C’est où, la France ?
Dans mon dernier « Post-scriptum », je vous promettais de parler d’autre chose que de l’actualité qui nous explique que rien n’est explicable et des politiques qui nous prennent pour des idiots. Je vous confiais ma crainte de vous lasser avec ces débats sur le voile et cet islam qui n’en finissent pas de rebondir. Après tout, il n’y a pas que cela dans le monde. Faut aller voir ailleurs, de l’air, du rire, de la vie, toute simple. J’ai tenu parole. Me voici dans mon petit village au fin fond de la Tunisie.
Ici, pas de télé ni de journaux. Jeune Afrique ? Il n’y a que l’instituteur retraité qui en a entendu parler. Et puis ça sert à quoi de lire ? Il vaut mieux scruter le ciel pour la récolte ou chuchoter à l’oreille des morts. Eux, au moins, ne donnent jamais une fausse information : ils ne parlent pas.
Ici, les voilées et les dévoilées se côtoient. Personne ne s’aviserait de philosopher sur la question. « Ils sont fous ces Français, ils adorent s’arracher les cheveux. Nous, on s’en fiche. » C’est l’instituteur qui parle. Il adore passer son temps à ne rien faire. Avec une certaine fierté, il affirme qu’il « s’ennuie quand il ne s’ennuie pas ». Qu’il est retraité depuis belle lurette. Qu’il ne lui viendrait pas à l’idée d’aller se chamailler avec l’État pour des subsides. L’aube l’émerveille et l’étoile du berger lui indique à quel point tout file vite et qu’un verre de thé sous l’olivier vaut mieux qu’une cagnotte de la Française des jeux !
Mon village, je l’ai vécu. Vraiment vécu. Le rituel qui consiste à accueillir le printemps en sortant dans les champs ; le cimetière où les femmes se confessent auprès des tombes ; le voisin dont le cadavre est revenu de la capitale enveloppé dans le carton d’emballage d’un poste de télévision. Je sursautais chaque matin au chant du muezzin, oubliant les discordes provoquées ailleurs par les minarets. J’ai suivi le marchandage de la voisine avec un vendeur de poulets. Elle voulait le volatile contre deux mesures de blé. Au souk hebdomadaire, quelqu’un a dit qu’on va bientôt élire le maire, puis les capuches ont recouvert les têtes car le ciel s’est mis à crachoter et quelqu’un d’autre a lancé que la récolte risquait d’être mauvaise. Exit le maire. Il ne commande pas à la pluie. J’ai marché entre les stands de légumes, de sacs de contrefaçon et de cassettes de musique piratée, le monde entier s’est mis dans un mouchoir pour me plaire. C’est quoi la France ? Et ces débats sur la burqa ? C’est où déjà, la France ?
Au moment où j’ai eu la confirmation qu’on peut survivre aux polémiques de « là-bas », le téléphone a sonné. Au bout du fil, un accent suisse : « C’est pour une interview sur le voile et les minarets. » Je vous jure ! Vous devinez ce que j’ai fait ? Eh bien, je me suis prêtée au jeu des questions, débattant des principes, gesticulant des mains. Si l’instituteur de mon village était passé à cet instant-là, il aurait pensé que j’annonçais une guerre imminente. Et j’aurais eu tellement honte. Dire que je commençais à croire que tout ce qui était loin de la terre natale n’était que littérature…
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