La fin des comzones ?
La paix revenue, les chefs militaires des ex-Forces nouvelles vont devoir faire un choix. Certains veulent rejoindre les rangs de l’armée régulière. D’autres rêvent de se lancer dans le business ou la politique. Reportage.
« Affou a flambé tout ton argent, regarde ce que tu es devenu ! » En cette matinée du 15 juin, à Korhogo, dans le nord du pays, Chérif Ousmane est d’humeur badine. Sanglé dans un treillis flambant neuf de l’armée américaine, le chef des Forces nouvelles (FN, ex-rebelles) pour la région de Bouaké taquine son collègue Gaoussou Koné, alias Jah Gao, l’ancien chef de guerre de la région de Boundiali, vêtu pour sa part plus sobrement. Il y a quelques mois, ce dernier s’est entiché d’Affou Keïta, une chanteuse mandingue aux goûts, paraît-il, fort dispendieux, qu’il a fini par épouser. La plaisanterie déclenche une salve de rires parmi les « frères d’armes »…
En attendant le début de la cérémonie de regroupement et de démobilisation des ex-combattants, les neuf « comzones » – seul Morou Ouattara, parti se faire soigner en France, manque à l’appel – devisent de choses et d’autres. Du dernier concert d’Alpha Blondy à Bouaké, le week-end précédent, au cours duquel il y a eu deux morts et plusieurs blessés… Des chances des Éléphants de Côte d’Ivoire, qui affrontent le Portugal dans l’après-midi, pour leur entrée en lice dans la Coupe du monde… L’ambiance est bon enfant. Nul ne semble s’inquiéter du lancement d’un processus censé mettre un terme à leur pouvoir et à leurs privilèges. Une partie de leurs hommes doivent en effet être « encasernés ». Et les autres, carrément démobilisés.
Statu quo intenable
Plusieurs responsables civils et militaires assistent à la cérémonie : Mamadou Koné, le ministre de la Justice, Michel Amani N’Guessan, son collègue de la Défense, les généraux Mangou, chef d’état-major de l’armée régulière, et Bakayoko, son alter ego des Forces nouvelles… Mais la communauté internationale brille largement par son absence. « Certains ambassadeurs ne veulent pas cautionner un acte symbolique dont ils pensent qu’il n’aboutira à rien, commente l’un des rares diplomates sur place. Pour ma part, je considère que les FN font un pas supplémentaire vers la réunification du pays. »
C’est au terme d’un conclave animé à Bouaké, en mars, que les comzones et leur hiérarchie politique – le Premier ministre, Guillaume Soro, en tête – ont fini par accepter ce début de démobilisation, que le camp du président Laurent Gbagbo réclame depuis le début de la crise.
Rebelles déposant leurs armes, à Korhogo, le 15 juin. (Kambou Sia/AFP)
Le statu quo ne pouvait plus durer. Huit ans après leur conquête du Nord, les Forces nouvelles n’ont toujours pas obtenu la satisfaction de leurs revendications initiales : octroi de cartes d’identité, organisation d’une élection présidentielle… Mais, depuis novembre 2004, aucun coup de feu n’a été tiré. L’accord conclu à Ouagadougou, le 4 mars 2007, entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro leur impose de déposer les armes et de rejoindre leurs casernes. Dans la pratique, des avancées ont bel et bien eu lieu : suppression de la « zone de confiance » (qui a longtemps servi de tampon entre le Nord et le Sud), démantèlement de nombreux check points, première opération de démobilisation, redéploiement d’une partie de l’administration…
La « Centrale »
« J’ai pris mon poste en 2007, explique Auguste Tahan, le préfet de Korhogo. Au début, c’était vraiment difficile de travailler. Peu à peu, nous avons réussi à faire venir des juges et des enseignants, à mettre en place un guichet unique pour le permis de conduire. Il nous reste à reprendre le contrôle des frontières et à faire en sorte que les régies financières soient pleinement opérationnelles. » Dans l’immédiat, les agents du Trésor se contentent, pour l’essentiel, de verser les salaires des fonctionnaires. Et ceux des douanes ne font guère que de la figuration. Les taxes restent presque exclusivement prélevées par la « Centrale », une structure mise en place, dès 2003, par les ex-rebelles pour financer l’achat de nourriture et de médicaments, ainsi que la formation des combattants.
« Nous sommes disposés à la démanteler, concède Moussa Dosso, ministre du Commerce et de l’Industrie et grand argentier des FN. Mais l’État doit lui aussi tenir ses engagements en nous donnant les moyens de financer des campements militaires, en attendant la constitution de l’armée nouvelle, un mois après la présidentielle. » Les ex-rebelles demandent 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros). À ce jour, les autorités n’ont toujours rien versé, mais promettent de débloquer 1,5 milliard d’ici à la mi-juillet.
