Les partenaires changent, les pratiques demeurent

Le business avec les pays émergents serait un atout si l’Afrique ne reproduisait pas un vieux classique : exporter ses ressources naturelles contre des produits manufacturés. Solution : industrialiser le continent.

Manmohan Singh avec Lula da Silva et Jacob Zuma, le 15 avril 2010 à Brasilia. © Adriano Machado/AFP

Manmohan Singh avec Lula da Silva et Jacob Zuma, le 15 avril 2010 à Brasilia. © Adriano Machado/AFP

Publié le 29 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

Exposition universelle de Shanghai, le vendredi 18 juin. Le secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), Supachai Panitchpakdi, s’est transformé le temps d’une journée en avocat de la cause africaine devant un parterre de ministres chinois, dont les entreprises publiques sont connectées au continent. Dans ses mains, le rapport 2010 sur le développement économique en Afrique, consacré cette année à « La coopération Sud-Sud : l’Afrique et les nouvelles formes de partenariat pour le développement ».

Derrière ce titre anodin se cache un document de 135 pages, loin d’être à l’avantage de ses hôtes du jour. Le texte appelle au réveil de l’Afrique. Il met ouvertement en cause les relations entre les économies du continent et les pays en développement du reste de la planète.

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« Le rapport tire la sonnette d’alarme, insiste Norbert Lebale, chef du département Afrique de la Cnuced. Avec l’entrée en scène de nouvelles puissances économiques dans les années 2000 – la Chine, l’Inde, Singapour, le Brésil, la Corée du Sud, les pays du Golfe, etc. -, la coopération Sud-Sud avec l’Afrique est devenue plus économique que politique. Mais cette évolution tend à renforcer la dépendance du continent et renforce le schéma traditionnel des échanges de l’Afrique avec les pays développés. » Un air de déjà-vu, en effet, avec un continent qui exporte ses hydrocarbures et ses minerais et importe en masse des biens de consommation.

« Le rapport invite les pays africains à être fermes lorsqu’ils négocient un accord de coopération avec d’autres pays en développement », suggèrent les économistes de la Cnuced. Et pour cause. Le phénomène est d’autant plus dangereux qu’il s’amplifie. De 28 milliards d’euros en 1995, le commerce total de marchandises entre l’Afrique et les pays en développement s’est envolé à 79 milliards en 2004 avant d’être multiplié par trois en 2008 : 230 milliards. A l’inverse, si le volume d’échanges des pays industrialisés demeure très largement supérieur (478 milliards d’euros en 2008), « pour la première fois, en 2008, le commerce total de l’Afrique avec les pays en développement a été supérieur à celui avec l’Union européenne (UE), qui est depuis toujours son premier partenaire commercial », relève le rapport. Pour longtemps ? Au rythme auquel progressent les économies émergentes, et alors que celles des pays industrialisés stagnent, la question se pose. De 55 % au milieu des années 1980, la part de marché de l’UE en Afrique a fondu à 40 % en 2008. Même érosion pour les Etats-Unis, à 15 % aujourd’hui (et premier pays à commercer avec le continent).

Les échanges avec la Chine sont quant à eux passés de 20 milliards d’euros en 2004 à 76 milliards en 2008. Pékin est le deuxième partenaire commercial du continent avec une part de marché de 10,6 %, devant la France (8,3 %). Même envolée pour l’Inde, dont le commerce avec l’Afrique est passé de 7 milliards à 25 milliards d’euros durant la même période, et le Brésil (6 milliards à 19 milliards d’euros). La Turquie (8 milliards d’euros en 2008) et la Corée du Sud (9 milliards) ont également mis le cap sur le continent.

