La leçon de Bamako

Les Maliens, qui fêtent le cinquantenaire de leur indépendance ce 22 septembre, ont parcouru un long chemin avant de parvenir à une gouvernance consensuelle. Socialisme d’État, partis uniques, milice répressive, carnages… Rien ne leur a été épargné. Mais tous ces sacrifices n’ont pas été vains. Ils ont contribué à forger une conscience politique qui est venue à bout d’un régime réfractaire au changement. En une vingtaine d’années, la jeune démocratie, même si elle n’attire pas encore les foules lors des élections, peut être citée en exemple. Ne serait-ce que pour le respect, par ses dirigeants, de la Constitution.

Place de la Liberté à Bamako, en 2010. © Youri Lenquette pour J.A.

Place de la Liberté à Bamako, en 2010. © Youri Lenquette pour J.A.

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Publié le 20 juillet 2010 Lecture : 6 minutes.

Mali, la leçon de Bamako
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Mali, la leçon de Bamako

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nLe grand événement en Afrique occidentale, ces 19 et 20 août 1960, n’est pas l’accession d’une colonie à l’indépendance. C’est, au contraire, l’échec retentissant d’une expérience unique entre deux anciennes colonies françaises : la Fédération du Mali avec, pour protagonistes, le Sénégal et le Soudan.

À cause d’ambitions personnelles, d’une méfiance ressuscitée, de la peur de l’étranger envahissant, l’édifice en place depuis plusieurs mois s’est effondré en quelques heures, à Dakar. Et voici les Léopold Sédar Senghor, les Mamadou Dia, les Valdiodio Ndiaye maîtres chez eux, dans une atmosphère de haine, boutant dehors, ce 20 août 1960 à 18 h 30, Modibo Keita, désormais ex-président de la Fédération du Mali, sa femme et les officiels soudanais, tous indésirables à Dakar. Inutile de dire qu’à leur descente du train à Bamako, de longues heures plus tard, ces derniers sont accueillis en héros. Le rêve de fusion entre les peuples soudanais et sénégalais s’est, lui, brisé comme un pot de terre. Un désastre.

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C’est sur ce cuisant échec que Modibo Keita, qui a eu le temps de méditer, de digérer sa déception et de ruminer sa rancune à l’égard de Dia, Senghor et de Gaulle, proclame l’indépendance du Soudan, rebaptisé Mali, le 22 septembre 1960.

Keita et la République

Formé à l’École normale William-Ponty,­ à Gorée, l’ancien instituteur et syndicaliste est socialiste, et ne s’en cache pas. Ses modèles sont à Pékin, à Moscou, à Prague ou à Berlin. C’est aussi un panafricaniste impénitent, toujours attaché à l’idéal d’union pour éviter la balkanisation du continent. Après sa malheureuse expérience avec le Sénégal, il tentera de se rapprocher du Ghana de Kwame Nkrumah et de la Guinée de Sékou Touré au sein de l’Union des États de l’Afrique de l’Ouest. Là encore, à cause de la forte personnalité des trois leaders, l’aventure tourne court.

À la tête du Mali, Modibo Keita opte pour le socialisme d’État comme mode de gestion. Entre février et juin 1961, alors qu’il vient d’être plébiscité « à l’unanimité », son gouvernement signe des accords commerciaux avec la Chine, reçoit prêts et aides de la part de l’Union soviétique et de la Tchécoslovaquie. Ce qui lui permet de lancer, en octobre, le premier plan quinquennal de développement du pays concocté par son parti, l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (US-RDA).

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Mais Modibo Keita et ses camarades n’ont pas pris en compte un élément essentiel : l’époque est à la guerre froide. Les options socialistes sont forcément mal perçues par les pays occidentaux, dont les investisseurs se montrent subitement méfiants, et la décision du Mali de quitter la zone franc pour créer, en juin 1962, sa propre monnaie, le franc malien, est mal vue à Paris, même si Bamako n’est pas dans une posture de rupture. En outre, les pays du bloc communiste ne sont pas en mesure de lui octroyer tous les crédits dont il a besoin pour financer ses projets de développement et d’infrastructures.

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À cette époque, le Mali a une production céréalière qui lui permet d’exporter. Mais les initiatives du gouvernement ne sont pas, comme on l’aurait pensé, bien accueillies au sein de la population. Le 20 juillet 1962, alors que le franc malien vient à peine d’être lancé, des mécontents, dont de nombreux commerçants, descendent dans la rue : cette monnaie non convertible est loin de les rassurer. Modibo Keita est furieux. Pour lui, il s’agit d’un complot de contre-révolutionnaires. S’ensuit une vague d’arrestations.

