Splendeurs et mystères de Moustapha Tall
Le PDG du holding Tall Company est en procès contre un fournisseur néerlandais. S’il gagne, l’image controversée de l’importateur sénégalais de riz pourrait s’en trouver redorée. Retour sur un parcours qui suscite l’admiration autant qu’il intrigue.
Rue Raffenel, à Dakar. Il discute un moment avec un badaud, sort une pièce de sa poche, la donne et se fait remercier en wolof. Sur ces images d’un reportage diffusé en avril sur la chaîne franco-allemande Arte (Main basse sur le riz), Moustapha Tall, l’un des plus gros importateurs de produits agroalimentaires du Sénégal (notamment de riz, avec 200 000 t par an). Ce Sénégalais de 55 ans n’est sorti de l’ombre qu’en 2004, après avoir passé un an en prison pour fraude fiscale lors d’importations de sucre. Des faits qu’il a toujours niés.
Aujourd’hui, il tente de médiatiser une autre affaire : son procès avec la société de trading Nidera, qu’il accuse d’avoir empoché la prime d’assurance d’une de ses cargaisons de riz, perdue en mer en mars 2008 et jamais remplacée. Sous les menaces de l’importateur, la société néerlandaise aurait en outre annulé deux contrats, et ce en pleine pénurie. Le préjudice est estimé à 4,7 millions d’euros. Le procès – repoussé une première fois – se tient à la Cour arbitrale de Londres. Le verdicte devrait tomber prochainement.
« Obama du riz »
Depuis 2004, Moustapha Tall est un habitué des médias : en 2008, pendant la crise alimentaire, il est soupçonné non seulement d’être l’un des responsables de la flambée des prix à Dakar, mais aussi d’avoir revendu du riz subventionné au prix fort dans les pays voisins. Il s’en défend, et mène une opération de communication dans toute la capitale : des vendeurs parcourent les rues affublés de tee-shirts à son effigie. Devant cette campagne, d’aucuns finissent par l’affubler du sobriquet d’« Obama du riz ». La même année, l’organisme suisse Business Initiative Directions (BID) le qualifie de « référence patronale pour les opérateurs économiques africains », lors de la remise du 33e International Star Award for Quality.
Retour rue Raffenel, au siège du holding Tall Company. Un gardien prévient la secrétaire. Dans la salle d’attente, un homme d’affaires asiatique patiente. La porte capitonnée s’ouvre sur une vaste pièce climatisée. Moustapha Tall, physique imposant, visage aux traits épais, se lève de son bureau. L’accueil est chaleureux et la poignée de main – épaisse et calleuse – ferme. « Je suis parti de rien et, aujourd’hui, ce que j’ai appris vaut des milliards », confie-t-il. Neveu d’un commerçant de Kaolack, à 200 km de la capitale, il reprend la gestion du magasin de son oncle en 1972. Il n’a que 17 ans. « On n’est pas allés à l’école longtemps, on préférait gagner de l’argent, aime à raconter son ami d’enfance Bayoussou Soumano. Lui savait ce qu’il voulait, il était plus économe que nous ! C’est un battant qui ne se laisse pas faire. Il a réussi à s’imposer, et ce n’est pas facile en Afrique. »
L’intéressé se souvient : « Le gestionnaire du magasin était parti avec la caisse, j’ai retrouvé les comptes en piteux état. J’ai relevé l’affaire, je l’ai fait prospérer. Mais mon oncle ne me payait pas, il ne m’a rien donné, je ne pouvais pas entretenir une famille », explique Moustapha Tall, aujourd’hui père d’un adolescent de 13 ans. C’est pourquoi il décide, après son mariage, en 1979, de laisser le commerce à son cousin. « J’ai fait l’inventaire et recouvré toutes les créances avant de partir. » Arrivé à Dakar en 1980, sans un sou mais avec le soutien d’anciens clients, il cherche à récupérer auprès de commerçants en cessation d’activité des quotas de sucre attribués par la Compagnie sucrière du Sénégal (CSS), basée près de Saint-Louis, dans le nord du pays (l’État contrôle le business du sucre en délivrant des quotas au compte-gouttes).
Ses anciennes relations – des grossistes – lui assurent un débouché en lui achetant la marchandise avant de l’écouler sur la région de Kaolack – « je leur proposais un produit difficile à trouver à l’époque », raconte Tall –, et lui avancent l’argent pour payer la CSS. Au bout de quelques années, il se constitue un capital de 10 millions de F CFA (environ 15 000 euros). « J’ai pu ouvrir mon premier fonds de commerce » : deux pièces réunies et ouvertes sur une rue populaire constitueront son premier magasin. « Au bout de quelques années, je gagnais 300 000 F CFA par semaine », se rappelle-t-il. Sans cacher qu’il lui aura fallu, parfois, accorder quelques largesses à certaines personnes pour se faire une place…
Il se pose en bienfaiteur
De l’avis des hommes d’affaires sénégalais, qui le connaissent de près ou de loin, Moustapha Tall est « une personnalité ». « Il est très intelligent et connaît parfaitement les rouages de l’administration », dit-on de lui. Habile, il lui faudra peu de temps pour manier l’art de communiquer : « S’il a pu faire des erreurs au départ, pensant qu’il serait plus heureux caché, il a désormais compris que sa médiatisation pouvait le protéger », assure un proche. Après la libéralisation commerciale de 1986, il cherche le soutien des banques pour se lancer dans l’importation de riz. De 400 millions de F CFA, sa ligne de crédit passe très vite à 1,5 milliard, puis atteint 4 milliards en 2004. Face à ces chiffres, les accusations ont fusé lorsque le prix de la céréale, aliment de base des Sénégalais, a atteint des sommets en 2008. « Je ne gagne presque pas d’argent », s’est toujours défendu Tall. « Ce qui est sûr, c’est que les sommes qu’il manie ne reflètent pas forcément ce qu’il a dans la poche », soutient un dirigeant d’entreprise qui a côtoyé des importateurs lorsqu’il travaillait dans les banques. L’homme d’affaires, lui, accuse les traders et les grossistes – ces derniers se sont multipliés ces dernières années –, et se pose en bienfaiteur qui veut « approvisionner le marché sénégalais en riz de qualité en quantité ».
Reste que le milieu des importateurs reste opaque, et si Moustapha Tall demeure assez vague sur le rôle qu’il joue sur le marché sénégalais, il dénonce volontiers le désordre qui y règne. « Aujourd’hui, n’importe qui peut devenir importateur. Qui nous dit qu’ils ne viennent pas blanchir de l’argent ? » Un moyen pour lui de faire diversion et d’éluder la question des prix. « Il faut avouer que quand il a du riz les prix montent ! » concède un « ami », très proche des milieux économiques sénégalais. Aujourd’hui, celui qui reste fidèle à sa réputation d’homme qui « dit ce qu’il pense » envisage de se retirer du business si les choses ne changent pas. Il estime qu’il faut réorganiser la filière et mieux l’encadrer. Une bataille qu’il compte mener en tant que président du Mouvement des commerçants et importateurs des denrées de première nécessité (MIC-DPN)… et qui ne risque pas, en tout cas, de l’écarter des médias.
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