Mounana, entre attente et suspicion
Accusé de négligence, le groupe Areva s’est engagé à fournir un suivi médical aux anciens employés de la mine d’uranium. Un an plus tard, les consultations n’ont toujours pas commencé.
L’accord était annoncé comme « sans précédent ». Il y a un an, menacé de poursuites judiciaires, le groupe français Areva signait une convention avec les associations Sherpa et Médecins du monde, et s’engageait à créer des observatoires de la santé autour des sites d’exploitation d’uranium, qu’ils soient ou non encore en activité. Ces structures étaient censées permettre le suivi médical des anciens mineurs, ainsi qu’une veille sanitaire des populations riveraines. Mais les mois ont passé et les consultations n’ont toujours pas commencé.
Les associations, qui se sont rangées aux côtés des anciens mineurs au Niger et au Gabon, se défendent pourtant d’avoir été abusées par le géant de l’énergie. Selon le vice-président de Sherpa, Jean-Pierre Getti, le retard accumulé est dû à la transition politique consécutive au décès du président Omar Bongo Ondimba. Même chose au Niger, où les lenteurs sont imputées aux soubresauts de la vie politique. « Nous sommes prêts à lancer les observatoires, explique Jean-Pierre Getti. Il faut tout simplement que le dossier avance du côté des autorités pour démarrer les examens médicaux, les éventuelles prises en charge, ou pour que les indemnisations commencent. »
Des rapports alarmants
En attendant, pour des centaines d’anciens salariés de la mine d’uranium de Mounana, petite ville nichée dans une cuvette du montagneux Haut-Ogooué, dans le sud-est du Gabon, la vie s’est arrêtée. Depuis que la mine a fermé, en juin 1999, après quarante années d’exploitation, Mounana vit comme figée dans le passé : la Compagnie minière d’uranium de Franceville (Comuf), filiale à 68,4 % d’Areva, qui exploitait la mine depuis 1960, a construit les écoles, les logements et les centres de loisirs. Elle a également aménagé les routes, installé la poste, créé le collège. Les centaines de salariés expatriés qui lui donnaient cette allure de ville cosmopolite et prospère sont partis. Près de 3 000 travailleurs locaux se sont retrouvés sans emploi. Certains sont allés chercher fortune ailleurs. Ceux qui sont restés vivent dans la peur des retombées radioactives héritées de la longue exploitation de la mine. Selon Areva, en quarante ans, 26 000 tonnes d’uranium sont sorties de la mine de Mounana.
Depuis l’arrêt de l’extraction, des rapports alarmants entretiennent la psychose. Celui publié en mars 2009 par la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) – une association française – a révélé un taux de radiations supérieur à la normale dans certains points de la ville. Selon la Criirad, la Comuf « a produit 7,5 millions de tonnes de boues radioactives, dont 2 millions de tonnes ont été déversées dans une rivière. Une partie de ces déchets radioactifs est à l’air libre dans la forêt voisine ». Plus loin, l’ONG soutient que des mesures effectuées en 2009 montrent que les logements des cadres et des ouvriers de la Comuf ont été construits avec des matériaux radioactifs : « Les populations sont ainsi soumises à leur insu à des doses de radiations totalement injustifiées », conclut la Criirad. Les craintes se portent également sur les déchets enfouis sous la latérite non loin du site. Des résidus potentiellement dangereux pour la santé et dont certains pourraient rester radioactifs pendant des milliers d’années.
« L’enquête de la Criirad n’a pas été effectuée sur la base d’une méthode scientifique rigoureuse », se défend-on chez Areva. Le groupe nucléaire français en veut pour preuve le fait que la commission locale de surveillance qu’il a mise en place a, elle aussi, mené une étude d’impact environnemental ; ses résultats, rendus publics le 27 mai dernier, ne confirment pas les conclusions de la Criirad. Quant à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), elle a assuré aux autorités gabonaises que la réhabilitation du site opérée par Areva avait été faite dans de « bonnes conditions et ne présent[ait] pas de danger, de risque majeur pour la santé ou l’environnement », argumente Alain Acker, directeur médical du groupe (voir interview).
Néanmoins, la peur a fait naître un climat de suspicion à l’égard du groupe et de sa filiale, que la Criirad accuse de « négligence fautive ». En décembre 2009, la municipalité de Mounana, tenue par l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD), un parti de l’opposition récemment absorbé par l’Union nationale (UN), a accusé la Comuf d’avoir permis à une entreprise sous-traitante, Geofor, de déverser des déchets toxiques sur un site qu’elle était censée réhabiliter et surveiller. La commune de Mounana a porté plainte contre X. Montrée du doigt, la Comuf assure n’y être pour rien et a introduit une plainte similaire auprès du parquet local.
Le dossier est sensible pour le gouvernement, accusé d’avoir « oublié » Mounana depuis la rupture, en janvier 2001, entre Zacharie Myboto, baron local et désormais président de l’UN, et le régime de feu Omar Bongo Ondimba. Lors des municipales de 2008, sa fille, Chantal Myboto-Gondjout, elle aussi rattachée à l’UN, a arraché la commune au parti au pouvoir, le Parti démocratique gabonais (PDG). Bienvenue dans le marigot local.
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