Madagascar : la démocratie par la rue

1972, 1991, 2002, 2009… L’histoire du pays est, depuis l’indépendance, un éternel recommencement : il faut que les Malgaches manifestent, et que certains d’entre eux y laissent leur vie, pour que le régime en place vacille. Dans la Grande Ile, on vote « avec les pieds », mais cela s’avère bien souvent sans effet. Attendus comme le messie, les chefs d’État successifs, qui se sont essayés tantôt au libéralisme, tantôt au socialisme, n’ont jamais su endiguer la spirale de la misère. Si bien que dans ce pays à la terre et au sous-sol riches, les trois quarts de la population vivent au jour le jour.

Foule à Madagascar, en 1960. Extrait d’un reportage de la télévision française. © ina.fr

Foule à Madagascar, en 1960. Extrait d’un reportage de la télévision française. © ina.fr

Publié le 24 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

Madagascar, la démocratie par la rue
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Madagascar, la démocratie par la rue

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Cela se passe bien souvent un samedi. Qui peut être « rouge », « sanglant » ou « noir » selon les époques – dramatique, toujours. Et cela aboutit à la victoire de la rue, ou du moins des chefs politiques qui l’ont utilisée. En 1972, en 1991, en 2009, le scénario est quasi identique : des milliers de manifestants réclament le départ du président. Paralysant la capitale, Antananarivo, ils se lancent à l’assaut d’un symbole de la République ; les forces de l’ordre tirent dans le tas. Suivent quelques jours de deuil, pas mal de tergiversations et de rumeurs, puis, immanquablement, la chute du régime.

L’histoire politique de Madagascar est un éternel recommencement. L’alternance politique a été obtenue, presque à chaque fois, à l’issue de manifestations. Ici, « la démocratie par la rue » prend tout son sens, si bien que l’on ne se demande plus s’il y aura une prochaine fois, mais quand elle arrivera. « Ce qui nous inquiête, c’est que les crises se rapprochent dans le temps : dix-neuf ans entre 1972 et 1991, onze ans jusqu’en 2002, sept ans jusqu’en 2009… » constate le juriste Johary Ravaloson, militant actif du mouvement dit de la société civile.

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La genèse de cette chronique ne date pas du 26 juin 1960, quand Philibert Tsiranana, le chouchou de Paris, proclame l’indépendance de la Grande Ile. A en croire la première génération d’historiens malgaches, la « véritable » indépendance du pays a été gagnée en mai 1972, lorsque des dizaines de milliers de manifestants ont obtenu le départ du président vieillissant. Ce qui est sûr, c’est que le 13 mai 1972 est perçu comme le jour de la libération. Ce n’est pas un hasard si la place de l’Indépendance, d’où partent toutes les révoltes depuis quarante ans, est devenue celle du 13-Mai. Pas pour rien, non plus, que bon nombre de Tananariviens l’appellent volontiers « la place de la Démocratie »…

Au soir du 13 mai 1972, à Tana, on dénombre entre 25 et 40 morts et des centaines de blessés parmi les manifestants. Voilà plusieurs jours que les étudiants, rejoints par les travailleurs, réclament le départ de Tsiranana, réélu pour un troisième mandat en janvier 1972. Après douze ans de règne sans partage, le régime est aux abois. Pénurie des principales denrées, hausse du prix de la viande, chômage…, les motifs de mécontentement sont nombreux. Il n’est plus seulement question du niveau de vie ; on réclame l’indépendance, la vraie – qui passe par la malgachisation de l’enseignement et la révision des accords de coopération avec Paris. « Accords de coopération, accords d’esclaves », scandent les manifestants.

Le 18 mai, Tsiranana confie les pleins pouvoirs au général Gabriel Ramanantsoa. On assiste alors à un concentré des crises suivantes : l’armée est perçue comme l’ultime recours, on élabore une nouvelle Constitution, des alliances se font et se défont, et certains leaders politiques jouent sur la corde sensible de la rivalité entre les Malgaches de la côte et ceux des hauts plateaux (les Merinas) pour arriver à leur fin.

