Télésud dans la tourmente
La chaîne de télévision panafricaine a traversé une période de graves difficultés financières au début de 2010. Grâce à l’intervention de son actionnaire principal, elle connaît un répit depuis quelques semaines. Pour combien de temps ?
Douze ans après sa création, Télésud se cherche toujours une place dans le paysage audiovisuel africain. La généraliste « entièrement consacrée aux pays du Sud » n’en finit pas d’être la petite chaîne éternellement en devenir, dans un environnement médiatique où la concurrence monte en puissance. Basée à Paris, Télésud a inspiré les titres des journaux moins pour la bonne qualité de ses programmes que pour les difficultés de sa gestion, les conflits opposant ses actionnaires, les saisies-arrêts répétées de ses comptes bancaires ou ses démêlés judiciaires…
Entre janvier et avril dernier, on a même craint le pire : trois mois de salaires dus à la quarantaine d’employés, accès aux studios de la rue Cognacq-Jay fermé pendant quelques heures pour cause de non-paiement de loyers, mise en demeure de payer quatre mois de prestations à l’opérateur satellitaire… « Nous avons été à deux jours de l’écran noir », s’indigne un journaliste. Des chèques émis par l’administrateur ivoirien Jean-Philippe Kaboré sont revenus impayés faute de provision…
Ambiance délétère
Concernant les programmes, on s’attendrait à voir la chaîne profiter de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud pour battre des records d’audience. Mais elle est absente de tout ce qui est sport, « trop cher » pour son maigre budget. Elle se contentera de signer des accords avec les télévisions disposant de correspondants en Afrique du Sud et d’émissions de débats !
Au sein de l’entreprise, des salariés dénoncent une ambiance délétère. Des disparités salariales font monter la grogne. Les cadres dirigeants ont bénéficié d’une augmentation qui n’a pas profité aux autres salariés. La mesure passe d’autant plus mal que les employés n’ont jamais cessé le travail en dépit du non-paiement de leur rémunération. Symbole du deux poids deux mesures, dénoncé dans une lettre ouverte adressée au gérant de la chaîne : la situation d’impunité dont bénéficierait Vincent Douine, le directeur de l’antenne et de la production, invisible depuis janvier à son poste de travail, mais qui continuerait de percevoir son salaire (3 000 euros) en vertu d’une clause léonine…
Alarmé par toutes ces mauvaises nouvelles, Yves Bollanga, un patron de médias d’origine camerounaise installé aux États-Unis, porteur de 27 parts (13,36 % du capital), a menacé de saisir les tribunaux pour faire nommer un administrateur judiciaire, avant de se raviser.
Atmosphère anxiogène, aussi, car « personne ne sait qui restera ou partira à la rentrée prochaine », explique-t-on. En cause, une rumeur, qui court depuis mars, annonçant l’arrivée à la tête de l’entreprise de Charles Villeneuve, ancien directeur des sports de TF1. « Nous avons eu un entretien, mais nous sommes restés dans des considérations générales », reconnaît Jean-Luc Beis, gérant depuis le 1er mars 2007 de Wireless and Internet Afromedia (Wiam), la société à responsabilité limitée (SARL) qui détient Télésud.
« Il a sans doute des projets, mais il ne m’en a pas fait part », se dédouane Beis, lui-même sur le départ, ayant atteint l’âge de la retraite. Depuis cette entrevue, il ne s’est rien passé. Villeneuve semblait davantage préoccupé par le sort réservé à son offre de rachat du club de football de l’OGC Nice, déposée fin mai, pour le compte d’un groupe franco-libanais contrôlé par les frères Safa.
Avant celle de l’ancien président du Paris Saint-Germain, d’autres manifestations d’intérêt avaient été annoncées, sans suite. On a parlé de Vincent Bolloré, d’Ali Bongo Ondimba… Les investisseurs reculent-ils devant l’endettement élevé de l’entreprise, estimé, par d’anciens actionnaires évincés, à 2 millions d’euros ? Selon le gérant de l’entreprise, si la chaîne a perdu beaucoup d’argent les années précédentes, elle ne serait plus endettée aujourd’hui. « Si les choses marchent bien, on devrait être à l’équilibre cette année », s’enhardit Beis. « Ce n’est pas parce qu’on conteste une dette qu’elle n’existe pas ! » réplique un autre cadre.
Encore et toujours en procès
L’entreprise est en procès avec un diffuseur américain qui lui reproche d’avoir interrompu unilatéralement un contrat. Elle est encore et toujours en procès avec Etnium, la régie publicitaire contrôlée par Constant Némalé, un des fondateurs de la chaîne, parti en 2006 après l’arrivée du Franco-Gabonais Éric Benquet comme nouvel associé majoritaire avec 157 parts (77,72 %) à la suite d’une augmentation de capital. Bouc émissaire idéal dans ce divorce qui n’en finit pas, le promoteur franco-camerounais d’Africa 24 est accusé de tirer les ficelles dans l’ombre. Le tycoon, toujours présent dans le tour de table à travers les 18 parts (8,9 %) détenues par son amie Sylvie de Boisfleury, n’aurait jamais renoncé à Télésud et rêverait d’intégrer la chaîne généraliste dans un bouquet qu’il souhaite lancer, comprenant plusieurs chaînes thématiques spécialisées dans la musique africaine, les sitcoms et la famille.
Pour Jean-Luc Beis, l’avenir dépend de la vision de l’actuel actionnaire principal de Télésud : « Si l’actionnaire veut transformer l’essai de cette petite chaîne, il doit ouvrir le capital à d’autres partenaires pour aller plus loin. » Cela sous-entend un changement de la forme juridique actuelle, jugée inadaptée. Les fondateurs avaient choisi la SARL dans un souci d’indépendance. Mais les statuts excluent l’entrée d’industriels dans le capital, instaurant un tête-à-tête entre personnes physiques qui n’ont souvent pas la même vision. D’où les conflits, le choc d’intérêts divergents, les va-et-vient des porteurs de parts.
Relancer Télésud consistera également à éclaircir les rôles pour sortir de la situation indéfinissable actuelle. « Nous ne savons pas où se trouve le véritable centre de décision », se plaint un employé. Associé majoritaire, Éric Benquet, proche du ministre gabonais du Budget, Blaise Louembe, a disparu des écrans. L’homme d’affaires, proche de Pascaline Bongo Ondimba, n’a plus voix au chapitre. Désormais, c’est une autre proche de la sœur du chef de l’État gabonais, l’avocate française Danyèle Palazzo-Gauthier, qui est la vraie patronne. C’est par elle que l’argent frais a été injecté il y a quelques mois pour sortir la chaîne de graves difficultés financières.
Il ne reste plus qu’à commander la première étude d’audience jamais réalisée par la chaîne pour savoir enfin ce qu’elle pèse. Faute de quoi les changements d’actionnaires ou de formule ne feront jamais la bonne stratégie qui semble avoir fait défaut jusqu’ici.
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