Le vrai Bigeard

La mort, le 18 juin, de l’un des principaux acteurs de la bataille d’Alger (1957) a suscité de part et d’autre de la Méditerranée des commentaires pour le moins contrastés.

Le général Bigeard, en 1956 : une éthique sélective. © D.R.

Le général Bigeard, en 1956 : une éthique sélective. © D.R.

Renaud de Rochebrune

Publié le 1 juillet 2010 Lecture : 2 minutes.

Savez-vous ce qu’est une « crevette Bigeard » ? En septembre 1957, la « bataille d’Alger », cette brutale opération de reconquête de la capitale de l’Algérie française – alors largement sous le contrôle du FLN – par les paras du général Massu et du colonel Bigeard touche à sa fin. Paul Teitgen, le secrétaire général de la police, est choqué par les méthodes des militaires français. Il a constaté l’« évaporation » mystérieuse de trois mille Algériens arrêtés depuis le début de l’année et, comme il le racontera par la suite, il s’interroge : « J’ai fait le compte. Il en manque trop. Où sont-ils ? Ils avaient disparu. La mer renvoyait des “crevettes Bigeard”. C’est comme ça qu’on appelait les hommes. On mettait leurs pieds dans une bassine de ciment. Quand c’était sec, on les larguait en hélicoptère dans la mer. On ne fait pas la guerre comme ça, ce n’est pas possible. »

Et pourtant si. Ce n’est pas un hasard si le nom de Bigeard était accolé à ces atrocités. Car même s’il n’existe pas de preuve formelle de son implication personnelle, il était à l’époque le plus efficace des officiers français chargés d’éradiquer toute présence de combattants indépendantistes à Alger. Par tous les moyens, y compris la torture.

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Sans regrets

La mort, le 18 juin, du général Marcel Bigeard (94 ans) a suscité des réactions contrastées. À Paris, les plus hautes autorités de l’État et la plupart des médias ont regretté la disparition du « soldat le plus décoré de l’armée française » et mis l’accent sur le courage physique – indéniable – qu’il démontra au cours de la résistance contre les nazis et la guerre d’Indochine. À Alger, on a plutôt évoqué le tortionnaire, notamment par la voix de Louisette Ighilahriz, une militante historique du FLN, qui l’accuse d’avoir assisté aux séances de torture qu’elle a subies, en 1957. Mais aussi l’homme qui a « livré » Larbi Ben M’Hidi, le héros de la guerre d’indépendance, au trop fameux général Aussaresses, qui allait, comme l’on sait, l’assassiner. Seul le commandant Azzedine, ancien responsable FLN de l’Algérois, a tenu des propos plus nuancés, saluant un « grand chef de guerre […] au service d’une mauvaise cause ».

Après la guerre, le général Bigeard a écrit une quinzaine de livres à sa gloire. Jamais il n’y émet le moindre regret sérieux quant aux méthodes employées par l’armée française en Algérie. Alors que d’autres, et notamment Massu, son supérieur, ont fini par s’y résoudre, fût-ce du bout des lèvres. L’auto­critique et moins encore la repentance ne faisaient partie de la culture de ce soldat pittoresque et caricatural, patriote, assurément, mais à l’éthique très sélective.

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