Voyage au coeur des armées
Treize pays africains ont défilé le 14 juillet sur les Champs-Élysées, à Paris. Leurs armées ont été créées de toutes pièces il y a cinquante ans, lors des indépendances. Et, depuis, ont connu des fortunes diverses. État des lieux.
C’est une petite surprise concoctée par le Bénin. Comme les autres ex-colonies françaises d’Afrique subsaharienne, le pays a envoyé des troupes – 38 hommes, dont 2 réservistes – à Paris pour le 14 juillet. Elles ont ouvert le défilé militaire sur les Champs-Élysées aux côtés de détachements malgache, mauritanien, sénégalais, congolais… Sur les 14 ex-colonies, seule la Côte d’Ivoire a refusé l’invitation. Le programme est conforme à la formule imaginée par la France pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance de son ancien pré carré. Mais Cotonou a voulu imprimer sa marque : les représentants des forces armées béninoises qui paraderont sur la plus belle avenue du monde seront exclusivement des femmes. Y compris « le » colonel qui les commandera.
Voir la carte des armées des 14 ex-colonies françaises
« C’est un symbole fort », se félicite, en sortant pour une fois de sa réserve toute militaire, un général béninois. Dans un subtil pied de nez à ce qui fut « la métropole », le Bénin entend rendre ainsi hommage aux « amazones du roi Béhanzin qui ont combattu la pénétration coloniale, et qui étaient bien plus vaillantes que les hommes », explique un ministre béninois. Il espère aussi déjouer les préjugés sur le continent et ses archaïsmes en envoyant ce message : l’égalité entre les sexes peut exister dans les casernes, même quand elles sont africaines.
Tutelle française
Moderne, l’image est à mille lieues du tableau de l’Afrique militaire de 1960. À l’époque, au Bénin, au Sénégal, au Burkina Faso, au Cameroun, au Congo-Brazzaville et dans toutes ses anciennes colonies, la France laisse derrière elle des États sans armées. Elles seront créées de toutes pièces avec son soutien. Paris continuera ensuite à jouer les pères de famille en formant notamment les officiers subsahariens. Aujourd’hui, la tutelle française est encore une réalité. Mais son action est plus contrôlée : les accords de défense sont actuellement renégociés ; l’époque des clauses secrètes permettant de sauver la mise à un chef d’État en délicatesse est – théoriquement tout au moins – révolue. Quant aux soldats africains qui défilent à l’occasion du 14 Juillet, ils ont pour la plupart fait leurs classes dans leur pays ou, au moins, en Afrique, notamment à l’Académie royale militaire de Meknès. Comme hier Saint-Cyr, en France, l’école marocaine a formé quelques officiers supérieurs célèbres, dont le Mauritanien Ely Ould Mohamed Vall et le Guinéen Sékouba Konaté.
Ici et là, la vocation des militaires a aussi changé. En 1960, ils sont surtout là pour contrôler la population. Déjouer les complots et arracher par la force la loyauté des citoyens au pouvoir politique n’est plus la mission de l’armée dans un pays comme le Bénin, qui a pourtant connu une succession de coups d’État et une « milice populaire ». Saluées pour leur professionnalisme par les experts, les troupes béninoises sont devenues républicaines et légalistes, se cantonnant aux missions que leur impartit la Constitution. Même chose au Mali. Au Togo et au Cameroun, les habitudes changent aussi, mais le modèle béninois n’est pas encore atteint. En février 2008, à Douala et à Yaoundé, le Bataillon d’intervention rapide réprime les émeutes de la faim. En avril 2005, à Lomé et à l’intérieur du pays, l’armée s’en prend aux partisans de l’opposition. Dans les deux cas, près de 100 personnes meurent.
« Il y a eu vraie bascule au début des années 2000 », analyse cependant un haut gradé français qui se rend souvent en Afrique. L’évolution politique et la mise en place, même chaotique, de régimes démocratiques au lendemain des conférences nationales peuvent être une raison. « Toute armée est une émanation de la nation dont elle est issue. Quand les concepts politiques de la nation évoluent, cela déteint sur elle », explique un officier supérieur ouest-africain.
