Zéro pointé pour les agences de notation

Indispensables pour accéder au marché du crédit, leurs appréciations peuvent influer gravement sur l’avenir d’un pays ou d’une entreprise. Pourtant, depuis quarante ans, elles ne cessent de se tromper. Sans aucune conséquence sur leurs bénéfices. Bien au contraire.

Le siège de l’agence de notation new-yorkaise. © James Leynse/REA

Le siège de l’agence de notation new-yorkaise. © James Leynse/REA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 28 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

Christine Lagarde, la ministre française de l’Économie, les qualifie de « pousse-au-crime », l’Élysée regrette qu’elles puissent faire indûment « la pluie et le beau temps », tandis que la presse, pour une fois unanime, les accuse d’être des « irresponsables » et des « pyromanes »… De fait, tout au long du printemps, leurs appréciations sur la Grèce ou l’Espagne ont déclenché des tempêtes sur les marchés financiers. Aux États-Unis, le Sénat enquête sur leurs trucages, qui ont fait le lit de la crise financière. On l’aura compris : les agences de notation en prennent ces temps-ci pour leur grade. Zéro pointé pour ces fauteurs de troubles !

Lesdites agences sont nées au XIXe siècle de la nécessité pour un prêteur de savoir si son futur débiteur sera capable de le rembourser. La première agence de notation connue, le Bureau des renseignements universels pour le commerce et l’industrie, a été créée en France, en 1833, par l’ancien bagnard Eugène-François Vidocq (1775-1857), qui deviendra ultérieurement espion, puis chef de la brigade de sûreté sous le Premier Empire et la Restauration.

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Moins « services secrets », les Anglo-Saxons Lewis Tappan et John Bradstreet développèrent des compilations d’infos qu’ils vendaient sous forme de manuels, en plus des analyses de crédit. Avec la montée en puissance du capitalisme et la multiplication des entreprises désireuses d’emprunter, il était en effet de plus en plus difficile pour les investisseurs de savoir à qui prêter¹.

En apparence, le fonctionnement des agences de rating est simple. Une équipe réunit des informations sur un pays, une entreprise ou un produit financier, afin de déterminer de quelle sécurité disposera celui qui y placera son argent. Des centaines de paramètres sont pris en compte. Pour les pays : le produit intérieur brut par habitant, l’inflation, l’endettement, la démographie, la stabilité politique… ; pour les entreprises : les résultats d’exploitation, l’endettement ou la qualité du management… ; pour les produits financiers : leur composition, la qualité de l’établissement financier qui les a conçus…

Après discussion, une note est attribuée. Elle va de AAA, pour les placements financiers les plus sûrs, à D, pour les placements considérés comme difficilement récupérables. Dans toutes les agences, on distingue clairement les placements dits « d’investissement », donc sûrs, et ceux dits « spéculatifs », donc à haut risque.

Le profane s’étonnera que gouvernements et sociétés privées cherchent ardemment à se faire (bien) noter par ces agences. C’est que la note qu’elles attribuent est un sésame pour accéder au marché du crédit. Si celle-ci est bonne, elle permet de diminuer la prime de risque et de bénéficier de taux plus avantageux. Ainsi, en 2002, Moody’s augmenta de deux crans les notes des pays d’Europe centrale et d’Europe orientale à peine admis dans l’Union européenne, ce qui allégea considérablement leurs charges financières. À la même époque, le Ghana et le Cap-Vert se virent eux aussi mieux notés, en raison de leur bonne gouvernance, et purent profiter de taux préférentiels.

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Quatre critiques sont adressées aux agences de notation.

• La première – et la moins grave – est leur extrême concentration (trois d’entre elles représentent 94 % du chiffre d’affaires mondial de la profession) et leur extrême rentabilité (leur bénéfice représente entre le quart et le tiers de leur chiffre d’affaires).

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• La deuxième tient au manque de fiabilité de leur notation. Elles n’ont pas vu venir, par exemple, le krach de 1929. En revanche, elles se sont montrées excellentes dans les années 1940-1970, quand le risque se réduisait à sa plus simple expression (0,04 % de défaillances d’emprunteurs). Avec le retour de l’inflation et des récessions (1970, 1973, 1990, 1997, 2001, 2008), leurs prévisions ont de nouveau laissé à désirer.

Peu avant qu’elles ne s’effondrent – respectivement en 2001, 2002 et 2003 –, les sociétés Enron, WorldCom­ et Parmalat étaient ainsi classées comme des « investissements » sûrs. De même, les agences ont, les yeux fermés, attribué de superbes notes aux produits financiers contenant les trop fameuses subprimes, qui furent l’élément déclencheur de la crise financière américaine. 90 % des AAA décernés avant la crise sont aujourd’hui des titres « pourris ». D’où le jugement de Jean-Marie Messier², l’ancien patron de Vivendi, estimant qu’elles « ont érigé l’irresponsabilité en œuvre d’art ».

• La troisième – et la plus grave – est qu’elles ont dissimulé la vérité pour préserver leurs juteuses rémunérations. Il est vrai que, depuis 1970, elles ne sont plus payées par les investisseurs à la recherche d’informations, mais par les entreprises ou les États désireux d’être notés. Publié en avril, le rapport de 580 pages que la commission d’enquête du Sénat américain leur a consacré regorge ainsi d’exemples de manipulations destinées à « ajuster » les critères de notation de façon à ne pas perdre de clients, ou à « adoucir » les notes concernant les subprimes

• Quatrième critique, enfin : la fâcheuse tendance des agences à « surréagir ». « Tout le monde savait que la Grèce représentait un risque grave, mais les trois agences ont découvert tardivement le problème. Elles se sont montrées d’autant plus sévères qu’elles se savaient à la traîne », explique l’économiste en chef d’une institution financière française. Christine Lagarde n’a pas caché sa colère à l’encontre de Standard & Poor’s, qui, le 27 avril, « un quart d’heure avant la fermeture des Bourses », a dégradé de trois crans la note de la Grèce, semant la panique et rendant le sauvetage de ce pays encore plus difficile.

« On ne peut se passer d’agences de notation, sinon ce serait donner libre cours à la rumeur », tempère un analyste. Sans doute, mais l’étau se resserre sur ces dernières. Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du FMI, conseille de « ne pas leur accorder une trop grande importance ». Quant au Sénat américain, il projette d’autoriser l’engagement de poursuites contre celles qui n’auraient pas enquêté « de façon convenable » sur le compte d’un emprunteur.

En septembre 2009, une juge new-yorkaise, Shira Scheindlin, a estimé qu’elles n’avaient pas le droit de se cacher derrière le 1er amendement de la Constitution des États-Unis, qui garantit la liberté d’expression. Selon elle, une notation n’est pas une libre opinion quand elle est réservée à quelques privilégiés, et peut donc être sanctionnée.

En Europe, les agences ont, dès ce mois de juin, l’obligation de s’inscrire auprès des autorités de marché, comme l’AMF en France. En 2011, leur surveillance sera assurée par l’European Securities Markets Authority (Esma), qui infligera des amendes aux imprudentes. Les millions de dollars et d’euros qu’elles dépensent en lobbying pour tenter d’éviter ces carcans n’y changeront rien : leur mise au pas fait partie intégrante de l’assainissement de la finance mondiale. 

1. Les Agences de notation, par Norbert Gaillard, La Découverte, février 2010.

2. Le jour où le ciel nous est tombé sur la tête, par Jean-Marie Messier, Seuil 2008.

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