Galeries marocaines : À la recherche d’un rayonnement international

Signe d’un marché de l’art naissant, de nombreuses galeries essaiment à travers le royaume chérifien. Même si peu d’entre elles bénéficient d’une reconnaissance à l’étranger, elles apportent aux artistes la visibilité dont ils ont besoin.

Clichés de Reza Aramesh exposés à la CMOOA Galerie (Rabat). © Fouad Maazouz. Courtesy CMOOA Galerie

Clichés de Reza Aramesh exposés à la CMOOA Galerie (Rabat). © Fouad Maazouz. Courtesy CMOOA Galerie

Publié le 1 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

Jusqu’à il y a peu, les instituts culturels étrangers et les quelques salles gérées par le ministère de la Culture constituaient les rares endroits au Maroc où l’on pouvait découvrir la création plastique actuelle. Depuis deux ou trois ans, une nouvelle génération de galeristes férus d’art contemporain ont ouvert leurs portes un peu partout dans le royaume : à Casablanca, à Marrakech, à Tanger et à Rabat. Si bien qu’aujourd’hui on en dénombre près de soixante-dix. Elles ne se valent évidemment pas toutes et n’ont pas toutes des carnets d’adresses qui leur permettent de vendre une bonne partie de ce qu’elles accrochent à leurs cimaises le soir même du vernissage.

L’une des plus dynamiques d’entre elles est certainement L’Atelier 21 : ouverte depuis seulement 2008, elle peut déjà s’enorgueillir d’une reconnaissance internationale. Lors de la dernière édition d’« Art Paris+Guests », qui s’est tenue en mars dernier au Grand Palais, à Paris, cette galerie casablancaise était la seule originaire du monde arabe et du continent africain. Codirigé depuis son ouverture par Aziz Daki, un ancien journaliste et critique d’art, et Aïcha Amor, ex-directrice de la communication d’une grande banque de la place, L’Atelier 21 ratisse large, et cela semble lui réussir. « Tout en défendant l’art contemporain, nous tenons à ne pas nous fermer à la peinture. Ainsi, nous n’opposons pas les artistes qui utilisent de nouveaux médiums aux peintres », explique Aziz Daki.

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Dans son escarcelle trouvent place aussi bien des valeurs sûres, comme Mahi Binebine et Fouad Bellamine (parmi ceux qui rapportent le plus à la galerie), que des artistes confirmés, à l’instar de Yamou (à découvrir du 1er au 24 juillet à la galerie Chauchet, à Londres) et de Hassan Darsi, ainsi que de jeunes talents telle Safaa Erruas. Les signatures les plus prisées par la clientèle de L’Atelier 21 sont Fouad Bellamine, Yamou, Mohamed El Baz et Majida Khattari. Pour partir avec une de leurs œuvres, comptez entre 800 et 30 000 euros.

Le rêve de se frayer un chemin

Autre lieu introduit dans les circuits internationaux, la Galerie 127, qui est implantée à Marrakech et qui a participé à l’automne 2009 à la prestigieuse manifestation « Paris Photo ». Géré depuis son ouverture en 2006 par Nathalie Locatelli, cet espace est exclusivement dédié à la photographie contemporaine. « On y voit de grands photographes étrangers qui ont travaillé sur le Maroc, comme Toni Catany ou Gérard Rondeau, mais aussi des photographes marocains jeunes ou confirmés, comme Fatima Mazmouz, Khalil Nemmaoui, Ali Chraibi, Carolle Benitah ou Malik Nejmi », souligne Marie Moignard, commissaire d’exposition et auteure de Une histoire de la photographie marocaine (à paraître aux éditions du Cherche Midi).

Se frayer un chemin jusqu’à la scène artistique mondiale, tout galeriste en rêve, mais encore faut-il remplir les conditions pour avoir une chance d’être sélectionné par le commissariat d’une des foires réputées comme la Fiac, Art Basel, Frieze Art Fair ou Arco. Fatma Jellal,­ la directrice de la prometteuse Galerie FJ, qui a ouvert en décembre 2008 à Casablanca, dit s’y préparer comme on le fait pour les Jeux olympiques. La particularité de cet espace est qu’il accueille en résidence (de deux semaines à neuf mois) avec prise en charge de leur séjour et de leur production la plupart des artistes qui font l’objet d’une exposition individuelle. Les heureux élus qui travaillent avec la Galerie FJ ? Faouzi Laatiris, Younès Rahmoun, Meryem El Alj, Guy Limone ou encore Ninar Esber.

