Farid Bendjafar s’est passionné très jeune pour la danse. Avant de se métamorphoser en humoriste.
Les journalistes aiment raconter des histoires. C’est bien connu. Avec Farid Bendjafar, alias Cartouche, les voilà servis. Il faut dire que, à 33 ans, l’ancien danseur professionnel converti au one man show a une vie déjà bien remplie. Et que son parcours tient du conte de fées, avec ses trémolos et son happy end. Autre fait bien connu : les médias ont la formule facile. Ils l’ont baptisé le « Billy Elliot du 93 ».
À l’image de ce gamin, héros du film de Stephen Daldry, le petit Farid a grandi dans une cité populaire, en Seine-Saint-Denis (93). Chaque samedi, il troquait les chaussures à crampons contre des chaussons de danse. Et transformait les passements de jambe en pas de bourrée et sauts de chat. À l’abri du regard de ses proches. « On m’a collé cette étiquette de Billy Elliot. Je ne la renie pas. Parce que son parcours, comme le mien, est encourageant : on peut réussir en partant de rien. Mais aussi parce que je partage avec ce personnage une vraie souffrance : celle engendrée par la sévérité d’un père et par la brutalité de tout un milieu. »
Le père de Farid ? Un Algérien venu en France pour travailler dans le bâtiment. Et qui a élevé ses six enfants à la dure, avant de rejoindre sa patrie natale. « Il n’aura jamais voulu venir me voir sur scène », regrette Cartouche. Impossible de lui avouer, à 8 ans, qu’il veut être artiste.
La danse, Farid Bendjafar l’a découverte un peu par hasard. En regardant une rediffusion de la fameuse émission Numéro un des époux Carpentier, il assiste ébahi à une représentation de Claude François. « Je voulais danser comme lui. Le samedi suivant, je me suis rendu au conservatoire de danse du Raincy. Je connaissais le bâtiment. Chaque fois que j’allais à Paris avec ma mère, je le voyais depuis le train. Il y avait un cours de classique. Le professeur, un Noir américain, m’a demandé ce que je voulais. Apprendre, lui ai-je répondu ! » Farid, un enfant « discret mais pas timide », a frappé à la bonne porte. Il découvre un univers bourgeois, élitiste, fait de silence et de rigueur. « J’ai débarqué en survêtement dans un monde de petites filles blanches, un monde qui m’ignorait et ne me saluait pas », raconte l’humoriste.
Les tempes légèrement grisonnantes, la voix charmeuse, Cartouche décrit le choc des cultures que le gosse de banlieue a plutôt bien vécu. « C’était le seul endroit où je pouvais être calme. Ce secret était l’unique chose que je possédais en propre. Il était inconcevable de le partager. » Suivent des années de dissimulation et de feintes : trouver une cachette pour les chaussons et les tenues de danse, continuer à jouer au foot pour ne pas éveiller les soupçons…
Sérieux, infatigable, doué, le jeune apprenti progresse vite. Et poursuit sa formation aux Studios Vartan, l’école que l’ancienne chanteuse yéyé a fondée en 1981. S’il a pu bénéficier d’un enseignement gratuit au conservatoire du Raincy, il n’en sera pas de même à Paris. Peu importe, Farid est prêt à tous les sacrifices. Comme une Cendrillon, il frotte le plancher et fait les vitres avant de se transformer, la cloche sonnant, en petit rat. Après un passage à l’école du mime Marceau, il est recruté par l’Opéra national de Marseille. À 20 ans, il se résout enfin à avouer sa passion à sa mère, qui lui donne sa bénédiction. Même si elle a vu le corps de son fils se modifier au fil des années, en bonne complice, elle fait semblant de n’avoir rien remarqué.
Mais, à Marseille, la partie est loin d’être gagnée. Les enseignants n’étaient pas des artistes « mais des fonctionnaires de la danse classique ». Pas assez passionnés à son goût. Mais, surtout, c’est la déconvenue : le jeune homme demande à Rudy Bryans, l’un des maîtres du classique, de le former. Ancien Prix Nijinsky et danseur étoile de Roland Petit, Rudy Bryans est l’un des enseignants les plus appréciés. Son jugement est important. Las, il sera sans pitié : il faut tout reprendre, même les bases ! « Rudy est le seul à s’être aperçu qu’à cause de ma cambrure naturelle, propre aux Africains, j’étais quelque peu déséquilibré. Mes sauts, mes trajectoires n’étaient pas parfaits. Il m’a obligé à suivre les cours des enfants de 5 ans. Je me suis de nouveau retrouvé le seul Arabe au milieu de fillettes blanches ! Rudy m’appelait “l’exotique”. » De quoi apprendre l’humilité.
Même s’il sait qu’on ne lui demandera jamais d’interpréter Roméo, Farid Bendjafar intègre un temps la compagnie Béjart. « Mais il me manquait quelque chose. J’ai toujours voulu danser, mais pas forcément être un danseur. Ce que je désirais au plus profond : être un artiste, faire rire les gens, tourner au cinéma… J’admirais Farid Chopel, Smaïn. J’essayais de me convaincre que leur talent était à ma portée, parce que je possédais une chose qu’ils n’avaient pas : la danse.
Pas facile pourtant de faire le saut. Le bouddhisme lui apportera la confiance nécessaire. « On m’a demandé de danser pour la venue en France de maître Ikeda. Lors de la soirée, il explique qu’il y a des moments où il est nécessaire d’attendre et d’autres où l’action est primordiale. Je me suis lancé ! » Et il s’est converti au bouddhisme : « Une religion sans dieu, la seule à n’avoir jamais mené de guerre en son nom. »
Farid prend des cours de théâtre, d’improvisation et devient Cartouche, du nom de ce Robin des Bois français du XVIIIe siècle qui détroussait les nantis pour donner aux plus pauvres. En 2000, il joue en première partie du spectacle de Dieudonné au Casino de Paris. Trois ans plus tard, il présente un nouveau spectacle. Inspiré de ses déboires amoureux et de son ancienne vie de danseur, ce one man show est mis en scène par les trublions Kad et Olivier. Marie-Claude Pietragalla, « la plus grande danseuse et chorégraphe au monde », lui chorégraphie un numéro. Il remporte enfin le succès escompté. Une véritable complicité se noue avec l’ancienne directrice du Ballet national de Marseille. En 2007, Pietragalla, qui met en scène son nouveau spectacle, dit de lui que « c’est un sublime mélange de force et de fragilité », « un homme-enfant avec une personnalité à la fois douce et très affirmée ».
Un homme-enfant qui se donne les moyens de réaliser ses rêves et de devenir acteur. On le retrouve, entre autres, à l’affiche de Podium, de Yann Moix (2003), et de Michou d’Auber, de Thomas Gilou (2007). Hélas pas (encore) de grands rôles. « En France, ce n’est pas possible de percer quand on est arabe. Le monde du cinéma est trop frileux. » Malgré les réussites de Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Samy Bouajila ? En attendant, l’artiste dit s’essayer à l’écriture, un roman à paraître chez Flammarion. Encore une autre facette de Cartouche à découvrir d’ici à la fin de l’année.
Que vouloir de plus ? « Trouver un producteur pour aller jouer en Algérie. Même si je n’y suis pas retourné depuis mes 5 ans, l’Algérie représente 50 % de ce que je suis aujourd’hui. J’ai pris de ce pays, de cette culture, ce qui est invisible : la fierté, la hargne, mais pas sa langue car j’ai toujours vécu en France. »
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