Des échanges déséquilibrés

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Cette diversification des partenaires commerciaux serait un atout pour l’Afrique si le déséquilibre des échanges ne pénalisait pas chaque jour davantage les économies du continent. En 1995, les hydrocarbures et les matières premières représentaient 55 % des exportations africaines vers les pays en développement. Ils ont atteint 75 % en 2008. Dans le même temps, celles de produits manufacturés sont tombées de 18 % à 10 %. Conséquence ? Cinq pays africains concentrent plus des deux tiers des exportations du continent vers les pays du Sud (Angola, Nigeria, Algérie, Afrique du Sud et Egypte). A lui seul, le pétrole de l’Angola cannibalise près de la moitié (48 %) des exportations africaines vers la Chine, tandis que les hydrocarbures du Nigeria totalisent respectivement 47 % et 38 % de celles à destination de l’Inde et du Brésil. Quant à l’Afrique du Sud, elle leur vend ses ressources naturelles, tandis que l’Egypte commercialise son coton aux pays asiatiques et que ses entreprises de BTP nouent des partenariats avec des chinoises pour réaliser des chantiers dans les pays du Golfe.

« Le grand défi de l’Afrique est de renforcer sa capacité de production pour ne pas perpétuer ce schéma traditionnel avec les pays industrialisés du Nord. Et de passer d’une économie dépendante à une économie de production de biens élaborés pour participer aux échanges mondiaux », préconise Norbert Lebale. Mais sur un marché potentiel de 1 milliard de consommateurs qui leur tend les bras, les pays émergents ont-ils vraiment intérêt à favoriser l’essor d’une industrie africaine ? Certes, leurs projets d’investissements directs étrangers (IDE) sont passés de 52 en 2004 à 184 en 2008 sur le continent (l’opacité entretenue par les investisseurs empêche d’avoir un montant fiable d’investissement). Mais depuis dix ans, leurs IDE irriguent le secteur financier (32 %), les mines et les hydrocarbures (25 %) ainsi que les transports et la communication (21 %).

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Le sursaut viendra en fait du continent lui-même. « Il nous faut adopter des politiques pour maîtriser notre propre destin et rectifier le tir pour lutter contre la désindustrialisation de l’Afrique. Nous devons faire comme les pays asiatiques dans les années 1980. Car jamais un pays n’est devenu une économie développée par ses exportations de cacao ou de fer, mais en s’industrialisant. » Un plaidoyer prononcé le 11 juin dernier par Lamido Sanusi, le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, lors du 10e Forum économique international, organisé par l’OCDE à Paris. « Le coton a aidé le Bangladesh, non pas en exportant la matière première brute mais grâce à la fabrication de vêtements, qui rapporte 10 milliards de dollars par an au pays [8 milliards d’euros, NDLR]. Nous, nous envoyons nos dollars à l’étranger en exportant notre coton », complète Rotimi Nihinlola, le directeur alliances et secteur privé d’Ecobank International.

Du fer, mais pas d’aciéries

Sur le continent, en revanche, les politiques d’ajustements structurels des années 1980, dictées par le Fonds monétaire international (FMI), et l’invasion de produits manufacturés chinois à bas prix ont fait mordre la poussière à l’industrie africaine. En trente ans, les emplois industriels au Nigeria sont par exemple tombés de 600 000 salariés en 1980 à 25 000 aujourd’hui. « Nous exportons du pétrole brut et nous importons des produits raffinés, nous vendons du gaz, mais nous manquons d’énergie. Nous avons du fer en quantité, mais nous n’avons pas d’aciéries. Sans oublier que 60 % de notre production agricole est perdue parce que nous ne savons ni la stocker et ni la transformer », déplore Lamido Sanusi.

« Il n’est pas question pour nous de nous transformer en simple pays consommateur, nous voulons créer de la valeur et des emplois », lance Nizar Baraka, ministre délégué après du Premier ministre marocain, chargé des Affaires économiques et générales. Le royaume chérifien a ainsi défini des métiers dans lesquels il compte être mondialement compétitif, aussi bien dans des secteurs traditionnels, comme le textile, la pêche ou l’agro-alimentaire, que dans l’automobile, l’aéronautique, l’économie numérique, la logistique, l’énergie solaire. Une volonté soutenue par un vaste volet formation et un maillage du territoire pour accueillir les investissements dans des zones économiques gérées par des privés. Comme Tanger ou Kenitra dans l’automobile. « L’investissement de Renault à Tanger fera du Maroc un pays constructeur d’automobiles en 2012 », se réjouit déjà Nizar Baraka.

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