Il faut juger Tintin
Spécial 50 ans. De Lumumba à Kabila
« Mossieur, moi piti noir faché bocou, li Tintin raciste. Nous pas avoir mangé li. C’est li avoir bocou volé ici. Moi fini. » Voilà ce que pourrait donner, en langage Hergé, la plainte déposée il y a plus de trois ans à Bruxelles par le citoyen belgo-congolais Bienvenu Mbutu Mondondo visant à interdire la diffusion de Tintin au Congo et que les magistrats du tribunal de Bruxelles se refilent depuis comme une patate brûlante. Cinquante ans après l’indépendance de son ex-colonie, il serait temps que la Belgique fasse un sort à ce monument de mépris paternaliste réalisé en 1931, réédité en 1946 puis en 1970, traduit dans des dizaines de langues et vendu à quelque dix millions d’exemplaires à travers le monde, pour la plus grande distraction de générations d’enfants blancs. Certes, dira-t-on, le jeune Hergé des années 1930 n’avait pas conscience de signer un album raciste. À cette époque, on était raciste comme on respirait, que l’on fût belge, anglais ou français, et les murs de Paris étaient couverts d’affiches « Y’a bon Banania », que Senghor rêvait d’arracher – au fait, le slogan a disparu, mais le tirailleur rajeuni aux lèvres épaisses et au sourire niais est toujours présent, soixante-dix ans plus tard, sur les étals des supermarchés, rayon cacao en poudre, sans que cela n’émeuve personne.
Certes, il suffit de relire Hugo, Dickens, Céline, Zola, Jules Verne et même la Bible – la malédiction de Cham ! – muni d’un détecteur de racisme, d’antisémitisme et de xénophobie pour avoir le vertige. Et se rendre compte qu’une œuvre, si mineure soit-elle, ne se juge que dans son contexte historique. Le problème hélas est que ce contexte-là, celui de la colonisation, des crimes du roi Léopold et de trois Républiques françaises, relève encore largement du tabou. Il est à peine enseigné dans les écoles et très rarement évoqué dans les médias, comme si le débat était clos avant même d’être ouvert. Juger Tintin, ce n’est donc pas censurer une bande dessinée dépassée par le basculement du monde (d’autant que la réalité de l’entreprise belge au Congo fut mille fois plus violente que l’univers simpliste et condescendant décrit par Hergé), mais obliger ses lecteurs à une réflexion autocritique sur leur passé collectif. Est-il besoin de préciser qu’interdire Tintin au Congo serait, dans ce cadre, contre-productif ? Alors qu’un avertissement obligatoire expliquant à chacun les préjugés racistes que contient l’ouvrage serait à la fois pédagogique et salutaire. Le petit reporteur doit rendre au boy Coco ce qu’il lui a volé : sa dignité.
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