Abraham Verghese

Né en Éthiopie, diplômé de l’université de Madras (Inde), ce médecin charismatique et proche des malades est devenu un auteur à succès sur le sol américain.

Abraham Verghese. © AFP

Abraham Verghese. © AFP

Publié le 21 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

« Geography is destiny », lance Abraham Verghese. Suivant le lieu où l’on naît, où l’on est, le cours de la vie se trouve modifié. La règle s’applique particulièrement bien à cet expatrié de longue date, constamment à cheval entre les continents asiatique, africain et américain. Né en Éthiopie en 1955, il fuit la guerre civile à l’âge de 24 ans et trouve refuge aux États-Unis. Il achève ses études de médecine en Inde, puis retourne aux « States », où il vit encore aujourd’hui… lorsqu’il ne rejoint pas d’autres latitudes pour faire la promotion de ses ouvrages, dont le dernier en date, La Porte des larmes.

Chaque pays a laissé une empreinte sur ce globe-trotter au rond visage de bonze. C’est particulièrement vrai pour l’Éthiopie. Ses parents ne sont pas originaires de la Corne de l’Afrique, mais du sud de l’Inde. Enseignants, chrétiens orthodoxes (lui aussi est croyant, mais, selon son propre aveu, « peu assidu »), ils ont répondu à l’appel de l’empereur Haïlé Sélassié, qui encouragea les professeurs indiens à rejoindre son empire et former ses futurs cadres. De son enfance, il dit garder de bons souvenirs. Cadet d’une fratrie comptant trois garçons (il a lui-même trois fils), il évoque « une période heureuse, sans drame », une famille aimante et sans soucis financiers. Avec ce sourire doux dont il ne semble jamais se départir, il raconte l’Addis-Abeba d’après-guerre, européanisé, qui ressemblait « à une petite ville italienne, avec ses places, ses théâtres, sa douceur de vivre » et où la pauvreté était moins visible qu’aujourd’hui. Ce qui le conduit à la médecine ? « Les livres, comme beaucoup d’étudiants de ma génération », confie-t-il. Il cite aussitôt Of Human Bondage, un roman semi-autobiographique de l’écrivain britannique William Somerset Maugham, diplômé de médecine. Puis The Citadel, d’Archibald Joseph Cronin ; Arrowsmith, de Sinclair Lewis… Des romans qui lui ont renvoyé une image idéalisée et romantique de la profession, et lui ont donné sa vocation. Juste retour des choses, ses deux premiers ouvrages (My Own Country et The Tennis Partner), dans lesquels il décrit son expérience professionnelle, ont poussé plusieurs étudiants vers la médecine. C’est en tout cas ce que de futurs experts du bistouri lui avouent en séance de dédicace ou dans des lettres de remerciement qu’il range soigneusement dans un dossier de sa demeure texane.

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Quand, dans les années 1970, des troubles commencent à éclater en Éthiopie, la famille Verghese décide de faire ses bagages pour les États-Unis. Abraham suit. L’université a fermé et le garçon, déjà tranquille, n’envisage pas de s’engager dans la lutte armée comme certains de ses copains de l’époque. « Ce fut un moment particulièrement important et douloureux, je me sentais profondément éthiopien, je vivais là depuis vingt-quatre ans, je pouvais me projeter dans l’avenir de ce pays, j’allais y devenir médecin… et puis j’ai commencé à entendre parler d’expatriation. C’est aussi le moment où je suis né en tant qu’écrivain. Je n’avais encore rien écrit, mais j’ai commencé à regarder les choses de l’extérieur, à prendre du recul, comme les auteurs. » L’expatrié marque une pause, puis ajoute : « Je suis revenu bien des années plus tard en Éthiopie pour interviewer un Premier ministre. Il me racontait comment il avait demandé à des volontaires de traverser des champs de mines… au risque de perdre la vie. En entendant cela, j’ai compris que mon sentiment d’appartenance à la nation éthiopienne était au fond une illusion. Je n’aurais jamais fait ce type de sacrifice pour ce pays. »

