Comédie française

La piteuse élimination des Bleus au premier tour de la Coupe du monde de football tourne au psychodrame national. Comme à son habitude, le chef de l’État monte au front. Les caciques de la FFF ont du souci à se faire !

Le 20 juin à Knysna, Raymond Domenech lit la lettre des joueurs « en grève ». © Franck Fife/AFP

Le 20 juin à Knysna, Raymond Domenech lit la lettre des joueurs « en grève ». © Franck Fife/AFP

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 29 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

La calamiteuse campagne sud-africaine des Bleus, éliminés dès le premier tour de la Coupe du monde au terme de prestations d’une stupéfiante médiocrité – sur les terrains et en dehors –, tourne à l’affaire d’État. La patrie étant manifestement en danger, Nicolas Sarkozy a, dès le 23 juin, avant même le retour en France des joueurs, convoqué à l’Élysée ministres (François Fillon, Roselyne Bachelot, Rama Yade) et conseillers (Franck Louvrier, Sophie Dion), sans omettre l’inévitable Claude Guéant, le secrétaire général de la présidence. « Il faut un big bang du foot français ; un projet neuf, une équipe neuve », a estimé la secrétaire d’État aux Sports, à qui cette pénible équipée sud-africaine a fait perdre de précieux points dans les sondages.

On l’aura compris : les jours de Jean-Pierre Escalettes à la tête de la Fédération française de football (FFF, 2,2 millions de licenciés) sont comptés. Mais que diable cet aimable retraité de l’Éducation nationale (il fut, dans une autre vie, professeur d’anglais) est-il allé faire dans cette galère ? Et pourquoi prétend-il s’y maintenir contre vents et marées ? Les 21 membres du Conseil fédéral ne sont pas mieux embarqués. Début juillet, une réunion extraordinaire devrait statuer sur leur sort. Beaucoup seront emportés par la vague. Ne mentionnons pour mémoire que le désormais ex-sélectionneur – Raymond qui ? –, à propos duquel tant de mal a déjà été dit qu’on hésite à en rajouter…

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Grand déballage

Le lendemain de cette réunion de crise au sommet, le 24 juin, tandis que, très pâles, les Bleus débarquaient à l’aéroport du Bourget, Thierry Henry, leur ex-capitaine, montait dans une limousine officielle. Direction l’Élysée. Que lui a dit Sarkozy ? Et qu’a-t-il répondu ? Aucune idée. Et aucune importance. Il s’agissait seulement de montrer que, conscient de l’ampleur du chantier de reconstruction, le chef de l’État, qui ne confond évidemment pas la star vieillissante du FC Barcelone avec quelque « petit caïd » de banlieue (comme dit Roselyne Bachelot), avait entrepris de consulter des gens raisonnables avant de prendre des décisions sévères, sans doute, mais justes. En tout cas, inévitables. Une sorte de superarbitre, en somme.

Le même jour, à l’Assemblée nationale, une poignée de députés UMP ont suggéré que les footballeurs français soient à l’avenir tenus de respecter certaines « exigences ». Lesquelles ? Pas de marquer des buts – à l’impossible nul n’est tenu –, mais, par exemple, de chanter ostensiblement l’hymne national devant les caméras de la télévision, avant les matchs. Les plus exaltés se sont même prononcés pour l’adoption de sanctions contre les récalcitrants.

Plutôt que l’audit externe de la FFF préconisé par Bachelot – très convaincante en mater dolorosa après les débâcles de Polokwane et Bloemfontein –, le gouvernement souhaite, de manière plus spectaculaire, organiser en octobre des « états généraux » au cours desquels « tous ceux qui ont des choses à dire devront les dire en toute transparence » (Yade dixit). Le grand déballage promet ! Reste que, toute plaisanterie mise à part, « le fonctionnement autarcique de l’équipe de France, hors de tout contrôle de la fédération », comme dit encore la secrétaire d’État, peut difficilement perdurer. Et celui de la FFF elle-même, pas davantage.

