Les premiers pas de la notation
Pour attirer toujours plus de capitaux, l’Afrique joue la carte de la transparence et se dote peu à peu de ses propres outils de notation du risque.
Depuis la crise, la notation de la dette des États pend comme une épée de Damoclès au-dessus de la Grèce et de l’Espagne. Cette menace rythme un feuilleton suivi avec intérêt par les investisseurs, une décote signifiant une hausse substantielle des taux d’intérêts et une difficulté supplémentaire à emprunter sur les marchés financiers. Le continent n’échappe pas à ce phénomène mondial. Le marché subsaharien, jugé à risque, attire les capitaux grâce à sa forte croissance (6 % de 2003 à 2008, prévue à 4,75 % en 2010 et 5,75 % en 2011). Grâce à ce développement soutenu, les investissements étrangers ont été multipliés par cinq au sud du Sahara entre 2002 et 2007.
La manne pourrait être encore plus importante. Le frein ? « Le manque de disponibilité de l’information financière », répond Laurent Demey, directeur général délégué de Proparco, filiale de l’Agence française de développement dédiée au secteur privé. Pour convaincre les investisseurs de se tourner davantage encore vers l’Afrique, l’idée se généralise d’y développer un système efficace de notation. Ils pourraient ainsi juger de la solidité financière des États, mais aussi des banques, des compagnies d’assurances ou des entreprises dans lesquelles ils envisagent de placer leurs capitaux. Certes, il existe déjà des outils leur permettant d’évaluer la qualité de leurs placements : au cours des cinq dernières années, le nombre d’États africains dont la dette souveraine bénéficie d’une notation est passé de cinq à dix-huit auprès de Standard & Poor’s. Mais aujourd’hui, la nécessité d’un système de notation efficace dépasse largement les États.
Pour remédier à cette pénurie de données, Proparco a acquis 10 % du capital de Global Credit Rating (GCR) en 2009. Cette entreprise, basée à Johannesburg, se targue d’attribuer 60 % des notations du continent africain et compte ouvrir un bureau en Afrique de l’Ouest d’ici peu. Dakar rejoindra alors Lagos, Nairobi et Harare dans le rang des villes au sein desquelles les 35 analystes de GCR évaluent les risques de crédit des entreprises. « Notre présence sur le terrain est indispensable pour assurer un bon suivi du marché », soutient Melanie Brown, directrice exécutive de GCR.
Un avis partagé par Philippe Hoeblich, directeur Afrique de Coface, une société française d’assurance-crédit. Il cite le cas « d’entreprises fantômes » démasquées par la visite de ses agents. Des Nigérians installés au Bénin exigeaient un paiement avant d’envoyer la marchandise au client. Ils possédaient toutes les autorisations nécessaires pour opérer, mais pas d’inventaire !
Coface, qui propose des produits d’assurance contre les risques de défaillance financière, a des engagements à hauteur de 1 milliard d’euros en Afrique de l’Ouest, essentiellement pour des clients internationaux. La société compte profiter de l’abondance de liquidités dans la région pour développer le marché de l’assurance-crédit domestique. « Les PME, en pleine croissance, ont besoin de reconnaissance auprès de leur banquier. C’est ce que nous offrons », explique Philippe Hoeblich. En 2010, des produits à l’intention des PME seront développés et, grâce à eux, Coface envisage d’augmenter ses engagements de 15 millions d’euros au Cameroun et au Gabon.
Réduire le coût du crédit
L’intérêt pour le marché domestique existe aussi du côté des grandes agences internationales. Roland Cooper, directeur développement des affaires Afrique de l’américain Fitch Ratings, cite le cas de la Namibie, qui est exportatrice nette de capitaux : il propose de mettre en relation les investisseurs locaux avec les entreprises qui évoluent dans le pays. « Les échelles de notation nationales, que nous avons créées en Afrique du Sud et au Nigeria, permettent ce genre d’échanges », explique-t-il. À la différence des échelles internationales, élaborées pour les marchés développés et au bas desquelles se retrouvent systématiquement les sociétés des pays africains, sans grande différenciation entre elles, les échelles nationales permettent une évaluation efficace du risque. Fitch Ratings prévoit de se lancer à l’assaut du marché kényan, jugé très prometteur, et développe une échelle pour ce pays. « Dès qu’un cadre législatif transparent sera mis en place, cette échelle verra le jour », promet Roland Cooper.
« Cette culture de la transparence prend germe », observe Seydina Tandian, directeur général de West African Rating Agency, qui organise depuis 2001 des séminaires de formation pour sensibiliser les acteurs du marché à la notation. Des représentants de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), du Fonds africain de garantie et de coopération économique et de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale y ont, entre autres, participé.
Avantage supplémentaire, et non des moindres, d’un système de notation performant : celui-ci réduirait le coût du crédit pour les emprunteurs. Pour diminuer le risque, ces derniers doivent garantir leurs prêts en contractant une assurance très chère. Selon Seydina Tandian, le coût « exorbitant » de la garantie atteint entre 1,3 % et 3 % du prêt.
Pour accompagner cette transition vers la notation, l’Union économique et monétaire ouest-africaine a instauré une législation en novembre 2009. Jusqu’alors, les prêts devaient être garantis en totalité. Maintenant, un émetteur qui obtiendrait une note égale ou supérieure à BBB– pourrait s’en passer. Un élément de plus qui milite pour le développement de notations régionales. Comme le dit Seydina Tandian, « il ne sert à rien de se faire noter à l’échelle internationale si on emprunte en francs CFA ».
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