Beac-FMI : le bras de fer
Depuis la fin de mai, dans la plus grande discrétion, le Fonds monétaire international a suspendu ses décaissements aux États membres de la Cemac. Motif : des dysfonctionnements dans la gouvernance de la Banque centrale.
Qui paie commande. L’adage, aussi vieux que la monnaie fiduciaire, pourrait figurer en tête du communiqué final de la réunion extraordinaire des six chefs des États membres de la Commission de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), qui s’est tenue le 6 juin à Brazzaville.
L’opinion n’en a rien su, mais c’est en vertu de cet aphorisme que le président du pays le plus riche de la région, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, appuyé en cela de façon décisive par son homologue congolais, Denis Sassou Nguesso, hôte du sommet et patron en exercice de la Cemac, est parvenu à sauver la tête de son compatriote Lucas Abaga Nchama, nommé il y a à peine six mois au poste stratégique de gouverneur de la Beac, la Banque centrale commune aux six États de la région (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad). Si rien d’autre qu’une petite phrase pudique sur la persistance de « dysfonctionnements au sein de l’institut d’émission » n’a transpiré du long huis clos, le nouveau gouverneur, lui, a bien senti passer le vent du boulet.
Au cours de la réunion préparatoire du sommet des chefs, cinq ministres des Finances sur six avaient en effet évoqué sa démission comme seule voie de sortie à la crise feutrée, mais lourde de conséquences, qui oppose une Beac encore fragilisée par le scandale, en 2009, du Bureau extérieur de Paris, au monstre froid de Washington qu’est le Fonds monétaire international (FMI).
La lettre qui a mis le feu aux poudres. Le 28 mai, la directrice Afrique du FMI, Antoinette Sayeh,
annonce la suspension de tout décaissement en faveur des États de la Communauté.
L’information est encore confidentielle, mais elle explique à elle seule la fronde de Brazzaville et l’atmosphère tendue des débats du sommet. Le FMI a décidé, à la fin de mai, de suspendre tous ses décaissements en faveur des pays membres de la Cemac. Cette sentence figure quasi telle quelle dans une longue lettre datée du 28 mai 2010, signée d’Antoinette Sayeh, la directrice du département Afrique du Fonds, envoyée aux six ministres des Finances de la région – et dont J.A. a obtenu copie (voir ci-dessus). Motif : le non-respect par la Beac du plan de « retour à la crédibilité » conclu à la fin de décembre 2009 avec le FMI.
L’ancienne ministre des Finances du Liberia y relève notamment l’absence de documents justificatifs « pour des opérations totalisant près de 5 milliards d’euros », le déficit de contrôle par le siège de la Beac des « opérations de change engagées par les directions nationales » et « le risque d’un nouveau problème majeur en matière de sauvegarde ». Conclusion : « Étant donné les montants en jeu, les services du FMI ne peuvent recommander au conseil d’administration d’approuver de nouveaux décaissements à travers la Beac. […] Il est nécessaire et urgent de redoubler d’efforts afin que la Beac soit un dépositaire sûr et crédible des réserves des pays membres de la Cemac. »
La directrice Afrique du FMI, Antoinette Sayeh, ancienne ministre libérienne des Finances,
et le gouverneur de la Beac, Lucas Abaga Nchama (crédits photos : Tyves/APA et BEAC).
Rapports exécrables
Premières victimes collatérales de ce bras de fer : le Congo et la Centrafrique, dont les revues par le FMI (sortes d’examens de passage débouchant sur de nouveaux versements), initialement prévues pour la fin de mai, ont été reportées sine die. Ce qui est plutôt ennuyeux pour les autorités de Brazzaville, qui devaient voir confirmés les progrès accomplis dans l’exécution de leur programme, avec annulation de dettes à la clé, et carrément inquiétant pour celles de Bangui, qui, à l’approche de l’élection présidentielle, comptaient sur un décaissement immédiat de plus de 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros). Le Gabon, le Tchad et le Cameroun, sous programme FMI à des degrés divers, sont également concernés. Seule la Guinée équatoriale, qui n’entretient pas de relations avec le Fonds, est épargnée. Principal contributeur aux caisses de la Beac, ce pays est aussi celui… du gouverneur Abaga Nchama.
Un gouverneur « maison » (il est issu du centre de formation de la Beac) que ses collègues accusent d’être directement à l’origine de ce grave blocage. À les en croire, ses relations seraient tendues avec la directrice Afrique du Fonds et mauvaises avec le cabinet d’audit camerounais CAC, chargé de l’inspection de tous les transferts de la Beac.
À Brazzaville, Lucas Abaga Nchama s’est défendu, en dénonçant notamment la mauvaise volonté à son égard de certains hauts responsables de la gouvernance de la Banque, dont il a d’ailleurs obtenu le départ. Il est vrai que ses rapports personnels avec eux étaient exécrables, ainsi qu’en témoigne un échange de lettres, dont J.A. s’est procuré copie, entre le contrôleur général Théodore Dabanga (ancien ministre des Finances de la Centrafrique) et le gouverneur, en date des 17 et 25 mai dernier.
À Dabanga, qui l’interrogeait, en termes secs, sur son propre rôle au sein de la Beac, Abaga Nchama répondait, après avoir relevé le caractère selon lui « injurieux » de cette missive : « Vous voudrez bien à l’avenir éviter ce type de correspondance que je juge parfaitement déplacée. » Ambiance…
En attendant que la Banque centrale retrouve enfin sa sérénité – et sa crédibilité –, les chefs d’État réunis à Brazzaville ont décidé d’envoyer à Washington le président de la Commission de la Cemac (laquelle a en quelque sorte mis sous sa tutelle la gouvernance de la Beac), le Camerounais Antoine Ntsimi, pour renouer les fils avec le FMI. Et négocier avec l’intraitable Antoinette Sayeh, laquelle se dit, dans sa lettre du 28 mai, « consciente des problèmes ainsi créés » et « déterminée à [les] aider, ainsi que la direction de la Beac, à résoudre ces problèmes ». Reste que le Fonds n’a pas d’états d’âme, et qu’il ne reste au Congo et à la Centrafrique, qui ont consenti pour cela de lourds efforts – notamment le relèvement drastique des prix du carburant – qu’à pleurer sur leurs droits de tirage perdus. En guise de compensation et devant l’insistance de ses pairs (particulièrement Déby et Biya), Denis Sassou Nguesso a récupéré le pilotage du dossier stratégique des réformes de la Banque centrale, géré depuis 2006 par son homologue équato-guinéen. Un joli lot de consolation, en somme.
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