Jean-Marc Anga : « Il faut rémunérer davantage les producteurs de cacao »
En octobre, cet Ivoirien de 49 ans prendra la direction exécutive de l’OIC, qui regroupe 42 pays représentant 80 % de la production mondiale et 60 % des importations. Réunis à Genève du 21 au 25 juin, ils ont signé un accord, valable dix ans à compter de 2012. Il doit garantir une plus grande transparence du marché.
Jeune Afrique : La production des pays producteurs a connu une baisse continue. Où en est-on ?
Jean-Marc Anga : Selon nos estimations, la production mondiale de cacao pour la campagne 2009-2010 se situera autour de 3,6 millions de tonnes. Pour la campagne 2010-2011, nous prévoyons une hausse de la demande de l’ordre de 2,5 %, ainsi qu’une production en hausse d’environ 6 %, due principalement à une amélioration des conditions climatiques. On aura, pour 2009-2010, un excédent de production d’environ 70 000 t, contre 18 000 t selon les projections initiales.
Comment relancer durablement la filière ?
Il faut une coopération plus étroite entre les secteurs public et privé. Côté production, il y a un besoin d’investissement pour rajeunir le verger cacaoyer, appliquer les meilleures pratiques culturales afin de lutter contre les ravageurs et maladies, améliorer la qualité, la productivité et la quantité afin de répondre à la demande croissante, le tout en conformité avec les normes sanitaires et phytosanitaires des pays. De ce côté, nous avons des signes encourageants. En Côte d’Ivoire et au Ghana, le secteur privé et les structures publiques mettent en place des projets communs. La Sierra Leone, le Liberia, la RD Congo et bien d’autres font appel aux bailleurs de fonds internationaux comme la Banque mondiale pour développer leur secteur cacaoyer. Enfin, la priorité des priorités pour nous est de nous assurer que, pour tous ces efforts, les producteurs sont très bien rémunérés.
Et côté consommation ?
Nous allons axer nos efforts sur la promotion dans des pays prometteurs comme la Chine, la Russie, l’Inde, ainsi que dans les autres économies émergentes, de même que dans les pays producteurs, où existe un fort potentiel.
La directive européenne de 2003 autorisant l’utilisation de matières grasses végétales a-t-elle fait chuter la consommation ?
Il est vrai que, au départ, nous avions des appréhensions concernant cette directive : nous craignions que la possibilité donnée aux chocolatiers d’utiliser des matières grasses autres que le beurre de cacao dans la fabrication du chocolat n’entraîne une baisse de la consommation. Nos estimations avaient même envisagé une réduction de la demande de l’ordre de 200 000 t/an. Au final, la réticence des consommateurs face aux produits de substitution a forcé les chocolatiers à ne pas modifier leurs recettes. Au contraire, avec la découverte des propriétés nutritionnelles positives du cacao, le chocolat à haute teneur en cacao connaît un boom considérable.
Aujourd’hui les producteurs réclament une meilleure transparence économique. Qu’en est-il ?
La transparence du marché est un élément fondamental de l’accord que nous venons de conclure. Celui de 2001, en vigueur jusqu’en septembre 2010, avait mis en place un comité du marché, chargé de s’assurer que les pays membres transmettaient à l’Organisation internationale du cacao [OIC] leurs données économiques. Mais la transmission par les compagnies de broyage, méfiantes à l’égard de la concurrence, des informations sur les produits dérivés ou semi-finis [beurre, poudre et liqueur de cacao] posait problème. Dans le nouvel accord, les États, en étroite coopération avec leur secteur privé, s’engagent à nous fournir toutes les données statistiques, c’est-à-dire celles concernant la production, les broyages, la consommation, les exportations, les réexportations, les importations, les prix et stocks de cacao et de produits dérivés de cacao.
Avez-vous les moyens de vérifier la fiabilité des données transmises par les États producteurs ?
Oui, et nous pouvons faire des recoupements avec d’autres. À la suite de quoi nous prenons nos responsabilités et publions les chiffres qui nous paraissent les plus objectifs. Il en va de notre crédibilité vis-à-vis du marché.
L’OIC a-t-elle une réelle influence ?
L’OIC a le poids que veulent bien lui conférer ses États membres*. Nous ne sommes pas une police en tant que telle, plutôt un organe de suivi de la mise en œuvre de l’accord, mais aussi de conseil et d’assistance technique.
Que pensez-vous de la situation en Côte d’Ivoire ?
Je ne souhaite pas en parler.
L’activité y est-elle pénalisée par l’instabilité politique ?
Paradoxalement, la situation politique de ce pays n’est pas un facteur déterminant dans le niveau de la production de cacao. En dehors des premiers moments de la crise, en septembre 2002, qui ont fait exploser les prix et causé des mouvements sociaux récurrents qui, de temps en temps, retardent les exportations, les volumes de cacao au départ de la Côte d’Ivoire n’ont pas l’air de souffrir de la situation politique du pays.
La financiarisation du secteur n’est-elle pas un risque ?
Certains estiment que la spéculation est responsable de la volatilité, voire de la baisse des prix sur le marché. C’est peut-être vrai sur le court terme, mais une étude récente de l’OIC montre que ces paramètres s’équilibrent dans le temps et n’ont pas un impact vraiment significatif dans le long terme. Néanmoins, nous suivons étroitement cette question et nous avons en projet une autre étude pour faire l’état des lieux depuis notre dernière analyse.
* Pays africains membres de l’OIC : Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Nigeria, Togo.
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