Jessy Matador
Candidat de la France au concours de l’Eurovision, cet artiste d’origine congolaise ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : son deuxième album sort le 14 juin.
Oslo, 29 mai. Sur la scène du 55e concours de l’Eurovision, Jessy Matador, gilet blanc sur tee-shirt noir, tente de réveiller le public suédois avec des déhanchés endiablés sur le rythme de sa chanson Allez Ola Olé. Parmi les 24 autres participants, tous très convenus, de ce grand rendez-vous annuel de la chanson européenne, il dénote. Objectifs affichés : « mettre le feu » et, surtout, gagner. Il s’est finalement classé douzième, deuxième meilleur score pour la France depuis 2001. Jessy Matador, on l’avait rencontré quelques jours avant le concours, autour d’un thé fumant, dans une petite salle de sa maison de disques – Wagram Music. « Cette opportunité est immense dans la carrière d’un artiste, assurait-il d’une voix grave. Surtout en tant que jeune issu de l’immigration. »
Ce Franco-Congolais de 26 ans, au physique athlétique et au look soigneusement étudié – jean branché, tee-shirt largement échancré, sac de luxe –, se montre terriblement sérieux et économe de ses sourires. Ce qui frappe chez lui, c’est d’abord une détermination sans faille. « Je vais me donner à 120 % pour être à la hauteur » ; « Je veux laisser mon empreinte et réaliser de grandes choses », dit-il. Rien ne semble pouvoir l’ébranler, pas même la polémique qui a suivi l’annonce de sa sélection pour l’Eurovision, le 12 février dernier.
Ce jour-là, un flot de haine raciste avait déferlé sur les forums internet, tandis que la chanson qu’il proposait, jugée trop légère, était violemment fustigée. « C’est sans importance, lâche-t-il, agacé. Cela me motive davantage. » Falla Boy, son ami de toujours, confirme : « Il représente la mixité qui existe en France. Il sait accepter les critiques pour mieux avancer. » Le débat sur l’identité nationale, relancé sur certains sites ? « Je refuse d’en parler, c’est une question trop sensible. » Si les préjugés racistes ont jalonné son parcours, il s’est toujours battu, gardant coûte que coûte un « moral en béton » et la tête froide.
Inébranlable Jessy, qui nourrit ses ambitions depuis si longtemps. En 2001, il intègre le groupe Les Cœurs brisés comme danseur. Le musicien Dany Engobo, fondateur de ce collectif, se souvient de lui : « Il était très travailleur et doté d’une grande volonté. Il faisait tout pour obtenir ce qu’il désirait. » Le groupe avait déjà quatorze ans d’existence, mais Jessy Matador en est vite devenu un pilier. En quatre ans, au fil des représentations, il a fait le tour du monde (États-Unis, Congo, Grande-Bretagne, Italie et Canada). Quand il revient en France, c’est avec une idée en tête : créer son propre groupe de musique. Il crée donc La Selesao en 2005. Aujourd’hui, il produit toujours certains de ses quatorze membres.
C’est à la même époque que l’idée lui vient de créer son propre style musical. Il baptise « Afrikan New Style » cet étonnant mélange de musique africaine et de sonorités plus urbaines. « J’ai souhaité garder l’esprit festif de la musique congolaise tout en créant un nouvel univers, à mi-chemin entre l’Occident et l’Afrique », explique-t-il. Après avoir assuré la première partie du collectif ivoirien Magic System au Bataclan, une grande salle parisienne, il décide de se consacrer totalement à la musique. Mais quand il se produit à Dakar (Sénégal), en 2007, il se heurte à tant de difficultés, de « galères », qu’à son retour, il est contraint de revoir sa partition. Pour coller davantage à la mode musicale du moment ? « Non, explique-t-il. J’ai fait le choix, que j’assume entièrement, de sons plus actuels. Après une première version de Décalé Gwada assez communautaire, j’ai su faire évoluer ma musique. » Et ça marche plutôt bien, la nouvelle version de la chanson est un tube (14 millions de visites sur un célèbre site de partage de vidéos).
Au printemps 2008, Matador signe chez Wagram Music. Son premier album, Afrikan New Style, sort dans les bacs et Mini Kawoulé, le deuxième single, tournera en boucle sur les ondes. Son image et son discours, il les maîtrise très bien. Il sait mettre en avant sa nature calme, bien qu’impulsive, sa politesse, sa modestie (« Au paradis ou en enfer, on ne sera pas des VIP »), et il assure, philosophe, que « seuls les doutes font avancer, pas les certitudes ». Ce n’est que lorsqu’on évoque sa famille, qui représente « tout » pour lui, que Jessy Matador semble enfin céder la place à Jessy Kimbangi.
Peu après sa naissance à Paris, sa mère (originaire de RD Congo), qui « travaille dans l’immobilier », et son père (Congo-Brazzaville), « entrepreneur assureur », se séparent. De la figure paternelle, il gardera la discipline. Même s’il a été « séparé pendant très longtemps » de son père, parti travailler en Afrique en laissant derrière lui ses six enfants, dont l’aîné, Jessy. Celui-ci a grandi à Épinay-sur-Seine puis à Vanves, en région parisienne. Il confesse avoir été un adolescent turbulent et têtu, jamais en rade pour les petits larcins. C’est là la seule zone d’ombre que consent à éclairer Jessy Matador. Car sitôt le pater familias rentré, au début de son adolescence, ce passionné de football jure qu’il comptait parmi les meilleurs élèves de son collège (porte de Clignancourt, à Paris). « J’ai compris que quand on travaille bien, on arrive à tout, explique-t-il. C’est devenu ma priorité. » Après des études hôtelières au lycée Belliard de Paris, il obtient un baccalauréat professionnel avec, insiste-t-il, « la meilleure note du lycée ».
Mais c’est d’abord la musique qui compte pour celui qui confie nourrir une admiration sans borne pour l’artiste congolais Werrason, « le show-man d’Afrique ». À la maison, le ndombolo tournait en boucle, tout comme la musique chrétienne qu’écoutait sa mère. Matador rejoint un temps les cuisines d’un restaurant parisien sur les Champs-Élysées et c’est sous les encouragements de son patron qu’il prend la décision de se « lancer à fond dans la zik ». Aujourd’hui, il ne se considère pas comme un représentant de l’Afrique, mais comme « un soldat parmi tant d’autres ». « Dès qu’on entend les premières notes de ma musique, on sait que je suis congolais », assure-t-il. C’est en 2002 qu’il se rend pour la première fois sur le continent, lors d’un séjour scolaire au Mali. Il se souvient avec émotion du sentiment « indescriptible » ressenti lors de son arrivée à l’aéroport. Il rêve d’ailleurs de se rendre en RD Congo, mais pour cela, « l’enfant du pays » a besoin d’être « grandiose » et d’offrir une prestation de grande qualité, par respect pour ses parents. Pour l’heure, malgré la relative défaite de l’Eurovision, il attend avec impatience la sortie de son second album, Elektro Soukouss, le 14 juin. Loin d’Oslo et près de son fils de 4 mois, dont il évoque le futur anniversaire avec un grand sourire.
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