Réfugié aux États-Unis, l’étudiant en médecine repart moins d’un an plus tard à Madras (rebaptisé Chennai en 1996), pour y finir ses études. Lorsqu’il revient en Amérique, c’est pour se faire la main dans les hôpitaux les moins « cotés » du pays, où sont mis en place des programmes de perfectionnement pour les médecins étrangers. C’est ainsi qu’au milieu des années 1980, à Johnson City (une ville moyenne du Tennessee, dans le sud du pays), ce spécialiste des maladies infectieuses assiste, impuissant, aux ravages d’un mal jusqu’alors inconnu : le sida. Aucune thérapie n’existe encore, mais il faut malgré tout réconforter les patients, condamnés. Il racontera son expérience dans une courte nouvelle pour le New Yorker, sa première publication, puis dans son tout premier ouvrage, My Own Country, témoignage autobiographique paru en 1994 et constamment réédité depuis. Son credo : redonner toute son importance à l’écoute, à l’empathie pour le patient, alors même que la profession, séduite par les avancées technologiques, a tendance à laisser moins de place à l’humain. Posé, humble, attentif, on l’imagine volontiers dans ce rôle de médecin altruiste, parfois seul au chevet des mourants. « À l’époque, se souvient-il, les malades du sida pouvaient être rejetés par leurs amis et leurs familles, qui avaient honte ou ne comprenaient pas la maladie. »

Aujourd’hui, après deux best-sellers et des dizaines d’articles dans de grands journaux américains comme The New Yorker, The New York Times ou The Wall Street Journal (certains sont archivés sur le site internet de l’auteur, www.abrahamverghese.com), Abraham Verghese peut se targuer d’être une figure reconnue de la médecine et de la littérature. Pour lui, ces deux activités vont de pair : « Je contemple le monde avec un regard de médecin, j’écris en puisant dans mon expérience de médecin, en m’inspirant des drames humains auxquels j’assiste à l’hôpital. Tout vient de là. »

Son dernier ouvrage et tout premier roman, Cutting For Stone, a déjà été primé aux États-Unis. Flammarion vient de le publier en français sous le titre La Porte des larmes. C’est un pavé dodu (522 pages, 21,90 euros). Pas étonnant que l’écrivain soit amateur de grandes fresques historiques et affectionne les auteurs prolifiques (Zola, Victor Hugo ou le Colombien Gabriel García Márquez). La Porte des larmes raconte la vie de frères jumeaux dans une Éthiopie où couve la révolution ; l’un des garçons, diplômé en médecine doit fuir en Amérique… Toute ressemblance avec des faits réels n’est évidemment pas fortuite. Abraham Verghese reconnaît avoir puisé dans sa propre expérience et tiré parti de sa connaissance de l’Éthiopie, qu’il a souvent parcourue et où il retourne régulièrement. Ce roman épique très XIXe siècle mêlant exotisme, intrigue amoureuse et drame familial permet au lecteur de s’évader. Et semble avoir également aidé l’auteur à faire la paix avec sa terre natale. « Je voulais rendre hommage à un pays que j’aime, où j’ai grandi, dont j’ai appris la langue, qui m’a formé. Je voulais dépasser l’amertume ressentie quand j’ai dû m’enfuir à l’étranger. À chaque fois que je repose les pieds sur le sol éthiopien, je me dis que je ne pourrai pas revenir en arrière. Mais ce roman m’a permis de mieux accepter ma condition d’expatrié ». La prochaine fiction d’Abraham Verghese pourrait d’ailleurs une nouvelle fois avoir pour toile de fond l’Éthiopie. L’écrivain souhaite évoquer un épisode selon lui oublié : l’occupation italienne durant la Seconde Guerre mondiale, « quand près d’un demi-million d’Italiens vivaient encore dans le pays ». Suite au prochain best-seller !

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