Dans la foulée de la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, en 2004, l’élaboration d’une « architecture africaine de paix et de sécurité » permet aussi de réorienter les énergies des Bérets verts sur une nouvelle mission : la paix en Afrique. Plus de 6 000 soldats africains garnissent les rangs des opérations de maintien de la paix. Le Sénégal, qui fournit notamment 450 hommes à la Mission des Nations unies en RD Congo, est considéré comme le meilleur élève. Constituant, toujours avec le Sénégal, le gros des troupes de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire, le Bénin, le Niger et le Togo se sont engagés sur la même voie. Le Burkina Faso, le Cameroun, le Mali sont présents au sein de la Mission conjointe entre les Nations unies et l’Union africaine au Darfour.
Selon un officier français, la participation à ces missions est un indice de professionnalisme et d’une « volonté étatique » de faire évoluer l’armée. Le Gabon, la Centrafrique et le Congo-Brazzaville sont nettement moins représentés dans les contingents de Casques bleus. Selon la même source, les candidats présentés par ces pays sont aussi « les moins préparés » au concours d’entrée des « écoles nationales à vocation régionale », des centres de formation militaire créés par la France en partenariat avec les pays hôtes (le continent en compte 14, répartis dans 8 pays). Mutineries, trafics, exactions : en Centrafrique, l’armée ne s’est pas départie des comportements qui ont fait la réputation désastreuse des militaires africains. En mars 2007, elle laisse Birao en ruines – maisons brûlées et pillées – après avoir, avec le soutien français, repris le contrôle de la ville à un groupe rebelle. « Les Forces armées centrafricaines sont un peu dures à suivre », dit très diplomatiquement une source française.
Menaces à répétition
Comme hier aussi, les armées qui défileront le 14 juillet sont démunies. En 2009, les dépenses militaires du continent se sont élevées à 27,4 milliards de dollars. Des poussières par rapport au volume mondial, de 1 531 milliards. Et si, ces dix dernières années, elles ont augmenté de 62 %, le nord du Sahara se taille la part du lion. Ses dépenses ont été multipliées par deux quand celles de l’Afrique subsaharienne ont progressé de 42 % seulement. L’Algérie et l’Afrique du Sud réalisent respectivement 15 % et 20 % des dépenses en 2008. À côté, les armées des anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne sont des naines.
En crise depuis 2002, la Côte d’Ivoire a investi dans l’outil militaire et fait donc exception. Idem pour le Tchad, qui, face à la répétition des menaces rebelles depuis 2006, a augmenté ses dépenses de 32 % entre 2007 et 2008. Ses équipements s’en ressentent : 60 chars de combats quand les autres pays n’en comptent, en général, qu’une vingtaine, 175 véhicules de reconnaissance, 25 militaires pour 10 000 habitants – parmi les taux les plus élevés des 14 pays, la Mauritanie arrive en tête avec 47 soldats pour 10 000 habitants, suivie par le Gabon, avec 31 soldats pour 10 000 habitants.
Pour les autres, s’armer reste un problème. En théorie, les participants aux missions de maintien de la paix doivent apporter leur propre matériel. Mais, bien souvent, ils en manquent et sont contraints de solliciter un appui extérieur. Le Bénin s’en est remis à la Belgique au début de son intervention en Côte d’Ivoire. De nouveaux défis jettent également une lumière crue sur une situation parfois proche du dénuement. Confrontés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), la Mauritanie et le Mali ne disposent pas des moyens aériens suffisants pour surveiller leurs immenses territoires, désertiques tous les deux. Pour faire face au brigandage dans ses eaux territoriales (le terme « piraterie » est réservé aux eaux internationales), le Bénin a commencé à améliorer ses capacités maritimes. Le pays a notamment commandé en France des vedettes de côte – des petits bateaux de guerre. Son voisin togolais lui emboîte tout juste le pas. Mais, de source française, les équipements sont jugés insuffisants. Comme pour la gestion des catastrophes naturelles, « prochaine étape de la mise à niveau », selon le même interlocuteur.
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