Le cauchemar de Madiba
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 14 juin 2010 Lecture : 2 minutes.
En ce début de Coupe du monde, où les caméras de la planète médias braquent leurs objectifs sur l’Afrique au sud du tropique du Capricorne, il fallait bien une mise en bouche pimentée pour faire frissonner les Français, grimper la fièvre et roder l’audimat. L’histoire exemplaire de l’Afrique du Sud postapartheid n’intéressant personne, télévisions et journaux français ont donc rivalisé de reportages caricaturaux sur le thème passablement catastrophiste de la « face cachée » du pays de Nelson Mandela : violence, bidonvilles, inégalités, racisme, etc. L’ennui, bien sûr, c’est que la « face visible », autrement dit tout ce qui marche et fonctionne chez la première puissance économique du continent, n’est jamais montrée – trop politiquement incorrecte sans doute. Imaginez un cinquante-deux minutes sur la France naviguant entre les squats sordides de sans-papiers, les résidus cagoulés d’indépendantistes corses, les SDF du métro, les dealers des cités et les sectateurs du Front national et vous aurez l’exacte réplique du « cauchemar de Mandela », ce long reportage paroxysmique diffusé le 4 juin sur Canal+ et archétype de ce que nous ont servi, ces derniers jours, la plupart des télés*. D’un côté, les reliquats en short kaki, barbus de préférence, pathétiques souvent, surarmés toujours, fermiers et afrikaners évidemment, de la tribu blanche d’Eugène Terreblanche. De l’autre, Julius Malema, tribun démagogue et passablement bling-bling de la Ligue des jeunes de l’ANC, avec son chant de guerre « Tuez les Boers ! ». Entre les deux : un océan de misère, des townships ravagés par la drogue, la haine raciale, la corruption, le baril de poudre prêt à exploser, bref ce fameux « envers du décor », tarte à la crème de tous les reporters en mal d’imagination, surtout lorsqu’ils fréquentent l’Afrique entre deux avions.
Le fait que, vingt ans après la fin de l’apartheid, ce crime contre l’humanité dont les gouvernements américain, français, britannique, israélien et autres s’accommodèrent presque jusqu’au bout, l’Afrique du Sud n’ait pas sombré dans la guerre civile relève pourtant du miracle. Tout comme sont miraculeux la coexistence pacifique entre la majorité des Noirs et des Blancs, la poursuite d’une dynamique de développement sans équivalent sur le continent (sept des dix plus grandes entreprises d’Afrique et quatre des cinq plus grandes banques sont sud-africaines), ainsi que le fait, tout simplement, d’avoir pu et su organiser cette Coupe du monde. Étripages ethniques généralisés, effondrement économique, désagrégation sociale : les cassandres avaient prédit le pire pour ce pays. Or rien de tel ne s’est produit. Le dire et le donner à voir, sans pour autant masquer ce qui va mal, en cette période d’exposition médiatique maximale, n’aurait été que justice et objectivité. Encore aurait-il fallu pour cela que les réussites africaines intéressent les journalistes…
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* À l’exception notable d’Arte, de France 3 (Thalassa) et de France 24.
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