Vent de panique à l’Élysée

Financement politique occulte, soupçons de fraude fiscale massive, conflits d’intérêts… Les révélations de l’affaire Woerth-Bettencourt deviennent explosives. Et impliquent désormais Nicolas Sarkozy.

Le ministre Éric Woerth (à g. avec son épouse Florence) est soupçonné de conflit d’intérêt. © AFP

Le ministre Éric Woerth (à g. avec son épouse Florence) est soupçonné de conflit d’intérêt. © AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 15 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

Cet article est paru dans Jeune Afrique le 11 juillet 2010. Depuis, le ministre du Travail Éric Woerth a annoncé sa démission de ses fonctions de trésorier de l’UMP, comme le lui avait "conseillé" le président Nicolas Sarkozy dans une interview sur France 2.

Ce n’est plus d’affaire « Woerth » dont la France bruisse, mais d’affaire « Sarkozy ». Depuis que le site internet Mediapart a publié le 6 juillet l’interview de Claire Thibout. Cette ex-comptable de Liliane Bettencourt, propriétaire de L’Oréal, a affirmé, avant de se rétracter partiellement le 8 juillet, qu’Éric Woerth – trésorier de l’UMP – a reçu, au printemps 2007, 150 000 euros en liquide de la femme la plus riche de France afin de financer la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Un « habitué de la table des Bettencourt » et le destinataire « d’enveloppes » quand il était maire de Neuilly. « Totalement faux ! » tempête l’Élysée. « Mon parti n’a pas reçu 1 euro illégal ! » s’écrie Éric Woerth, qui sait qu’une formation politique ne peut recevoir d’un donateur plus de 7 500 euros par an, et un candidat 4 600 euros. Il a décidé, le 7 juillet, de porter plainte pour dénonciation calomnieuse auprès du tribunal de grande instance de Nanterre.

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L’accusation fait mal, car Nicolas Sarkozy pensait avoir le 4 juillet endigué le « tous pourris » qui vient à la bouche des Français devant la multiplication des « affaires » dans lesquelles leurs gouvernants sont impliqués. Le président et son Premier ministre ont ce jour-là reçu la démission d’Alain Joyandet et de Christian Blanc, secrétaires d’État respectivement à la Coopération et au Grand Paris. Il fallait donner des gages à une opinion écœurée qui juge à 64 % (sondage Viavoice-Libération réalisé le 1er et le 2 juillet auprès de 1 005 personnes) que « les dirigeants politiques sont plutôt corrompus ». Et, surtout faire oublier le redoutable conflit d’intérêts dans lequel se débat Éric Woerth, par ailleurs ministre du Travail.

Depuis le printemps, les révélations se sont multipliées dans la presse sur les libertés que des membres du gouvernement ont prises avec les deniers publics. Tour à tour, on a appris qu’Alain Joyandet a affrété pour 116 500 euros aller-retour un avion pour se rendre à une table ronde en Martinique sur la reconstruction d’Haïti. Et qu’il a obtenu un permis de construire de complaisance pour agrandir sa résidence de Grimaud (Var). Christian Blanc, lui, a fumé pour 12 000 euros de cigares et est en bagarre avec le fisc pour sa déclaration de revenus. Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, jouissait d’un double logement de fonction dont il faisait profiter sa fille. Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville, hébergeait des membres de sa famille dans le sien. Merci les contribuables !

Ces écarts de conduite n’auraient pas indisposé le président de la République si n’avait éclaté l’affaire Woerth. Malin celui qui a eu l’idée de faire le tour de certaines rédactions avant que Mediapart et Le Point n’acceptent, le 14 juin, de publier des extraits des 28 CD-ROM contenant les conversations de Liliane Bettencourt notamment avec le gestionnaire de sa fortune, Patrice de Maistre, enregistrées par le majordome Pascal Bonnefoy entre mai 2009 et mai 2010.

