Offshoring : le Maroc doit transformer l’essai

Première destination africaine pour la délocalisation de services, le pays veut concurrencer l’Europe de l’Est. À condition d’investir dans la formation et les langues.

Si la maîtrise du français est un atout pour l’offshoring, il reste à s’ouvrir vers d’autres pays © Pedro Lombardi/Webhelp

Si la maîtrise du français est un atout pour l’offshoring, il reste à s’ouvrir vers d’autres pays © Pedro Lombardi/Webhelp

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 1 juillet 2010 Lecture : 4 minutes.

Inauguré le 7 juin, le centre d’appels casablancais de Dell est une Babel des temps modernes. À chaque étage, casque téléphonique vissé sur les oreilles, de jeunes salariés conversent avec leurs interlocuteurs. Les bureaux sont organisés en immenses « open spaces » divisés en zones linguistiques délimitées par des drapeaux accrochés au plafond. Ici on parle en français, là en espagnol, de l’autre côté en anglais. Le grand fabricant américain d’ordinateurs, qui en vend la majorité à distance, a choisi le Maroc pour gérer, avec 1 800 employés (10 % sont des Subsahariens), l’ensemble des appels vers ses clients de l’Europe du Sud.

L’État marocain, interpellé par la réussite des premiers centres d’appels de Casablanca, a voulu dès 2000 devenir un pôle de la délocalisation de services en prenant exemple sur les deux champions asiatiques, l’Inde et les Philippines. Une décennie après, le royaume peut se targuer d’être le leader africain de l’offshoring. À Casanearshore, la zone de la capitale économique dédiée au secteur, Dell mais aussi Capgemini ont rejoint le mois dernier le britannique Logica, le français Webhelp ou encore les marocains Outsourcia et Omnishore.

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Selon l’institut de conseil américain Everest, le Maroc a réussi à créer environ 32 000 emplois dans l’off­shoring, ce qui place le pays en pole position en Afrique, loin devant l’Égypte (16 000 salariés), Maurice (9 000) et la Tunisie (8 000). Dans ce secteur, le royaume chérifien a dégagé un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros en 2009, dont 400 millions issus des centres d’appels, 72 millions du développement informatique et le reste d’autres fonctions support (comptabilité et achat notamment). Le pays est encore loin des performances du mastodonte indien (39 milliards d’euros de revenus), mais veut désormais concurrencer les pays d’Europe de l’Est, la Roumanie notamment (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires), qui, comme lui, a comme clients principaux les entreprises d’Europe de l’Ouest.

Pour attirer des investisseurs dans l’offshoring, le Maroc ne se base pas que sur les coûts : l’Inde, les Philippines et même Maurice sont des destinations moins chères (le sous-continent indien est 43 % moins onéreux pour un même projet informatique). Mais il mise sur la proximité culturelle et géographique avec l’Europe, d’où l’expression « near­shoring », pour la délocalisation proche de projets de taille moyenne. Cette proximité est d’abord linguistique. « Parmi toutes les destinations offshore, c’est l’une des meilleures pour la maîtrise du français, à égalité avec la Tunisie. C’est un avantage comparatif que le pays a su utiliser pour attirer les centres d’appels », juge Frédéric Lasnier, blogueur et PDG de Pentalog, une société de services franco-allemande qui a des centres en Roumanie et au Vietnam et étudie actuellement une implantation au Maghreb.

Manque de profils qualifiés

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Autre avantage : « Casanearshore et Technopolis, les zones économiques dédiées à l’offshore [respectivement à Casablanca et Rabat, NDLR], sont sans égales sur le continent. Seul le Smart Village du Caire est aussi bien équipé. La redondance des fibres optiques permet un niveau de sécurité télécom conforme aux normes européennes et supérieur à celui de la Tunisie », explique Shyan Mukerjee, analyste à l’institut Everest.

Le Maroc peine cependant à monter en compétence sur les segments à forte valeur ajoutée : « Très compétitif pour les centres d’appels francophones, le pays est moins attractif pour le développement informatique, explique Frédéric Lasnier. Il y a de bons programmeurs au Maroc, mais les spécialistes pointus sont difficiles à trouver et plus chers qu’en Europe de l’Est. Quant à l’encadrement, c’est encore plus ardu. Du coup, un certain nombre d’entreprises étrangères opèrent au Maroc avec des cadres expatriés, ce qui alourdit les coûts, alors qu’en Roumanie l’ensemble de mon management est local et donc moins cher. » Le plan « émergence » mis en place par le gouvernement marocain prévoit un accroissement de la formation, mais les profils les plus qualifiés manquent toujours.

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Et si la maîtrise de la langue française a été un atout pour lancer l’offre marocaine, le pays pèche aujourd’hui par monolinguisme. La Roumanie, la Russie et la Pologne ont su développer un multilinguisme qui leur permet de séduire des clients internationaux (qui ont les plus gros budgets), alors que les Marocains travaillent à 90 % pour des entreprises françaises.

Le lion africain de l’offshoring a donc encore du chemin à faire avant de croquer ses concurrents est-européens. Le développement des formations informatiques, linguistiques et managériales est plus que jamais à l’ordre du jour pour éviter une hausse artificielle des salaires sur certains profils. C’est quitte ou double : l’implantation d’entreprises de délocalisation de services est en effet beaucoup plus fragile qu’une installation industrielle, et le Maroc ne peut oublier que Dell a, en janvier 2009, délocalisé brutalement en Pologne son centre d’appels de Limerick, devenu trop cher à son goût, laissant exsangue l’économie de la ville irlandaise. Le marché de l’offshoring (78 milliards d’euros en 2009) fait légitimement envie au Maroc, mais ses règles sont impitoyables.

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