Carburant : vers la fin des subventions

De la Sierra Leone à la Centrafrique, la hausse de la facture pétrolière contraint les États à adopter une politique de « vérité des prix ». À la pompe, les tarifs montent. La colère des consommateurs aussi.

Vendeurs d’essence à la sauvette, à Lagos. © AFP

Vendeurs d’essence à la sauvette, à Lagos. © AFP

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 13 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

Mardi 22 juin, à Lomé. La capitale togolaise est le théâtre de violentes manifestations des conducteurs de taxi, de moto-taxi… Dans plusieurs quartiers, des pneus brûlent et des barricades sont dressées sur les principaux axes de la ville, restés paralysés pendant plusieurs heures. À l’origine de cette montée soudaine de colère qui a dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre (bilan : trois morts de sources syndicales, un selon le ministère de l’Intérieur), la hausse des prix à la pompe des produits pétroliers. Une augmentation elle-même provoquée par la suppression, le 18 juin, des subventions que l’État accordait jusque-là à ces produits. Ainsi, le super sans plomb est passé de 505 à 580 F CFA (de 0,78 à 0,88 euro), le gasoil de 500 à 575 F CFA, et le pétrole lampant de 390 à 475 F CFA. Seul le prix du gaz butane est resté inchangé.

Pour appeler ses concitoyens à la compréhension, Kokou Gozan, le tout nouveau ministre togolais du Commerce et de la Promotion du secteur privé, explique : « Le Togo n’a plus les moyens de sa politique de subventions, qui a créé d’importantes dettes vis-à-vis des sociétés pétrolières. » Selon le gouvernement, plus de 3 millions d’euros sont dépensés chaque mois pour contenir les prix des carburants. Et cette situation devenue insoutenable pénaliserait de plus en plus le budget de l’État. « L’approvisionnement du pays et la continuité des activités économiques ont bien souvent été dangereusement menacés », ajoute le ministre. Il était donc temps, selon lui, de s’orienter vers « une politique de vérité des prix ». C’est-à-dire une répercussion sur les consommateurs de la hausse des prix du pétrole sur les marchés internationaux.

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Des pertes pour l’État

Alors que le mécontentement monte au Togo, d’autres États africains se heurtent aux mêmes difficultés. Ainsi, les autorités sierra-léonaises ont annoncé, elles aussi, deux jours après celles du Togo, la fin des subventions. Conséquence : le consommateur sierra-léonais devra désormais débourser quelque 1 000 leones (0,21 euro) de plus pour acheter son litre de carburant. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest qui se remet progressivement de plus d’une décennie de guerre civile, le gouvernement affirme que la politique de subventions est devenue économiquement non viable. Le montant qu’il alloue pour maintenir des prix des carburants accessibles aux plus pauvres ne cesse de croître. D’après les chiffres officiels, il est passé de 3,9 millions d’euros en 2008 à 7,8 millions d’euros en 2009, soit une augmentation de près de 100 % en un an.

Un mois avant le Togo et la Sierra Leone, c’était la Centrafrique qui optait pour cette même politique de « vérité des prix ». Une décision qui s’est traduite dans ce pays par des augmentations des carburants de 4 % à 7 %. Et, là aussi, face aux mécontentements des populations et des syndicats, les autorités avancent les mêmes arguments : les pertes causées par ces subventions à l’État.

Les pays producteurs aussi

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En Mauritanie, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et dans bien d’autres pays africains, le soutien apporté aux prix des carburants à la pompe est dans le collimateur. Même dans les économies les plus avancées du continent, la question se pose avec de plus en plus d’acuité. Au Maroc, ces subventions, qui représentaient 2,5 % du PIB en 2008, pourraient atteindre 3 % en 2010 et 2011. Ultime paradoxe, ce sont les pays producteurs de pétrole, comme l’Égypte, dont la facture pétrolière de l’année 2010-2011 sera de 10,6 milliards d’euros (+ 6 %), qui subventionnent le plus. « C’est effectivement problématique car cela représente autant d’investissements en moins pour le pays », affirme Ahmed Lahlimi, patron du Haut-Commissariat au plan (HCP), l’organisme marocain en charge des études économiques.

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Reste que derrière leurs discours officiels, les gouvernements ne font que suivre les recommandations des institutions de Bretton Woods. Dans un rapport réédité en juin et intitulé « Subventions pétrolières : coûteuses, inéquitables et en progression », six économistes du Fonds monétaire international (FMI) dénoncent ces subventions et recommandent une libéralisation progressive des prix des carburants. Cette étude montre que les subventions, qui sont essentiellement appliquées dans les pays émergents et en développement, se chiffraient à plus de 50 milliards d’euros dans le monde en 2003. Elles devraient dépasser les 200 milliards d’euros cette année. Et si l’on inclut les exonérations fiscales que les États accordent aux sociétés, les économistes du FMI évaluent ce coût à 600 milliards d’euros, soit près de 1 % du PIB mondial ! Or, selon l’institution, les prix du pétrole vont rester élevés au cours des prochaines années, avec la reprise économique et la demande qui ira croissant.

Exonérations ciblées

Ainsi, pour les États africains confrontés à des dettes intérieures exorbitantes et en quête de ressources supplémentaires, le FMI et la Banque mondiale recommandent une limitation des subventions. Ces institutions estiment par exemple que le Sénégal, dont la facture pétrolière a atteint la bagatelle de 343 millions d’euros en 2009, gagnerait à y renoncer. D’autant plus que l’État peine à honorer ses engagements vis-à-vis des entreprises privées. En Côte d’Ivoire, le blocage des prix à la pompe a plombé la Société ivoirienne de raffinage, principal fournisseur de carburants du pays, qui a accumulé des dettes de plus de 300 millions d’euros, à cause des impayés du gouvernement.

Selon le FMI, ces politiques sont à bannir car, de surcroît, elles ne profitent pas aux plus pauvres, initialement visés. En Afrique, plus de 65 % du total des subventions profitent aux classes les plus aisées (voir infographie) car elles sont les plus grandes consommatrices de produits pétroliers. Parmi les pistes évoquées, les économistes du FMI proposent, à défaut de les supprimer, de cibler les subventions. Par exemple, ils préconisent une exonération sur la consommation du pétrole lampant, plus utilisé par les plus défavorisés, et une taxation du diesel, auquel, toujours selon le FMI, les classes aisées ont davantage recours pour leurs automobiles, notamment les gros 4×4.

« Au lieu des subventions, ce sont des moyens permettant à ces classes défavorisées d’accroître leurs revenus qu’il faut mettre en place », estime pour sa part Ahmed Lahlimi. Selon lui, les consommateurs et l’appareil productif doivent découvrir tôt ou tard les réalités des marchés. Il juge que cela devrait se faire progressivement, comme dans le cas de certains produits alimentaires (huile) au Maroc. Autre piste exploitée au Mali et citée comme un bon exemple : alimenter un organisme spécialement dédié, en évitant de trop baisser les prix intérieurs lorsque les marchés internationaux sont favorables. Ensuite, via cette structure de stabilisation, accorder des aides ponctuelles aux consommateurs en temps de fortes hausses du cours de l’or noir.

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