Hors de portée du fisc

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On y apprend que Maistre déclare avoir embauché Florence Woerth en 2007 à la demande de son mari, alors ministre du Budget. Il y apparaît aussi que Liliane Bettencourt possède deux comptes non déclarés en Suisse pour quelque 78 millions d’euros qu’il est question de transporter à Singapour, hors de portée du fisc français. Liliane Bettencourt aurait financé, cette année, les campagnes électorales de Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, et d’Éric Woerth. Le procès pour « abus de faiblesse » que Françoise Bettencourt a intenté à François-Marie Banier, ami de sa mère, auquel celle-ci a donné 1 milliard d’euros, figure aussi au menu de ces écoutes. Manifestement, le conseiller justice de l’Élysée, Patrick Ouart, s’est fait fort d’influer sur le cours de la procédure. Il sait que le parquet va botter en touche et l’a fait savoir à Patrice de Maistre. À l’évidence, parce que l’Élysée redoute que L’Oréal soit vendu au suisse Nestlé par Françoise Bettencourt, la présidence de la République manœuvre pour la mère contre la fille.

Dans les jours qui ont suivi ces révélations, Liliane Bettencourt a eu beau promettre de « faire régulariser avec le fisc l’ensemble des avoirs familiaux qui seraient encore aujourd’hui à l’étranger » et Éric Woerth jurer qu’il n’a jamais demandé l’embauche de sa femme, et qu’il n’est pas intervenu sur le dossier fiscal de la milliardaire, la vague médiatique est lancée.

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Les socialistes sont partis à l’attaque. Arnaud Montebourg a déclaré que la position ministérielle d’Éric Woerth « va avoir pour conséquence que tout l’appareil judiciaire et policier de l’État va se mobiliser pour empêcher que la vérité n’éclate et donc protéger la fraude fiscale commise par la famille Bettencourt ». Ségolène Royal en a conclu que « le système Sarkozy est aujourd’hui corrompu ». L’ancien Premier ministre Alain Juppé estime qu’Éric Woerth « doit choisir » entre sa fonction de trésorier de l’UMP et son poste de ministre.

Mélange des genres

Depuis le 27 juin, c’est le grand déballage qui nourrit chaque jour un peu plus les soupçons. Car Éric Woerth est toujours le trésorier de l’UMP, qui, dans le cadre du club « le Premier cercle » qu’il anime, invite les hommes d’affaires à rencontrer le président à l’occasion de dîners dans des palaces parisiens, afin de les persuader de financer le parti majoritaire. Rabatteur de fonds, ministre, mari d’une des gestionnaires de la fortune de la femme la plus riche de France, adoubeur dans l’ordre de la Légion d’honneur de Patrice de Maistre – l’employeur de sa femme –, Éric Woerth n’a commis apparemment aucun délit. Mais il a tellement mélangé les casquettes et les réseaux que le doute se fait de plus en plus énorme sur la légalité de ses actes. Celui qui a fait depuis des mois une chasse impitoyable aux comptes secrets en Suisse des Français au point d’utiliser un fichier dérobé pour traquer les riches fraudeurs se voit accusé d’être à leur solde.

Bien qu’ayant fait campagne en 2007 pour l’avènement d’une « République irréprochable », Nicolas Sarkozy a choisi la dénégation. Mardi 6 juillet, il a dénoncé « la calomnie qui n’a qu’un seul but, salir sans aucune espèce de réalité ». François Fillon a vilipendé « une chasse à l’homme ». Éric Woerth a assuré qu’il n’était pas question qu’il démissionne « pour donner raison à ceux qui l’attaquent ». Dans les rangs de l’UMP, le mot d’ordre est « tous derrière Woerth ! » dans l’attente que le président remette les pendules à l’heure à l’occasion d’une allocution que de nombreux députés souhaiteraient entendre le 13 juillet.

La majorité fait bloc derrière le ministre du Travail, chargé de réussir la réforme des retraites que Nicolas Sarkozy veut présenter à la prochaine élection présidentielle comme la grande œuvre de son quinquennat. Donc il faut « tenir » jusqu’au 14 juillet, date à partir de laquelle, espère-t-on à l’Élysée, les Français seront « à Palavas-les-Flots », en vacances. Pas sûr que ce calendrier de l’oubli soit respecté…

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