Philémon Yang en toute discrétion

Nommé il y a tout juste un an, le Premier ministre ne communique pas et reçoit peu. Il s’est tenu à l’écart des « affaires » pour se construire l’image d’un homme loyal et sûr. Mais, à Yaoundé, sa prudence est parfois jugée excessive. Portrait.

Magistrat de formation, le chef du gouvernement a passé beaucoup de temps à l’extérieur du pays. © Maboup

Magistrat de formation, le chef du gouvernement a passé beaucoup de temps à l’extérieur du pays. © Maboup

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 21 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

Il a les phrases, l’allure et la réserve très british que le président camerounais, Paul Biya, apprécie chez ses collaborateurs les plus proches. Le monde politique connaît peu Philémon Yang. Magistrat de formation, il n’a pas de réseau, a passé beaucoup de temps à l’extérieur – dont vingt ans comme ambassadeur au Canada – et n’a jamais trempé dans les « affaires ». Son nom ne figure sur aucune des listes de « présumés délinquants économiques » qui circulent sous le manteau à Yaoundé. Nommé il y a un an, cet anglophone de 63 ans s’est jusque-là montré presque effacé. Il a le verbe rare, se méfie de la presse et communique a minima sur l’action gouvernementale. Il reçoit peu dans un cabinet dont les portes étaient traditionnellement grandes ouvertes. Philémon Yang est un Premier ministre comme on les aime au Cameroun : discret.

Un homme neuf, donc, pour occuper un poste dont l’image avait passablement été écornée par les déboires judiciaires du précédent chef du gouvernement, Ephraïm Inoni. Ce dernier a en effet été entendu deux fois par la police (en avril et juillet 2008) dans le cadre de l’affaire Albatros, un dossier parmi les plus délicats dont est saisie la justice, portant sur des détournements consécutifs à l’achat d’un avion présidentiel. Yang est aussi un homme loyal et sûr, qui a pris soin de se tenir éloigné de ces cercles où l’on évoque, sans tabou, l’après-Biya.

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À l’évidence, ce diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam) n’a pas le charisme du fort en thème et diplômé de Stanford Peter Mafany Musonge, chef du gouvernement de 1996 à 2004. Il n’a pas non plus l’entregent d’Ephraïm Inoni (2004-2009), qui a passé de longues années à la présidence où il a notamment coordonné les services de renseignements. Philémon Yang n’a emménagé dans l’immeuble étoile qu’avec quelques-uns de ses fidèles, dont Paul Ghogomu Mingo, un universitaire nommé directeur de cabinet. La quasi-totalité de l’équipe Inoni est toujours en place. Même Jules Doret Ndongo, le secrétaire général des services du Premier ministre, n’a pas été écarté. Il est pourtant réputé proche de Jean-Marie Atangana Mebara, qui sera jugé, fin juillet, pour son implication supposée dans l’affaire Albatros. « Philémon Yang prend le temps de mieux connaître les dossiers, suppute un familier du pouvoir. Pragmatique, il ne va pas prendre le risque de se priver de la mémoire des anciens de la maison. » Au final, le chef du gouvernement pourrait pâtir de ce style sobre et retenu qui a pourtant favorisé son ascension. L’élection présidentielle aura lieu en 2011 et Paul Biya veut des résultats.

Dossiers en souffrance

À son arrivée, le 30 juin 2009, Philémon Yang avait pour mission d’en finir avec l’inertie dénoncée par le chef de l’État. Il devait aussi améliorer les conditions de vie des Camerounais, donner un coup d’accélérateur aux chantiers dits « stratégiques » qui connaissaient des retards et signifier leur mise à la retraite à des centaines de hauts fonctionnaires atteints par la limite d’âge… La liste des dossiers en souffrance était longue.

Pour remettre les Camerounais au travail, il a choisi l’exemplarité. Arrivant au bureau à 7 h 30 chaque matin, il ne le quitte que très tard le soir. Les conseils de cabinet sont désormais mensuels. Le projet de port en eaux profondes de Kribi est bien engagé. Des efforts sont faits pour réduire le train de vie de l’État. Les administrations sont auditées et des objectifs leur sont fixés.

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Ses détracteurs considèrent toutefois que Philémon Yang a échoué à faire avancer des chantiers cruciaux tels que celui de la nouvelle compagnie aérienne nationale, Camair Co, créée par décret présidentiel en septembre 2006 sur les cendres de la défunte Cameroon Airlines. L’entreprise en est à son deuxième directeur général mais n’a toujours pas effectué de vol inaugural. « C’est un dossier difficile parce qu’il implique trois ministères : Finances, Économie et Transports », plaide un haut fonctionnaire, qui laisse ainsi entendre que la coordination gouvernementale est mauvaise.

Le projet de centrale hydroélectrique de Lom Pangar, annoncé pour 2010 par Paul Biya, n’avance pas non plus au rythme souhaité. Les appels d’offres de préqualification des entreprises de construction pour le barrage ont été lancés, mais il reste beaucoup à faire.

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Le Comice agropastoral d’Ebolowa ne fait pas mieux, devenant, avant même d’avoir eu lieu, la fête agricole la plus chère de l’histoire du Cameroun indépendant. Annoncé par le président lors de son discours du 31 décembre dernier, le Comice aura bien du mal à se tenir avant la fin de 2010, comme cela était prévu.

Climat de suspicion

Magistrat, Philémon Yang n’en est pas moins écarté de l’opération de lutte contre la corruption. Les dossiers ne quittent le cabinet du vice-Premier ministre chargé de la Justice, Amadou Ali, que pour atterrir chez le conseiller juridique du chef de l’État, Jean Foumane Akame, qui a la haute main sur la campagne d’assainissement.

Par ailleurs, selon un ancien condisciple de l’Enam, « l’inertie » et la prudence – jugée excessive – du chef du gouvernement sont liées au climat de suspicion suscité par la chasse aux corrompus. Entouré de collaborateurs qu’il n’a pas choisis, Yang ne met pas de zèle à traiter les dossiers à enjeux financiers : « Mieux vaut être accusé d’incompétence que de malhonnêteté », ironise un de ses proches.

Certes, au Cameroun, le Premier ministre est réduit au rôle « d’animateur » de l’activité gouvernementale, et ses attributions sont souvent vampirisées par le secrétaire général de la présidence, véritable centre d’impulsion de l’exécutif. Pourtant, selon un politologue qui souhaite garder l’anonymat, « Yang pourrait profiter de la mauvaise posture de l’actuel “président bis”, Laurent Esso, affaibli par l’embarrassante affaire Bibi Ngota [journaliste incarcéré après une plainte d’Esso et décédé en prison le 22 avril dernier, NDLR], pour affirmer son autorité face aux poids lourds du gouvernement ».

L’absence de fortes têtes au sein de l’équipe devrait lui faciliter la tâche. Philémon Yang n’aura pas à croiser le fer avec des personnalités de la trempe des anciens ministres Édouard Akamé Mfoumou (Économie) et Benjamin Amama Amama (Fonction publique) qui défièrent l’autorité de ses prédécesseurs. Ce problème-là ne se pose plus. En revanche, beaucoup de ministres s’occupent à préparer l’avenir. Leur avenir. Or le président attend des résultats. À Yaoundé, l’orage gronde. Emportera-t-il Yang ? Pas sûr. Avant la présidentielle, le temps presse, mais seul Paul Biya est maître de son agenda. Et il prend souvent son temps pour agir.

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