Fragilisé par une tentative de putsch d’un colonel en 1974, Ramanantsoa passe la main en février 1975 au colonel Richard Ratsimandrava, « l’espoir du peuple paysan », assassiné six jours plus tard. La voie est libre pour Didier Ratsiraka…

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Vague rouge

Inconnu avant sa nomination, en 1972, aux Affaires étrangères, cet ancien attaché militaire à l’ambassade de Paris s’est fait un nom en menant une diplomatie de rupture : révision des accords avec la France (sortie de la zone franc, évacuation des bases militaires françaises), fin des relations avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, rapprochement avec le bloc communiste. L’officier de 38 ans est doué d’une intelligence vive. Bercé d’idéaux nationalistes, il surfe sur la vague rouge qui déferle dans l’océan Indien, des Seychelles aux Comores en passant par La Réunion.

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Ratsiraka nationalise, promeut les coopératives et lance une réforme agraire. Mais il ne remplit pas les assiettes. Dès le début des années 1980, il doit revoir sa politique économique. La suite est connue : libéralisation, plan d’ajustement structurel…

Bien que réélu en 1989, l’amiral Ratsiraka – qui restera à jamais celui qui a su dire « non » aux vazaha (« Blancs ») – a perdu de sa superbe. La pauvreté progresse. Le régime se radicalise. Et, encore une fois, c’est la rue qui le fera tomber. Juillet 1991 : c’est la grève générale, il n’y a plus ni avions, ni taxis, ni banques ouvertes.

Les leaders politiques, dont le professeur Albert Zafy, sont dépassés par la foule des « gueux » qui, venant des bas quartiers, n’ont rien à perdre. Le samedi tragique survient le 10 août. Des milliers de personnes se dirigent vers Iavoloha, le palais présidentiel construit par les Nord-Coréens. L’armée laisse faire, mais pas le régiment de la sécurité présidentielle, qui ouvre le feu : on dénombre plus de 100 morts et 200 blessés. L’amiral prend le large.

La présidence de Zafy, élu en 1993, ne sera qu’une parenthèse. Trois ans plus tard, affaibli, il rend son tablier. Et permet le retour de Didier Ratsiraka.

Roi du yaourt

Sous Ratsiraka II, l’économie redémarre, le pluralisme politique et médiatique est préservé. Mais en décembre 2001, lors de la présidentielle, le nouveau venu en politique, star du yaourt et maire de la capitale, Marc Ravalomanana, tient la dragée haute à l’amiral. Il affirme avoir remporté l’élection au premier tour, ce que Ratsiraka conteste. Encore une fois, la crise se dénoue dans la rue. C’est un déferlement. Cette fois, pas de samedi sanglant, mais un long processus de sept mois qui prendra fin le 5 juillet, lorsque Ratsiraka se réfugie en France.

En 2009, rebelote. Réélu en 2006, Ravalomanana a obtenu quelques bons résultats économiques mais gouverne avec opacité en faisant la part belle à son groupe agroalimentaire, Tiko. Il s’est aliéné les politiques en monopolisant la parole publique, puis les « grandes familles » qui depuis l’indépendance avaient accaparé les richesses du pays, et enfin la France, premier bailleur, soumis à la concurrence des Etats-Unis, du Canada et de la Chine.

La riposte est un remake : manifestations, gouvernement de transition, tuerie du 7 février 2009 (entre 25 et 50 morts sous les balles de la garde présidentielle), intervention des églises puis de l’armée… Ravalomanana fuit le 17 mars. Son successeur, Andry Rajoelina est son double : Merina comme lui, homme d’affaires, élu également maire de Tana, il est à la tête d’un parti sans idées, qui n’existe que par lui. Dans ce contexte, « on voit mal comment on pourra éviter une autre crise », se désole Ravaloson.

En attendant, chaque crise ralentit, voire anéantit, les quelques réussites d’un pays classé parmi les plus pauvres du monde. Alors que certaines familles s’enrichissent plus que de raison, des hordes de paysans rejoignent les bas quartiers de Tana pour fuir la misère. Aujourd’hui, plus de 70 % des Malgaches vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Autant de fantassins pour les futurs prétendants au trône.

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