Johnny Clegg and co.
Dès vendredi, le monde aura les yeux tournés vers l’Afrique du Sud pour la grand-messe du football. L’occasion pour Jeune Afrique de mettre en lumière les artistes qui portent la voix du pays au-delà de ses frontières. Musique, danse, littérature, cinéma, arts plastiques… Revue de détail d’une culture arc-en-ciel éclatante, avec le « Zoulou blanc » pour débuter cette série.
Coup de projecteur sur les artistes sud-africains
L’Afrique du Sud regorge d’artistes connus ou à découvrir. Ce foisonnement, dont les racines plongent au plus profond d’un sinistre passé et dont les branches se déploient dans une atmosphère de liberté retrouvée, méritait qu’on lui consacre quelques pages. Pour commencer, nous avons choisi de donner la parole à celui qui fut un symbole de la lutte contre l’apartheid et qui reste, aujourd’hui encore, un acteur majeur de la musique et de la politique : Johnny Clegg.
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Jeune Afrique : La Coupe du monde de football commence dans quelques jours. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Johnny Clegg : Psychologiquement, c’est un moment extraordinaire. L’Afrique du Sud a longtemps été un pays où l’on n’allait pas. Ses équipes ne pouvaient jouer nulle part. Un paria. Un an après l’élection de Mandela, nous avons gagné la Coupe du monde de rugby. Quelle ironie ! Le rugby, boycotté pendant vingt ans par les Noirs et considéré comme blanc et afrikaner, devenait un moyen d’unir tous les Sud-Africains ! En 1996, nous avons gagné la Coupe d’Afrique des nations et au Mondial de 1998, les Bafana Bafana ont failli marquer contre les Bleus. Puis nous avons connu un certain déclin. Aujourd’hui, beaucoup d’habitants souhaitent que la Coupe du monde soit l’occasion pour l’Afrique du Sud d’être enfin considérée comme un pays normal.
Êtes-vous inquiet quant au déroulement du Mondial ?
Cette Coupe du monde arrive à l’heure d’une terrible récession. Beaucoup de gens ne peuvent pas se payer un billet d’avion, un hôtel, un ticket pour aller voir un match. Et puis il y a ce que j’appelle la « contagion zimbabwéenne ». Ainsi, Julius Malema [chef de la Ligue des jeunes de l’ANC, NDLR] est parti au Venezuela pour s’informer sur les nationalisations… Il existe un nationalisme africain radical qui peut effrayer. Et puis bien sûr, il y a eu l’assassinat de Terreblanche [leader de l’extrême droite blanche, NDLR], l’arrestation d’anciens soldats ayant comploté dans le but de gâcher la fête… Bref, de l’extérieur, l’Afrique du Sud apparaît comme un hôte instable. Pour moi, ces développements sont un signe de bonne santé. Pour la première fois, les vrais problèmes vont être débattus. C’est ce qui doit arriver pour que le pays parte d’un bon pied.
Les Sud-Africains seront-ils gagnants après un mois de liesse populaire ?
Sur le long terme, nous bénéficierons des infrastructures construites, comme les routes ou les services de transport. Il y a cependant un débat dans les townships : nous avons demandé des aides de l’État, elles ont été refusées. Et le gouvernement a dépensé des milliards pour construire des stades qui seront bientôt vides, parce qu’ils se situent dans le bush. Les plus pauvres ont parfois l’impression d’avoir été trahis. Mais les stades sont vraiment beaux…
Le pays a fait un bond sur le plan démocratique, mais pas sur le plan économique. L’eau, l’électricité, les cliniques manquent, mais il ne s’agit là que d’éléments matériels. Ce dont nous manquons le plus, c’est de savoir-faire. Il faut former des professeurs ! Si j’étais au gouvernement, je ferais de l’enseignement une priorité nationale. En une seule génération, cela aurait des effets remarquables.
Pourquoi ne vous engagez-vous pas en politique ?
Avec la culture de l’information, la politique, aujourd’hui, c’est une nouvelle forme de célébrité. La nouvelle génération de politiques est carriériste. Différente de la précédente, qui agissait en fonction d’une idéologie, d’un idéal. On a en fait besoin de technocrates capables de répondre aux attentes d’un public qui les jugera non en fonction de leur habileté rhétorique, mais sur leurs résultats. Nous avons besoin d’administrateurs. Il faut développer une culture de la gestion, même si c’est quelque chose d’ennuyeux. En vieillissant, je me rends compte que ce sont ces mécanismes ennuyeux de gouvernement qui permettent à la démocratie d’exister.
Aujourd’hui, les hommes politiques disent : « Nous nous battons pour les exclus », mais ce ne sont que des mots ! Lorsque vous leur demandez : « Comment allez-vous obtenir des résultats ? » vous atteignez une impasse. Ce n’est pas qu’ils soient stupides, mais il s’agit de transformer une mentalité de la libération en une mentalité de gouvernement. J’ai vu une émission à la télé sur Alexandre le Grand qui expliquait que cet homme ne pouvait cesser de conquérir parce que, au fond, il était un administrateur de merde ! Gouverner est plus difficile que conquérir ! Nous devons être capables, en Afrique du Sud, de gérer le quotidien.
1980-2010, quel regard jetez-vous sur ces trente dernières années ?
J’essaie de donner du sens à tous les efforts accomplis. J’ai un fils de 21 ans qui est une rock star en Afrique du Sud. Je pense aux gens morts durant le combat, à Dudu Ndlovu, mon danseur, qui a été tué et pour qui j’ai écrit The Crossing… Il y a dans mon nouvel album une chanson sur la transformation de l’Afrique du Sud et sur cette majorité de Noirs qui n’a pas cueilli les fruits de la liberté.
À propos, que devient Johnny Clegg ?
Je viens de terminer une série de documentaires sur les communautés d’Afrique du Sud. J’ai passé cinq mois à tourner à travers le pays et je suis aujourd’hui présentateur télé ! Ce retour aux sources m’a permis de comprendre comment vit la nouvelle Afrique du Sud dans des endroits très éloignés où les gens de Johannesburg ne vont pas.
Cela a-t-il éclairé votre perception de la vie politique du pays ?
Le risque, c’est de donner trop de signification à des choses qui n’en valent pas la peine. La province où je vis concentre 50 % du crime. Me rendre dans des endroits où les gens dorment avec les portes ouvertes m’a permis de regarder d’un autre œil les statistiques et de prendre conscience du fossé entre la ville et les zones rurales.
Cela a-t-il influencé votre album ?
J’ai écrit mon nouvel album avant de partir dans les régions. Love in the Time of Gaza revient plutôt sur les trente dernières années. Ce qui est important, c’est que je l’ai apporté chez un producteur alors que je produisais moi-même depuis longtemps mes propres albums. J’ai du mal à abandonner le contrôle, et nous nous sommes beaucoup disputés. Mais le producteur a transformé ma musique. Il m’a fait chanter ce que je pensais être une ballade nostalgique sur un rythme rock’n’roll des années 1950. J’étais outré ! Mais il y avait une partie en zoulou avec laquelle cela fonctionnait très bien. L’album sort en octobre, et je serai en tournée aux États-Unis en avril-mai 2011.
Comment percevez-vous la vie culturelle de l’Afrique du Sud ?
La musique traditionnelle disparaît. Il y a un mouvement général d’uniformisation. Avec néanmoins une évolution importante de la musique afrikaner, qui traduit un certain sentiment d’insécurité… Le monde culturel est en train de se redéfinir. Il devrait en sortir quelque chose de nouveau.
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