Manuel Antonio Noriega, le soldat déchu de l’Empire américain
L’ancien chef de l’État panaméen a été condamné à sept ans de prison et à la saisie de 2,3 millions d’euros pour blanchiment d’argent de la drogue par le tribunal correctionnel de Paris, mercredi. Retour sur le parcours d’un pilier de la politique des États-Unis en Amérique Latine.
Un surnom à tomber par terre – cara de piña (« face d’ananas ») –, qui lui vient de son visage grêlé. Un look de petite frappe hispano – cheveux en arrière et regard dur – prête à tout pour se faire une place au soleil noir des cartels. Une attitude à la Michael Corleone, le chef mafieux joué par Al Pacino dans Le Parrain, tantôt comique, tantôt effrayant, mais toujours fascinant… La vie de Manuel Antonio Noriega, ex-gamin des bidonvilles de la cité de Panamá devenu informateur, manipulateur, puis dictateur, avant d’échouer dans des geôles étrangères, ferait un excellent scénario hollywoodien. En 1992, le Washington Post n’écrivait-il pas que « ce personnage infâme est une créature américaine » ?
Extradé des États-Unis le 26 avril après vingt ans passés à la prison de Miami, c’est à Paris que l’ancien homme fort du Panamá, accusé par la justice française de blanchiment d’argent, pourrait finir ses jours. Au cours des trois journées de son procès, fin juin, le vieil homme (76 ans) est apparu usé, fébrile. Condamné par contumace en 1999 à dix ans de réclusion et 13,5 millions d’euros d’amende, Noriega avait fait appel – d’où ce second procès. À l’issue d’un débat peu instructif, le procureur a requis la même peine.
Malgré des conditions de détention à la prison de la Santé qualifiées d’indignes par ses avocats – sans comparaison, en tout cas, avec la « suite » de trois cellules, avec bureau et fax, que lui avaient allouée les Américains en tant que prisonnier de guerre –, Noriega, costume sombre, chemise blanche et cravate rouge, a d’abord retrouvé la fougue de sa jeunesse : « Je suis victime du même complot que celui orchestré contre moi par les États-Unis. Ils m’ont accusé d’être un voleur, un assassin, un corrompu, un tyran et, pour finir, un narcotrafiquant. » Et puis, quand la présidente du tribunal est entrée dans les détails de ce qui lui est reproché – le blanchiment, via la France, en 1988 et 1989, de plusieurs millions d’euros tirés du trafic de drogue –, il s’est tassé sur sa chaise. Son visage taillé à la serpe a disparu derrière le muret de son box…
Qualifié de « Néron tropical » lors de sa chute, Noriega cumulait beaucoup de tares. Un rapport de l’administration américaine le juge alcoolique, sanguinaire, violent, ambitieux, mais aussi « intelligent ». Des monstres, l’Amérique latine en a produit beaucoup. Et Washington les a toujours soutenus jusqu’au bout. Pourquoi pas lui ? Bonne question.
Pilier de la politique américaine
Né de père inconnu, le jeune Noriega s’est construit dans l’adversité. « La pauvreté m’a appris à me battre », dit-il. À se vendre aussi – ou plutôt à se louer. Aux Américains, d’abord ; puis aux Cubains ; peut-être aussi aux Russes. Au cours de ses années d’études à l’école militaire de Lima, au Pérou, la CIA l’utilise comme informateur, avant d’en faire l’un des piliers de la politique américaine en Amérique centrale.
À son retour du Pérou, il est repéré par Omar Torrijos, un nationaliste qui prendra le pouvoir en 1968 et le placera à la tête du service de renseignement de l’armée. Son mentor était-il au courant de sa double vie ? Mystère. En 1981, Torrijos meurt dans un curieux accident d’avion. Deux ans plus tard, Noriega prend la tête de l’armée. Jusqu’en 1989, les présidents fantoches se succèdent, mais c’est lui qui décide. Il rêve de poursuivre l’œuvre de Torrijos, l’homme qui, en 1977, arracha aux États-Unis un accord transférant le contrôle du canal de Panamá aux autorités locales. Hélas, il n’en a pas la stature.
Après sa prise du pouvoir, Noriega reste l’homme des Américains. En 1982, pendant la guerre des Malouines, il vend, à la demande de la CIA, des missiles à l’Argentine. Plus tard, il servira de médiateur entre Ronald Reagan et Fidel Castro. « Les États-Unis ont cru en moi », a-t-il rappelé, à Paris. Pourquoi, dès lors, ont-ils envoyé des milliers de soldats pour le renverser ? Est-ce parce que, depuis plusieurs mois, il jouait sur le sentiment « antigringos » afin d’amadouer le peuple ? Parce qu’il était soupçonné d’avoir livré des secrets aux Russes et aux Cubains ? Ou parce qu’il refusait d’être « un béni-oui-oui », comme il l’assure depuis vingt ans ?
Les bonnes relations avec Paris
Sa descente aux enfers aura lieu en deux étapes. En décembre 1989, l’opération Juste cause le renverse, tuant au passage entre 3 000 et 5 000 Panaméens ; puis, en 1992, la justice américaine le condamne à quarante ans de réclusion pour trafic de drogue (ramenés à dix-sept ans pour bonne conduite). Mais les ennuis de Noriega avec « l’Empire » ont commencé dès 1986. Il fraye alors un peu trop avec le cartel de Medellín, tandis que le Panamá devient une plaque tournante du trafic de cocaïne. Noriega s’est toujours défendu d’y avoir trempé, mais les justices américaine et française n’en croient rien. Au début des années 1980, Noriega s’achète trois appartements de grande valeur à Paris. Sa femme et ses trois filles font le bonheur des magasins de luxe. Mais Noriega fréquente aussi des militaires de haut rang, des responsables socialistes, et est en contact avec François Mitterrand. « Depuis 1977, j’ai été en relation avec la France à tous les niveaux : politique, militaire, économique et culturel », soutient-il.
Le premier jour de son procès, le vieil homme a arboré la Légion d’honneur qui lui a été décernée en 1987. Ses avocats ont rappelé que le statut de prisonnier de guerre accordé par Washington devrait interdire qu’il soit jugé en France. Me Metzner, l’un de ses avocats, a demandé aux juges de tenir compte de « ce qu’il a fait pour les États-Unis et la France », et de l’autoriser à rentrer dans son pays, où il a été condamné pour l’assassinat de deux opposants. Mais rien à faire : pour le procureur, il n’est qu’un « délinquant de droit commun ». Un délinquant à qui la France avait quand même jugé bon de remettre sa plus haute distinction.
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