Les filles de Djeddah

Une ancienne hôtesse de l’air marocaine décrit les conditions de vie des riches Saoudiennes. Un récit mi-ludique, mi-revendicatif, qui dénonce une société arabo-musulmane schizophrène.

Fawzia Zouria

Publié le 15 juillet 2010 Lecture : 3 minutes.

Que se passe-t-il quand Leïla B., ex-hôtesse de l’air marocaine, se met en tête de défendre la cause des Saoudiennes et de prévenir ses compatriotes du danger de convoler avec les nababs du Golfe ? L’hôtesse de l’air n’a qu’une solution : témoigner par écrit. Il en résulte ce pendant arabe du fameux Sex and the City, mi-ludique, mi-revendicatif. Leïla y décrit la condition de ses amies de la grande bourgeoisie de Djeddah, où elle était basée, femmes recluses, mais joueuses et bavardes, avides de nouvelles du monde extérieur, auquel elles ne sont branchées que par mobiles et câble. Devenue leur confidente, l’hôtesse de l’air va aiguiser leur curiosité en leur ramenant des nouvelles du Maroc et d’ailleurs, mais, surtout, elle va les écouter et, au besoin, les secourir.

C’est l’occasion pour le lecteur de suivre la chronique au quotidien d’une société de femmes séparée de celle des hommes, isolée de la sphère de la politique et des affaires, et qui va de la concubine soumise à la militante pour le vote des femmes, en passant par l’épouse trompée. Sans compter les domestiques, servantes philippines ou chauffeurs attitrés, qui constituent l’arrière-fond d’un monde aux frontières sexuelles étanches.

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Divisé en chapitres aux titres hilarants, le livre fait défiler les intrigues amoureuses, la soif de savoir, les désirs inassouvis. Tout passe dans la conversation de ces dames, de leur nuit de noces à leurs soucis de santé, de leur vie en couple à leurs ébats au lit. Elles rient, pleurent, les unes se soignant aux mets copieux et raffinés, les autres au régime, ligne oblige. Elles se partagent les recettes de beauté et de sexe, s’entraident pour faire revenir au foyer un mari infidèle ou pour recoudre un hymen. Leurs destinées se croisent, mais se décroisent aussi.

Mise en miroir

Dehors, il y a les hommes, dont le lecteur entend parler sans les voir. Il y a la cité, où l’on circule sous le voile dans les fameux malls ou les plages réservées aux dames. Il y a le reste du monde, que l’on découvre à travers journaux féminins – dont on a censuré les photos de mannequins nus – et chaînes de prêches, mais aussi à travers les récits que raconte l’hôtesse sur son propre pays et qui vont être une sorte de mise en miroir d’une autre société musulmane. En relatant le destin particulier de l’une de ses cousines, une libertine retrouvant la foi au cours d’un pèlerinage à La Mecque, l’hôtesse de l’air relate la vie des Marocaines, pour la plupart sorties du foyer et impliquées dans l’espace public. Et met en évidence les contradictions et les travers d’une société arabo-musulmane devenue schizophrène, écartelée entre tradition et modernité, vice et vertu.

C’est du reste dans ces différences qui caractérisent la société féminine arabo-musulmane que puise ce récit, montrant que les amours, les espoirs et les ambitions de la cité musulmane ont peu de chose à voir avec la cité occidentale. Une autre façon d’être, de vivre et de fantasmer racontée dans un genre – celui de la « chick lit », « littérature de poulettes » –, qui se trouve ici vivifiée grâce à deux ingrédients inédits : d’abord, ce récit est ancré dans une tradition féminine qui se réclame de Shéhérazade ; ensuite, il est repensé sur le mode militant et ne manque pas de veine féministe. Ce qui, par les temps qui courent, ne peut que faire du bien dans les médinas ­arabes…

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