Pourquoi Tel-Aviv a besoin de Damas
Face à une nouvelle donne géostratégique défavorable, de hauts responsables de l’appareil sécuritaire israélien réclament la reprise des pourparlers avec la Syrie.
Certaines personnalités israéliennes influentes commencent à presser le gouvernement de Benyamin Netanyahou de faire la paix avec la Syrie, quitte à en payer le prix : la restitution du Golan à Damas. Dernier épisode en date de cette campagne, l’interview donnée par le général de réserve Uri Saguy, 66 ans, au quotidien Yediot Aharonot, le 11 juin. « Je crois qu’un accord politique avec la Syrie est un impératif national et militaire de la plus haute importance », a-t-il notamment déclaré.
De tous les hauts responsables civils et militaires, Saguy est celui qui connaît le mieux le dossier syrien. Il s’est battu sur le plateau du Golan en 1967 et en 1973, et fut blessé à deux reprises. Il dirigea successivement l’unité d’élite Golani, le département des opérations de l’état-major pendant la guerre du Liban en 1982, le commandement Sud et, entre 1991 et 1995, les services de renseignements militaires. Il a conseillé plusieurs Premiers ministres sur le dossier syrien et conduit les négociations directes avec Damas il y a dix ans. Il appelle aujourd’hui à la reprise de ces discussions. Et reproche à Ehoud Barak de n’avoir pas fait la paix avec la Syrie quand il en a eu l’occasion, en 2000, alors qu’il était Premier ministre – il avait alors fait machine arrière, « manquant une occasion historique ».
Pour Saguy, Israël doit au préalable clamer haut et fort sa volonté de revenir aux frontières du 4 juin 1967, conformément à la promesse orale faite en 1994 par Itzhak Rabin aux États-Unis, avant d’être assassiné par un extrémiste juif en novembre 1995. Il avait bien sûr conditionné le retrait complet du Golan à la satisfaction des demandes israéliennes en matière de sécurité, de frontières, d’exploitation des ressources en eau et de normalisation des relations entre les deux pays. Mais Rabin a délibérément tardé à honorer sa promesse jusqu’à ce qu’il soit trop tard, tandis qu’Ehoud Barak a manqué de courage quand il a été confronté à cette décision cruciale. À la question de savoir si Netanyahou peut faire la paix avec la Syrie, Saguy répond qu’il ignore ses intentions, mais qu’« il en a la capacité, personnellement et politiquement. À lui de décider que c’est son objectif. La situation politique est on ne peut plus propice. Le ministre de la Défense [Ehoud Barak] est derrière lui et l’opposition soutiendra un accord s’il est raisonnable. »
Les dirigeants israéliens, estime Saguy, doivent comprendre qu’un accord avec la Syrie est vital pour le pays. Israël ne peut pas se reposer uniquement sur sa force militaire. Si une autre guerre éclatait, il est probable qu’Israël la remporterait, mais, ensuite, on « reprendrait les discussions au même point ». « Ne pas se résoudre à négocier est en soi une décision, analyse-t-il. Et cela accroît naturellement les risques d’une confrontation militaire. » Le message de Saguy est clair : « Nous devons avoir des entretiens secrets avec la Syrie afin de nous assurer qu’il est possible de relancer les négociations. »
Le rival iranien
Pourquoi un militaire israélien aussi expérimenté que Saguy réclame-t-il la paix avec la Syrie ? D’autres membres haut placés de l’appareil sécuritaire partageraient ses positions, comme le chef d’état-major, Gabi Ashkenazi, le patron du Shin Bet, Yuval Diskin, ou encore le chef du Mossad, Meir Dagan. Tous sont préoccupés par la dégradation de l’image d’Israël dans le monde, y compris aux États-Unis. Dagan aurait même déclaré lors d’un Conseil des ministres que l’État hébreu ne représentait plus un atout pour l’Amérique, mais un fardeau.
L’objectif stratégique immédiat de Tel-Aviv est d’amener la Syrie à prendre ses distances avec l’Iran, que nombre d’Israéliens considèrent comme un rival régional et une menace majeure pour leur sécurité. Or si la Syrie est neutralisée par un traité de paix, alors l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah s’effondrerait et l’hégémonie régionale israélienne serait rétablie. Car le fait que la Turquie ait rejoint l’Iran et la Syrie dans un partenariat de facto inquiète au plus haut point l’État hébreu.
L’autre grand objectif d’Israël est de contrecarrer les ambitions et l’activisme des Palestiniens. Si Damas signait une paix séparée avec Tel-Aviv, les Palestiniens en seraient grandement affaiblis. Et devraient accepter les miettes – des petits bantoustans en Cisjordanie – qu’Israël daignerait leur laisser. Enfin, privé du soutien syrien, le Hamas, à Gaza, pourrait être affaibli par la poursuite du blocus. Tels semblent être les calculs d’Israël.
Rabin l’avait promis
L’ancien président syrien Hafez al-Assad était prêt à faire la paix – avec Rabin au milieu des années 1990, avec Barak en 2000 –, car Yasser Arafat, le leader palestinien, avait lui-même signé un accord séparé avec Israël en 1993, à Oslo. Mais les accords d’Oslo sont morts. Les efforts des États-Unis pour trouver un règlement au conflit israélo-palestinien n’ont à ce jour pas abouti. Et rien ne semble pouvoir tempérer l’appétit d’Israël pour Jérusalem-Est et les territoires de Cisjordanie. Pendant ce temps, les Palestiniens réclament leurs droits avec de plus en plus d’insistance, avec le soutien croissant de la communauté internationale.
Dans ces conditions, le président Bachar al-Assad sera-t-il disposé à conclure une paix séparée si Israël accepte de se retirer du Golan ? Il a répondu très clairement à cette question dans un entretien accordé le 25 mai au journal italien La Repubblica : « Si Israël restitue le Golan, nous ne pourrons pas dire non. Mais seul un accord global incluant les Palestiniens garantira une paix réelle… Un accord limité à la Syrie et à Israël ne résoudra pas la question palestinienne. Ce ne serait alors pas la paix mais la trêve. » À l’évidence, le président syrien n’est pas très optimiste quant aux chances de paix : « Cela n’arrivera pas dans un futur proche. Pour le moment, Israël n’est pas prêt pour un accord. […] La société israélienne penche beaucoup trop à droite. […] Tout le monde sait que ces pourparlers [menés par George Mitchell, l’envoyé spécial des États-Unis] ne mèneront nulle part. Les Arabes le savent, les Palestiniens aussi et même les Américains. »
En attendant, le président Bachar se console avec ce qu’il appelle « un accord entre les puissances du Moyen-Orient pour remodeler l’ordre régional ». C’est « une toute nouvelle donne géostratégique qui rassemble la Syrie, la Turquie, l’Iran et la Russie, réunis par des politiques, des infrastructures et des intérêts communs ». Et c’est précisément cette nouvelle donne géostratégique, défavorable à l’État hébreu, qui pousse vraisemblablement Uri Saguy et d’autres personnalités israéliennes à plaider pour un accord de paix avec la Syrie, même au prix d’un retrait du Golan.
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