Votez pour le pirate

Fouad Laroui © DR

Publié le 23 juin 2010 Lecture : 3 minutes.

Aux Pays-Bas, des élections législatives ont eu lieu mercredi 9 juin. Les élections se font ici selon le scrutin de liste, c’est-à-dire qu’on ne vote pas pour une personne donnée, dans une circonscription, mais pour une liste nationale. Et puis, pour chaque liste, les cinq premiers, ou les douze premiers, et ainsi de suite, deviennent députés (bravo !) au prorata des voix obtenues.

Une semaine avant le jour J, j’ai reçu par la poste le document officiel qui me donnait toutes les listes (il y en a dix-neuf) avec les noms, de la tête de liste jusqu’au dernier, qu’on appelle le pousseur. Quelle ne fut ma stupeur quand je vis que la liste numéro 18 se nommait tout simplement Le Parti des pirates. Et quelle ne fut pas ma consternation quand je lus le nom de la tête de liste : il s’agissait d’un certain Samir Allioui. (Généralement, on ne nomme pas les gens dans cette chronique, pour éviter les droits de réponse et les procès. Mais on peut bien donner le nom de Samir Allioui ici, d’abord parce que c’est un pirate, mais surtout parce que c’est un homme public, qui aspire à une carrière politique et qui n’a donc plus le droit à l’anonymat. Et en donnant son nom, vous pourrez vérifier que tout ce que j’écris ici est vrai.)

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Donc, résumons-nous : les pirates se présentent officiellement aux élections législatives aux Pays-Bas et c’est un Marocain qui mène l’assaut… pardon, qui mène la danse… pardon, qui mène la liste.

Je ne sais pas si ce monsieur descend des fameux corsaires de Salé qui ont écumé les océans il y a quelques siècles. Si oui, il aurait effectivement de bonnes raisons de présider le parti des pirates hollandais. À moins qu’il n’ait fait ses premières armes – c’est le cas de le dire – du côté de Derb Ghallef, à Casablanca, et fait-il ainsi partie des pirates modernes : ceux qui se soucient très peu du droit d’auteur et qui vous fournissent pour quelques dirhams la copie d’un film qui n’a pas encore vu le jour ou d’un logiciel que ses concepteurs n’ont même pas officiellement présenté aux foules…

Renseignement pris, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce fameux parti n’est que la section locale d’un mouvement international dont l’idéologie est aussi fumeuse que contestable. Ces brigands prétendent lutter contre ce qu’ils appellent la mainmise des États sur la création et l’innovation. Certes, on n’a pas le droit de reproduire des œuvres d’artistes sans leur consentement et sans leur verser une obole, mais parler de mainmise de l’État, c’est évidemment démagogique puisque l’État fait simplement respecter le droit. Et le droit, en principe, protège les citoyens, non l’État. Mais bof, tout cela est trop compliqué. Les pirates préfèrent se poser en victimes alors que ce sont eux qui partent à l’abordage des œuvres d’autrui. En ce sens, ils ont tout à fait raison de s’appeler pirates : c’est exactement ce qu’ils sont. Et ils s’en vantent, les bougres !

Revenons à mon compatriote Samir. Franchement, je vous avoue ma perplexité. Je ne sais pas si nous autres, Maghrébins, nous devons être fiers ou penauds devant ce fait rigoureusement authentique. Pour une fois que l’un des nôtres est tête de liste dans une grande démocratie d’Europe, c’est le capo du gang des corsaires.

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Allez, dépêchons-nous d’en rire plutôt que d’en pleurer. Après tout, ces lascars finissent généralement sur l’échafaud ou dans l’estomac d’un requin. En attendant, souhaitons bon vent au pirate !

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