Du Zenit au zénith

Très demandé par la presse, exposé à travers le monde grâce à son remarquable travail sur la sape au Congo, Baudouin Mouanda était présent à Arles du 6 au 10 juillet.

A Libreville en 2009, série « Hip Hop et société ». © Baudouin Mouanda

A Libreville en 2009, série « Hip Hop et société ». © Baudouin Mouanda

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 14 juillet 2010 Lecture : 4 minutes.

Pour le Congolais Baudouin Mouanda, tout commence avec un appareil photo Zenit 11 fabriqué en URSS. Il est encore petit garçon. C’est au début des années 1990 et l’appareil appartient à son père, professeur de sciences physiques, qui l’utilise pour ses cours et lors des grandes fêtes familiales. Baudouin le subtilise de temps à autre, mais ce n’est pas pour faire des photos. « Je le prenais sans que mon père s’en rende compte, je le démontais et je récupérais les lentilles pour brûler des papiers », se souvient l’artiste, salué par le prix Jeune talent de Bolloré Africa Logistics et par la Fondation Blachère lors des Rencontres de Bamako, en 2009.

Quand la guerre civile éclate en 1992, Baudouin Mouanda a 11 ans. Il va manquer l’école pendant deux ans. En 1994, son père, qui a compris l’importance de cet appareil photo, lui promet qu’il sera à lui s’il réussit son examen d’entrée au collège. Tout est question de volonté : bientôt, le Zenit 11 au fond du sac, Baudouin rejoint l’école, où, bien sûr, tous ses camarades veulent être pris en photo. Le garçon n’a pour bagage que les quelques notions transmises par son père. Vitesse d’obturation, ouverture de diaphragme, il mélange tout et le résultat est dramatique : « J’avais tout grillé, perdu les images de mes amis. » Le lendemain, il n’ose pas se rendre à l’école. Comment avouer qu’il a tout gâté ? L’aventure apporte de l’eau au moulin de sa mère, qui pense que, vraiment, un enfant doit se concentrer sur ses études.

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C’est ainsi que, pendant plusieurs années, Baudouin Mouanda ne cessera de promener son appareil photo dans son sac sans jamais l’utiliser. Puis, dans La Grande Encyclopédie de la photographie de son père, il découvre le travail du français Henri Cartier-­Bresson et, fasciné, décide de s’y remettre. « J’ai appris sur le tas, en testant les différentes vitesses de mon appareil », raconte-t-il. Au départ, il photographie sa famille, ses proches, des gens qui le paient en retour. Très vite, il devient le « photographe attitré de l’école ». Dans le laboratoire où il fait tirer ses images, certains se moquent de lui. Mais une dame l’encourage et lui dit : « Ne les écoute pas, tu seras peut-être meilleur qu’eux demain ! »

« Mémoire et fragments »

Meilleur, pas de doute, il le sera. En 2003, il participe à une série de stages organisés par les photographes David Damoison, Héctor Mediavilla et Hélina Morella, dans le cadre d’un programme de soutien aux arts plastiques. Dès le début, David Damoison lance : « À Brazzaville, il n’y a pas de photographes ! » Les stagiaires sont indignés. Mouanda comprend que c’est une provocation. Son objectif ? Qu’ils changent leur manière de regarder et dépassent une pratique dictée par des impératifs commerciaux. De son côté, Héctor Mediavilla tente de les décomplexer par rapport à la qualité de leurs appareils. Ce qui compte, ce n’est pas l’outil… À Baudouin, il glisse : « En moins d’un an, tu seras un bon photographe. »

« Mémoire et fragments », c’est l’intitulé de la première exposition à laquelle il participe à la fin de son stage. Gagné dans la foulée, le concours photo de l’Académie des beaux-arts lui donne du « courage » pour se lancer. Tout en poursuivant avec succès des études de droit à l’université Marien-Ngouabi, le jeune homme commence à travailler sur les séquelles de la guerre civile, plus de cinq ans après sa fin, en 1997. Il s’intéresse aux orphelins, puis aux enfants des rues. Récompensé lors des 5es Jeux de la francophonie à Niamey (Niger), en 2005, il réalise des reportages pour les magazines Planète Jeunes et Planète Enfants. Son succès personnel ne l’éloigne pas pour autant des photographes en devenir au Congo : il anime des ateliers et participe à la création du collectif Génération Elili, qui propose des formations à ceux qui veulent s’améliorer.

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Baudouin Mouanda confie que former les autres l’aide aussi à se perfectionner. Lui a pu bénéficier d’une bourse obtenue via Égide (partenaire du ministère français des Affaires étrangères), qui lui a permis de progresser encore en suivant les cours du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ, Paris) et de l’école d’art Le 75 (Bruxelles). Mais, si Baudouin Mouanda est aujourd’hui très demandé par la presse (Jeune Afrique, Afrique magazine, Le Monde, L’Express, VSD) et exposé en permanence à travers le monde (au Bénin en juin, en France et en Guinée-Conakry en juillet, puis à Madrid, Helsinki, Rio de Janeiro), c’est grâce à son remarquable travail sur la sape au Congo. On aurait pourtant tort de le réduire à cela : il a bien d’autres projets en tête, dont celui intitulé « Hip-Hop & société », exposé à Arles du 6 au 10 juillet, place Patrat. Son père, qui ne voulait pas qu’il devienne photographe, est aujourd’hui très fier. Et Baudouin ne démonte plus ses appareils photo pour brûler du papier avec les lentilles.

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