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Du côté des plasticiens, on se réjouit forcément de la multiplication des lieux dédiés à la création contemporaine. Pour Hassan Darsi, les jeunes galeries ont maintenu les pratiques anciennes en termes de marges (50 %), mais se sont adaptées en acceptant les exigences des artistes contemporains. « Elles produisent en partie le travail exposé, ou éditent des monographies, ou encore exposent des œuvres sachant qu’elles ne trouveront pas acquéreur », souligne ce plasticien représenté par L’Atelier 21, l’une des galeries qui produisent ou coproduisent la majorité de leurs artistes. Qu’exigent-elles en échange ? « On demande une exclusivité sur Casablanca et Rabat. Les artistes contemporains acceptent, les autres refusent. L’exclusivité n’est pas encore dans les habitudes », constate Aziz Daki. Idem pour Chokri Bentaouit, directeur de la galerie tangéroise Dar d’Art, pour qui la plupart des artistes marocains ne sont pas encore prêts pour l’exclusivité.

« Bédouine »

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Effectivement, Binebine, l’une des signatures qui rapportent le plus à L’Atelier 21, s’est également très bien vendu (plus de 30 000 euros) moins de 100 km plus loin, à la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art (CMOOA), qui a ouvert ses portes à Rabat en juin 2009. Située dans une rue chic du Haut-Agdal, cette galerie, appartenant au groupe Art Holding Morocco, a choisi pour le moment de présenter des artistes déjà confirmés sur la scène internationale, mais n’exclut pas dans un avenir proche de représenter et d’accompagner des talents moins établis. Une stratégie qui lui réussit doublement. Elle a une programmation bien distincte des autres galeries, et privés et institutionnels s’arrachent les pointures qu’elle expose­. « On a fait de belles ventes depuis l’ouverture. Outre les œuvres de Binebine, la série « Bédouine », de la photographe tunisienne Meriem Bouderbala, s’est vendue à 22 000 euros. Reza Aramesh plaît beaucoup. Près de huit photos sur dix ont été écoulées le soir même du vernissage ! » se réjouit Zineb El Fihri, la directrice artistique des lieux. 

Bouchra in Derb, de Hassan Hajjaj (© Hassan Hajjaj)

Effet de mimétisme

Le marché de l’art contemporain se porterait donc bien ? « Il n’existe pas encore de marché », tranche Fatma Jellal. « Il y a une volonté de la part de quelques intellectuels qui soutiennent à eux seuls la création contemporaine au Maroc. Les grosses fortunes sont souvent dans la spéculation et fonctionnent la plupart du temps par mimétisme, même s’il s’agit de croûtes », poursuit-elle. Cette ambitieuse galeriste espère apporter sa contribution à l’émergence d’un marché en positionnant les artistes qu’elle défend sur la scène artistique internationale. « Lorsque nos artistes se confronteront à des artistes contemporains internationaux, présents à des événements incontournables pour les collectionneurs du monde entier, alors nous pourrons parler de “marché” », conclut-elle.

Son de cloche différent pour Zineb El Fihri, qui estime qu’il y a non seulement un marché mais que l’on assiste à une embellie qui « doit beaucoup au roi Mohammed VI, lequel, ces dernières années, a acquis de nombreuses œuvres d’artistes modernes et contemporains ». « L’effet de mimétisme aidant, c’est toute la jet-set marocaine­ qui se rue aujourd’hui sur la peinture. Résultat : la cote des artistes flambe, les galeries se multiplient… l’art est enfin devenu un marché », poursuit-elle, avant de reconnaître qu’il reste essentiellement domestique. « En raison de lois à l’export obsolètes, le marché n’atteint pas tout son potentiel », souligne-t-elle.

Néanmoins, l’engouement pour l’art contemporain est indéniable. Pour preuve, la tenue du 9 au 11 octobre prochain de Marrakech Art Fair, la première foire d’art contemporain à vocation internationale implantée au Maroc. Y sont attendues une cinquantaine de galeries du Maroc, d’Europe et du Moyen-Orient. Reste à savoir quel succès l’événement rencontrera.

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