« Le désarmement doit être l’une des priorités du gouvernement, prévient le général Bakayoko. La guerre coûte cher, mais la paix n’a pas de prix. » Une fois la pompe amorcée, les bailleurs de fonds pourraient prendre la relève. Dans ces conditions, on imagine difficilement les FN s’opposer au rétablissement de l’unicité des caisses, qui permettrait de revenir à l’orthodoxie financière et, peut-être, d’accélérer le redémarrage économique du Nord.
Rackets et délestages
On circule aujourd’hui assez librement dans la région. Les banques y ont repris leurs activités, et plusieurs entreprises – le géant minier Randgold (or), à Tongon ; la société Olhéol (huile de coton), à Bouaké – s’y sont installées. La vie reste toutefois difficile pour les populations, qui, outre les délestages électriques et les coupures d’eau, sont exposées à certains rackets et aux décisions parfois arbitraires des soldats.
« On a dû composer avec les Forces nouvelles, explique Lanciné Koné, adjoint au maire de Korhogo. Ce n’est pas l’idéal, mais force est de reconnaître qu’ils se sont impliqués dans un certain nombre de domaines, de l’enlèvement des ordures à l’aménagement des espaces verts, en passant par la création d’un centre culturel ou le décongestionnement de la gare routière. » À Katiola, la communauté musulmane sait gré au commandant Vetcho d’avoir achevé la construction de la mosquée. Issiaka Ouattara, alias Wattao, comzone de Séguéla, et Chérif Ousmane se révèlent de véritables mécènes pour les artistes, ce qui leur vaut une grande popularité auprès de la jeunesse. Dans la région de Man, où l’insécurité est palpable, les populations se montrent plus sceptiques. De manière générale, l’enrichissement des comzones et l’étalage de leur train de vie alimentent les rancœurs. C’est pourquoi une bonne partie de la population a hâte de voir les ex-rebelles regagner soit leurs casernes soit la vie civile.
Le caporal-chef Kamaté Bamory a choisi cette dernière solution. Dans la longue file qui s’étire devant le bureau d’enregistrement des démobilisés, il attend patiemment son tour. À l’avenir, il envisage de se reconvertir dans l’élevage de bovins, dans la région de Boundiali. Amadou, son voisin, rêve pour sa part d’ouvrir un atelier de mécanique à Korhogo. Il faut dire que l’invasion des motos chinoises ouvre de belles perspectives… Hélas, il y a loin de la coupe aux lèvres, l’État n’ayant toujours pas programmé le versement de la prime de démobilisation promise : 500 000 F CFA.
5 000 volontaires
Un peu plus loin dans la file, Ibrahima, regard sévère et buste droit, a fait un autre choix : il attend son paquetage de volontaire appelé à intégrer la nouvelle armée nationale, où 5 000 postes sont à pourvoir. Une centaine d’instructeurs sont attendus à Korhogo. Leur mission : former 1 200 jeunes recrues. Les 3 800 autres volontaires seront incorporés dans les groupements d’instruction de Séguéla, Man et Bouaké. Mais ces opérations pourraient prendre beaucoup de temps. À ce jour, les casernes de ces trois villes ne sont ni réhabilitées ni équipées. Aucun calendrier n’a été établi, et les futurs commandants n’ont pas été désignés.
Les comzones continuent à tirer de juteux bénéfices de l’exploitation et du trafic des ressources naturelles (cacao, coton, bois, noix de cajou, or et diamants), de leurs investissements dans l’immobilier et de la gérance, confiée à des proches, de nombreux établissements, hôtels, boîtes de nuit ou stations-service.
La plupart ne s’imaginent aucun destin militaire. Mais il y a des exceptions. « En tant que soldat, explique par exemple Fofié Kouakou, j’obéis aux ordres de ma hiérarchie. Si celle-ci estime que je peux encore être utile, je n’hésiterai pas. »
Wattao rêve quant à lui de jouer un rôle politique dans sa ville de Doroko, où il pourrait briguer la députation ou la mairie. Une ambition que partagent bien d’autres chefs militaires et représentants politiques des Forces nouvelles. Guillaume Soro lui-même a plusieurs fois confié à des ambassadeurs en poste à Abidjan son souhait de se faire élire député. On lui prête même l’ambition de créer un parti politique. Et si l’on n’avait pas fini d’entendre parler des comzones ?
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