Le 2iE, un rempart contre le « brain drain »
L’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement, plus connu sous l’acronyme 2iE à Ouagadougou, est devenu une référence. Malgré un coût élevé, l’école présente des atouts certains contre le « brain drain » ou la fuite des cerveaux vers l’étranger.
Le costume et la cravate sont du plus bel effet. Michel N’Guessan a l’assurance d’un patron chevronné. Discours bien rodé, maniement du micro parfaitement maîtrisé, regards récurrents en direction de l’auditoire visiblement travaillés. C’est peut-être ça le « savoir être » prôné par Paul Giniès, le directeur général de l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE), un établissement cité en exemple par Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement (BAD), lors du dernier sommet Afrique-France, le 1er juin.
Il ne faut pas se fier aux apparences : Michel n’est encore qu’un étudiant. Comme cinq autres de ses camarades, ce vendredi 7 mai dans l’amphithéâtre du 2iE, au cœur de Ouagadougou, le jeune Ivoirien compte bien gagner le concours “meilleur projet de création d’entreprise d’étudiant” qui clôt les Journées entreprises de l’institut. Selon lui, sa future société révolutionnera le ramassage des ordures à Abidjan. Pour cela, il lui faudra emprunter, mais il assure être en mesure d’investir, avec un ami, 48 millions de F CFA (73 000 euros). Il possède d’ores et déjà, dit-il, un terrain de 3 ha et un 4×4. Rien que ça…
Taux d’emploi élevé à la sortie
Juste en face, l’ambiance de l’université de Ouagadougou est tout autre. Dans les amphithéâtres surchargés, on en est certain : les pensionnaires de l’institut, « ce sont des nantis qui bénéficient de tout, quand nous n’avons rien », peste Emmanuel Ouédrago, inscrit en deuxième cycle de sciences économiques. Conditions de travail, méthodes, financements : ce sont deux mondes – deux époques – qui se font face. Mais à l’image de la ruelle de terre qui sépare la fac du 2iE, le fossé entre les deux n’est pas si large et il n’est pas rare que des enseignants et des étudiants de l’université le traversent.
C’est l’assurance, pour les premiers, d’une revalorisation salariale importante ; pour les seconds, d’une intégration rapide dans le monde du travail : selon les chiffres de l’institut, 90 % des diplômés trouvent un emploi dans les six mois qui suivent leur sortie – et 100 % un an après. Une réussite exceptionnelle que Paul Giniès explique par la nouvelle stratégie de l’école : « Nous formons des ingénieurs adaptés aux réalités du terrain et aux besoins des entreprises. »
Communicant hors pair
L’homme, 58 ans, est bien plus qu’un diplômé en ingénierie rurale, c’est un communicant hors pair. Lorsqu’il a pris la tête de l’institut, en 2005, celui-ci était au bord de la faillite. Le système mis en place lors de sa création en 1969 par quatorze États ouest-africains (sous l’appellation Eier-Etsher) ne fonctionnait plus. « La réforme était inévitable », indique le directeur.
Sous sa houlette, le 2iE se transforme en école privée, adopte le système licence-master-doctorat, développe des unités de recherche, se positionne sur les filières du « green business », multiplie les sources de financement (Banque mondiale, Agence française de développement, entreprises), construit amphithéâtres et logements, et « recrute » les étudiants. En 2004, l’institut en comptait 220. Aujourd’hui, il en dénombre 870 – dont 60 % d’étrangers. À terme, il pourra en accueillir 2 500.
La clé de la réussite, symbolisée par la reconnaissance des diplômes au niveau européen, est à chercher dans le lien tissé avec les entreprises. Après un accord avec Sogea-Satom, le 2iE vient de conclure un partenariat avec Total en vue d’échanges d’expériences et de savoir-faire. Une fierté, puisque la multinationale n’a sélectionné, dans le cadre de ce programme, qu’une seule école d’Afrique francophone. « Un choix assez naturel », concède Florence Varescon, chef de projet éducation à Total.
« Même le CNRS ne fait pas ça ! »
Mais pour nombre d’enseignants, le succès est surtout lié au directeur lui-même. « Il a apporté une envie et des idées », analyse Yézouma Coulibaly, le doyen. Une crédibilité aussi. Yao Azoumah, enseignant-chercheur en génie énergétique, peut en témoigner. Jamais ce Togolais de 32 ans, qui enseignait auparavant au Canada, n’aurait pensé revenir sur le continent. Puis un jour, on lui a parlé du 2iE : il postule et se rend compte du « sérieux » de l’institut lorsqu’on lui propose de lui payer le billet d’avion jusqu’à Paris pour passer un entretien d’embauche.
« Même le CNRS [Centre national de la recherche scientifique, à Paris, NDLR] ne fait pas ça ! » s’étonne-t-il. Aujourd’hui, Yao Azoumah est fier de participer à cette aventure : « Le 2iE est un défi, car il représente l’Afrique qui gagne en comptant sur ses propres valeurs », dit-il.
Tout n’est cependant pas parfait : « On doit consolider ce modèle, améliorer les procédures de recherche et se donner les moyens de garder le personnel. » Sous le vernis d’une communication tous azimuts, la réalité est même fragile. Malgré ce que laissent penser les affiches montrant des jeunes portant toges et toques, le 2iE est encore loin du modèle américain. « Mais on est aussi loin de l’image rétrograde des universités africaines », rétorque un enseignant. « Grâce au 2iE, on pourra maintenir en Afrique la matière grise », avait déclaré Louis Michel, alors commissaire européen au Développement, lors d’une visite en 2008. C’est déjà beaucoup.
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