Bonnes en danger

Des centaines de femmes malgaches travaillent dans des conditions exécrables au Liban. Certaines reviennent folles, blessées ou mortes. Et les autorités semblent impuissantes.

 © Glez

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Publié le 11 juillet 2010 Lecture : 4 minutes.

Le calvaire de Gisèle a duré sept mois. Embauchée comme employée de maison via une agence de recrutement en août 2009, elle est revenue du Liban meurtrie en février dernier. « Je ne mangeais qu’une fois par jour. Je travaillais de 6 heures du matin à minuit, sans arrêt. Je devais tout faire : nettoyer la maison, faire la lessive, m’occuper des [trois] enfants… », dit-elle en malgache – la seule langue qu’elle maîtrise. Mais elle le faisait mal, selon son patron, qui s’est mis à la battre. Alors elle a fui. Sa famille s’est ruinée pour payer son billet d’avion et, à son arrivée à Madagascar, elle a été hospitalisée trois semaines. Diagnostic : Gisèle a été battue avec une matraque, bâillonnée et brûlée. Dans son malheur, elle a eu de la chance : elle n’a pas été violée et est revenue vivante.

Chaque semaine, les douaniers de l’aéroport d’Ivato, à Antananarivo, voient passer des femmes « en lambeaux », selon l’expression d’une journaliste qui s’est intéressée à la situation de ces femmes parties chercher fortune au Liban. Humiliées et éreintées, certaines reviennent folles. D’autres, frappées ou violées, doivent subir de nombreux soins avant de reprendre une vie normale. Les moins chanceuses­ se sont suicidées ou ont été battues à mort…

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Ces derniers mois, huit décès de femmes malgaches parties travailler au Liban ont été recensés. « Et encore, nous ne disposons pas de toutes les données. Certaines familles préfèrent taire le décès, par honte ou par crainte de représailles », précise Norotiana Jeannoda, la présidente du Syndicat des professionnels diplômés en travail social (SPDTS), qui s’est fait une spécialité de récupérer et d’accompagner « ces femmes détruites » par leur expérience libanaise. « Nous recensons des nouveaux cas de maltraitance chaque semaine », explique-t-elle – six rien que pour la première semaine de juin. Depuis trois ans, plus de soixante femmes ont été rapatriées. Mais le cauchemar continue bien souvent au pays. « Beaucoup de ces femmes subissent une exclusion sociale. Certaines reviennent avec une maladie sexuellement transmissible », relève la syndicaliste.

Droguées et sous-alimentées

Des femmes malgaches partant travailler au Liban, cela ne date pas d’hier. « Le phénomène remonte au début des années 1990 », note Nadine Ramaroson­, la ministre de la Population de la Haute Autorité de la transition (HAT) – l’une des rares à avoir conservé son portefeuille depuis un an et demi. Mais il s’est accentué après 2007, quand Beyrouth et Tana ont passé des accords en vue de faciliter, pour les familles libanaises, l’embauche de travailleuses malgaches (visa gratuit, facilitations accordées aux agences de recrutement, mise en place d’un nouveau contrat). Selon un rapport du SPDTS, en 2006, 1 000 Malgaches avaient un contrat au Liban. Aujourd’hui, elles seraient plus de 7 000 – dont 6 000 possèdent un contrat cautionné par l’administration malgache.

« La plupart des femmes sont des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans, mais on retrouve aussi des mineures », regrette Mme Jeannoda. « Elles viennent de la campagne. Ce sont des filles qui n’ont jamais travaillé, n’ont jamais touché une machine à laver, ne parlent pas français… Elles ne savent pas ce qu’elles ont signé », ajoute Mme Ramaroson. « Elles ont été bercées d’illusions par les telenovelas sud-américaines­, dans lesquelles la bonne est bien traitée, a une voiture et parfois une aventure avec le patron. Une fois sur place, elles se rendent compte que cela n’a rien à voir. C’est dur. On les traite mal. Les patrons, s’apercevant qu’ils ont été trompés, eux qui ont déboursé 4 000 dollars pour les faire venir, décident de ne plus les payer… »

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Certaines deviennent la maîtresse de l’employeur – ce que ne manque pas de leur faire payer la patronne. D’autres sont violées ou poussées à la prostitution « lors de soirées » ou « avec des membres de la famille », explique Mme Jeannoda. Plusieurs femmes ont révélé avoir été enfermées vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, privées de congés, sous-alimentées, droguées… « Récemment, on a rapatrié une fille qui était devenue folle. Elle était en prison », indique Mme Jeannoda.

Contrats iniques

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Des règles – « des contrats abominables », selon Mme Ramaroson – sont censées régir cet échange : un salaire minimum de 150 dollars par mois, une protection sociale, le rapatriement du corps en cas de décès. Mais elles sont rarement respectées. Une quarantaine d’agences sont enregistrées, mais il en existe en réalité bien plus, « qui instrumentalisent la misère », estime la ministre. Une véritable « mafia », selon elle, s’est emparée de cette manne. Les représentants d’agence, eux, se défendent : « Les actes de torture ne touchent qu’une minorité de travailleurs », estime Julio Harilala, le président du Syndicat des bureaux de placement privés de Madagascar (SBPM).

Le 18 novembre 2009, le gouvernement de la HAT a décidé de mettre un frein à ce que Mme Jeannoda qualifie de « traite », en suspendant l’envoi de travailleuses au Liban. Une délégation ministérielle a été envoyée sur place, mais son rapport reste pour l’heure confidentiel. « Le gouvernement n’a pas vraiment les moyens d’agir », note une journaliste. Nadine Ramaroson le reconnaît : les départs, clandestins cette fois, se poursuivent. « C’est un réseau bien organisé, qui compte des complicités dans l’administration », accuse-t-elle.

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