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Un moment de bouffonnerie

Bénévoles venus du monde associatif et/ou du football amateur, les dirigeants fédéraux paraissent aujourd’hui complètement dépassés par les événements. Comparée à celle des managers aux commandes au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne ou en Italie, leur gestion de père de famille prête à rire. C’est un peu le livret A contre les stock-options ! Ils vivent dans leur bulle, se cooptent et se succèdent entre eux et, plus grave, se montrent réfractaires à toute « culture du résultat ».

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À l’issue de quelles manœuvres de sous-préfecture, de quels compromis improbables, l’ex-sélectionneur a-t-il pu être maintenu à son poste – avec, ce qui n’arrangeait rien, des pouvoirs sensiblement réduits – après le retentissant fiasco, déjà, de l’Euro 2008 ? Cet homme-là n’a rien du « pantin » que certains se plaisent à décrire. Mais sa personnalité dissimulée et provocatrice, son humour cauteleux et sa pusillanimité n’ont rien pour enflammer les foules. C’est comme ça, il agace. Comment aurait-il pu conserver une quelconque autorité sur des gamins capricieux dont les revenus surpassent de beaucoup les siens ? Sa lecture du communiqué des joueurs, rédigé par l’avocat du capitaine Patrice Evra, dénonçant l’exclusion d’Anelka et appelant à boycotter une séance d’entraînement deux jours avant le match décisif contre les Bafana Bafana restera comme un grand moment de bouffonnerie involontaire. Mais l’irruption sur le plateau de TF1 d’un Franck Ribéry en tongs, ânonnant un ahurissant acte de contrition (« Vous souffrez ! Je souffre ! ») n’était pas mal non plus. Comédie française !

Salariés des plus grands clubs européens, de Barcelone à Manchester et du Bayern Munich à Chelsea, certains Bleus – pas tous, Dieu merci – ne respectent que le fric et ses attributs. Souvent originaires de banlieues « difficiles », ils s’en sont sortis grâce à leur habileté balle au pied, gagnent davantage qu’un PDG (8 millions d’euros par an pour Ribéry, beaucoup plus pour Henry) et se déplacent en jet privé. On serait perturbé pour moins que ça.

Raccourcis démagogiques

Le phénomène n’est pas exclusivement français. À en croire Arsène Wenger, manager général d’Arsenal et consultant sur TF1, 80 % des équipes présentes en Afrique du Sud, à commencer, dit-on, par celles d’Angleterre et du Cameroun, sont confrontées à des difficultés du même ordre. Mais, dans la patrie de Zidane et de Platini, plusieurs facteurs contribuent à aggraver les choses.

D’abord, on l’a vu, l’incurie de la direction fédérale. Ensuite, la relative déficience de la « génération Ribéry » : aucun Bleu ne figure cette année dans le top 20 des joueurs européens. Enfin, l’existence d’un quotidien sportif unique et tout-puissant crée entre joueurs et journalistes une connivence malsaine qui, avec le temps, tourne parfois à la franche animosité : certains Bleus ne parlent plus à la presse depuis des mois. Comme l’on sait, le psychodrame sud-africain n’aurait jamais eu lieu sans les révélations, d’ailleurs approximatives (les insultes d’Anelka à l’adresse de Domenech ont semble-t-il été déformées), de L’Équipe.

Ajoutons que, davantage que dans aucune autre formation, la présence au sein de l’équipe de France de joueurs d’origines diverses incite à la constitution de clans, illustre la communautarisation croissante de la société française et… autorise les raccourcis les plus démagogiques – ô Marine Le Pen ! Comme le dit judicieusement l’un d’eux, quand les Bleus gagnent, ils sont français ; quand ils perdent, ils sont français issus de l’immigration. En 1998, après le sacre mondial, les naïfs rêvaient d’une France « Black, Blanc, Beur ». Douze ans après, le rêve a du plomb dans l’aile.

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