En octobre, sans doute pour l’exemple, un « tribunal populaire » condamne 75 personnes à de très lourdes peines, allant des travaux forcés à la prison à vie. Parmi les condamnés à perpétuité, trois personnalités de premier plan : des politiques, Fily Dabo Sissoko et Hamadoun Dicko, ainsi qu’un important commerçant, Kassoum Touré. Enfermés au bagne de Kidal, dans la partie saharienne du pays, à 1 500 km de la capitale, ils y seront tués dans des circonstances jamais éclaircies. L’étatisation des moyens de production a du plomb dans l’aile. La pénurie s’installe. La population, désemparée, grogne.

Modibo Keita reconnaît que la mise en œuvre du plan quinquennal a été menée à marche forcée. Il reconnaît surtout que l’US-RDA s’est trompée et qu’il faut rectifier le tir. Facile à dire. D’autant que l’État socialiste, de peur de voir émerger une bourgeoisie, n’encourage pas l’initiative privée et que les investissements doivent en grande partie venir de l’extérieur. En tout cas, le socialisme devient impopulaire.

De l’option socialiste à la terreur

Au plus fort de la crise économique, en février 1967, le régime se tourne vers la France pour solliciter son soutien. Les accords signés portent sur un appui au franc malien, qui est dévalué à hauteur de 50 %, en plus de la réduction des dépenses du gouvernement. C’est dans ce climat délétère que Modibo Keita, certainement influencé par Mao Zedong, décide de lancer, le 22 août 1967, sa révolution culturelle.

La radicalisation voit s’imposer le Comité national de défense de la révolution, qui remplace le Bureau politique national. Le pouvoir crée une milice populaire armée, qui se transforme en instrument de la répression au service du « guide suprême de la ­révolution », Modibo Keita. Outre les difficultés économiques, cette atmosphère de terreur dans laquelle plonge le Mali entraînera la chute, le 19 novembre 1968, de Keita. Le géant malien, pourtant alerté du complot et qui s’apprêtait à arrêter ses concepteurs, est pris de court. L’armée prend le pouvoir.

La délivrance

Les putschistes, dirigés par le capitaine Yoro Diakité et le lieutenant Moussa Traoré, jusque-là instructeur à l’école militaire de Kati 20 km au nord de Bamako), mettent en place un Comité militaire de libération nationale (CMLN). À sa tête, Traoré devient le numéro un du pays. Priorité du nouveau pouvoir : la relance de l’économie et l’assainissement des finances publiques.

Sans ouvertement remettre en question les options socialistes de Modibo Keita, ils marquent leur préférence pour une économie mixte, tout en évitant de parler du retour des civils au pouvoir ou de la création de partis politiques. En réalité, l’armée n’a aucune intention de quitter la scène. Cela va durer vingt-trois ans. De règlements de comptes entre frères d’armes aux complots réels ou imaginaires, en passant par l’élimination d’adversaires potentiels, Moussa Traoré s’impose. En 1976, il fonde un parti unique, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM).

Les premières contestations du régime de Moussa Traoré naissent en 1979 et grandissent dans les années 1980. Elles sont d’abord le fait d’étudiants, puis d’enseignants. S’il enterre le franc malien en 1984 au profit du franc CFA, le gouvernement a du pain sur la planche : l’économie va mal, la dépendance à l’aide extérieure s’accroît. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) débarquent et imposent la privatisation des entreprises étatiques. Gangrené par la corruption, en 1987 et 1988, le Mali n’arrive plus à payer les fonctionnaires. Pendant ce temps, un mouvement pour la démocratie, encore souterrain, s’organise. Il émerge réellement en 1990. Mais Moussa Traoré reste sourd à toute demande de démocratisation.

En 1991, les manifestations d’étudiants se multiplient. Elles prennent de l’ampleur du 22 au 24 mars. La répression est terrible : entre 160 et 200 morts. Dans la nuit du 26 mars, Moussa Traoré est renversé par un groupe d’officiers mené par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré. Pour les Maliens, c’est la délivrance, le début de l’ère démocratique.

Après une courte période de transition, l’armée rend le pouvoir aux civils. Alpha Oumar Konaré est élu président en 1992, puis en 1997. Amadou Toumani Touré, revenu aux affaires, est élu une première fois en 2002. Réélu en 2007, il a promis de respecter la Constitution, qui limite à deux les mandats présidentiels. Cependant, depuis le début, la démocratie malienne n’a toujours pas résolu un problème fondamental : le faible taux de participation des électeurs aux différents scrutins.

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