Somalie : impossible unité
Fondé il y a un demi-siècle, le pays n’a pas connu de répit. Créature et cauchemar des Nations unies, il offre depuis vingt ans des images chocs : guerres, famines, pirates et combats de rue. Au point que l’ONU, échaudée par le fiasco de l’intervention « militaro-humanitaire » de 1992, se garde bien d’y remettre les pieds. Le gouvernement vit retranché à Mogadiscio, et les soldats de l’Union africaine assistent, impuissants, au chaos.
Somalie, impossible unité
Une étoile blanche orne le drapeau somalien. Cinq branches pour les cinq régions où vit le peuple somali : la Somalie britannique, la Somalie italienne, Djibouti, le nord du Kenya et l’Ogaden éthiopien. Mais l’unité perdue avec la conquête européenne des années 1880 n’a jamais été retrouvée, et l’État somalien, créé en 1960, ne regroupe que l’ancienne Somalie britannique, au nord (actuel Somaliland ), et la Somalie italienne, au sud.
Elles se fédèrent en 1960, quelques jours après leurs indépendances respectives, et espèrent reconstruire un jour la « Grande Somalie ». Cela n’arrivera pas.
« Enfant chéri » des Nations unies, le jeune État est d’abord loué, avec excès, comme modèle de démocratie. Dès 1967 et en accord avec les pays voisins, le président Abdirashid Ali Sharmarke et son premier ministre, Mohamed Ibrahim Egal, renoncent à réunir les Somalis.
Mais, en octobre 1969, Sharmarke est victime d’un assassinat à la faveur duquel une junte militaire s’empare du pouvoir. À la tête des putschistes, le général Siad Barré. Socialiste laïc, il est gagné par le démon pansomali et engage son pays, en 1977, dans un conflit avec l’Éthiopie, pour prendre le contrôle de l’Ogaden. « Je suis venu au pouvoir pour unifier les Somalis, et rien ne me détournera de ce chemin », déclare-t-il. Lâché par son allié russe, Siad Barré est battu. La République de Somalie, qui avait changé son nom en « République démocratique de Somalie », devient dictature. Les mouvements d’opposition sont écrasés dans la violence. Assistée, la Somalie n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même : en 1987, 70 % de son budget provient de l’aide internationale.
Début 1991, les insurgés parviennent à Mogadiscio. Le 27 janvier, après quatre semaines de combats d’une violence extrême, la ville tombe. Siad Barré prend la fuite. Pas de chance : ce jour-là, le monde a les yeux rivés sur le Koweït.
Échec flagrant
« État failli » : tel est, depuis vingt ans, le qualificatif de l’État somalien, qui a contribué à l’émergence d’un concept aujourd’hui enseigné dans les écoles de sciences politiques. Les factions révolutionnaires n’ont pas trouvé d’accord après la chute du dictateur, et aucune autorité centrale n’administre plus la Somalie. Pour y remédier, et parce qu’ils sont choqués par les images d’une très dure famine, les États-Unis puis l’ONU débarquent en décembre 1992 : c’est la première intervention « militaro-humanitaire » du XXe siècle.
Trois ans, 30 000 hommes et trois opérations de maintien de la paix plus tard, l’échec est flagrant. Les images des corps de marines traînés dans les rues par des pick-up traumatisent les Américains, qui n’ont plus jamais engagé un seul soldat dans un conflit africain. Elle aussi échaudée, l’ONU décide de formaliser et de durcir les critères d’engagement de Casques bleus en zone de guerre. Autant de changements doctrinaux qui ont plus alimenté les manuels de géopolitique que les Somaliens.
Depuis 1997, des gouvernements de paille ont été mis en place à la faveur de médiations internationales. En réalité, les seigneurs de guerre, qui s’appuient sur des réseaux claniques et mafieux, se partagent le territoire dans la violence.
En 2006, l’Union des tribunaux islamiques (UTI), fondée quelques années plus tôt, s’empare de Mogadiscio. Dirigée par des notables, l’UTI rétablit un ordre depuis longtemps disparu, mais n’a pas le temps de se structurer politiquement : Addis-Abeba préfère un voisin affaibli, tandis que les États-Unis assimilent, de manière abusive, l’UTI aux cellules terroristes très probablement cachées en Somalie et responsables des attentats de 1998 contre leurs ambassades au Kenya et en Tanzanie. L’armée éthiopienne pénètre donc en Somalie, en décembre 2006, et Washington procède à des bombardements ciblés. L’UTI est renversée, et ses membres vont grossir les rangs de groupes bien plus radicaux qui cherchent dans un islam dévoyé une nouvelle identité somalienne.
Sous perfusion
De tradition soufie modérée, l’islam somalien est aujourd’hui devenu caricature. Dernières injonctions des milices islamistes : barbe obligatoire et musique prohibée. Deux principaux groupes de miliciens contrôlent, parfois ensemble, parfois l’un contre l’autre, de vastes zones du sud et du centre du pays, et notamment les villes de Merka, Kismayo et Baidoa. Les combattants du Hizb al-Islam (Parti de l’islam) et des Shebab (les « jeunes »), qui se sont affiliés à Al-Qaïda en 2007, font également le siège de la minuscule enclave qui abrite, à Mogadiscio, les institutions du gouvernement fédéral de transition (GFT).
Réinstallé dans la capitale somalienne en 2007, après avoir été hébergé au Kenya puis dans les villes de Jowhar et de Baidoa, le GFT vit aujourd’hui sous perfusion internationale. Depuis dix-huit mois, le président Cheikh Sharif Cheikh Ahmed, un ancien chef de l’UTI, et son Premier ministre, Omar Abdirashid Sharmarke, le fils de l’ancien président, ne ménagent pas leurs efforts. Mais les pays occidentaux qui les financent s’impliquent surtout dans la lutte contre la piraterie et s’attaquent plus aux symptômes du chaos qu’à ses causes, si complexes.
Les 4 900 Ougandais de la force de maintien de la paix de l’Union africaine (Amisom), arrivés début 2007, n’ont pas les moyens de protéger la population. Alors les Somaliens se débrouillent, en l’absence de services publics et malgré le couvre-feu, en vigueur après 16 heures chaque après-midi. Sur 10 millions d’habitants, 100 000 ont fui le pays en 2009. Cinquante ans après la création d’un État tronqué, le drapeau étoilé est interdit par les Shebab. Et la Somalie ne connaît ni la paix ni l’unité.
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