Autocritique à reculons

Soumis à d’intenses pressions internationales, l’État hébreu a mandaté une commission interne pour enquêter sur l’interception sanglante de la flottille humanitaire au large de Gaza. Sans toutefois convaincre.

Benyamin Netanyahou arrivant à une réunion de son cabinet, le 13 juin 2010 à Jérusalem. © AP

Benyamin Netanyahou arrivant à une réunion de son cabinet, le 13 juin 2010 à Jérusalem. © AP

perez

Publié le 29 juin 2010 Lecture : 4 minutes.

De façon quasi instinctive, Israël a réagi comme une forteresse assiégée. Dans les heures et les jours qui ont suivi l’assaut de la flottille humanitaire au large de Gaza, un véritable élan patriotique a répondu à la déferlante médiatique et aux condamnations unanimes de la communauté internationale. Les Israéliens sont restés solidaires de leur armée et des « héros » de la Shayetet 13, les commandos de marine tombés dans le piège que des militants islamistes, déterminés à en découdre, leur ont tendu.

En diffusant généreusement les images tournées à bord du ferry turc Mavi Marmara, puis celles des manifestations anti-israéliennes aux quatre coins du monde, les chaînes de télévision ont renforcé le sentiment que l’opinion mondiale était foncièrement hostile à l’État juif. Cette cohésion nationale, que d’aucuns comparent à un réflexe de survie, n’a pas résisté longtemps à l’autocritique, autre penchant de la démocratie israélienne. Les griefs portent aussi bien sur la conduite de l’opération militaire que sur l’attitude de la hiérarchie politique, coupable de ne pas avoir mesuré les conséquences désastreuses d’un abordage qui a tourné au bain de sang : neuf morts.

la suite après cette publicité

« Défaillance d’un ministre de la Défense irresponsable »

Ehoud Barak figure en tête des accusés. Le ministre israélien de la Défense aurait pris seul la décision de donner l’assaut en haute mer, sans consulter au préalable le cabinet de sécurité, une instance composée des sept principaux ministres du gouvernement. À leur grande stupéfaction, certains d’entre eux n’ont eu connaissance des événements qu’en allumant leur télévision. Voulu ou pas, ce dysfonctionnement dans le processus décisionnel a déclenché une véritable fronde contre Ehoud Barak. « Nous avons joué le jeu d’un monde hostile, hypocrite, et tout ça nous est arrivé à cause de la défaillance incroyable d’un ministre de la Défense irresponsable, maladroit et ivre de son pouvoir », a déclaré l’un des membres du gouvernement.

Dans la presse comme au sein de la classe politique, les appels à la démission de Barak n’ont pas traîné. Quant au Premier ministre, Benyamin Netanyahou, qui se trouvait en visite au Canada, il n’a été informé qu’a posteriori des « complications » survenues sur le Mavi Marmara. Son second, Moshe Yaalon, habituellement chargé des affaires stratégiques, n’a pas été plus coopératif qu’Ehoud Barak. Même s’il s’en défend, ce ministre sans portefeuille aurait été informé en temps et en heure du déroulement des opérations.

L’opinion solidaire de l’armée

la suite après cette publicité

Étrangement, ces révélations n’ont pas affecté la crédibilité du leadership israélien. D’après un récent sondage, 57 % de l’opinion maintient sa confiance au gouvernement après l’affaire de la flottille. Cet état de grâce est néanmoins trompeur. Le tollé provoqué par cette crise a contraint l’État hébreu à lâcher du lest. Le 14 juin, celui-ci a approuvé sans enthousiasme la mise en place d’une commission d’enquête chargée de faire toute la lumière sur les événements du 31 mai.

Après de multiples concertations avec Washington, les responsables israéliens ont opté pour une commission publique indépendante et non internationale, en dépit des demandes insistantes de la France et de la Grande-Bretagne. « Personne n’a exigé d’enquête lorsque l’armée turque a bombardé des positions kurdes en plein territoire irakien », a rappelé un proche conseiller de Benyamin Netanyahou. Soucieux d’éviter un nouveau rapport Goldstone, Israël souhaite avant tout faire taire les critiques. « Nous montrerons au monde que nous avons agi de façon légale, responsable et dans une totale transparence », a averti le Premier ministre israélien.

la suite après cette publicité

Fin tacticien, Netanyahou a placé l’ancien juge de la Cour suprême, Jacob Turkel,­ 75 ans, à la tête de cette commission interne. Réputé conservateur, ce dernier est opposé à tout principe de sanctions. Son équipe, constituée de deux autres experts, planchera essentiellement sur la légalité du blocus imposé à la bande de Gaza et celle des actions de la marine israélienne. Faute de prérogatives plus larges, elle s’appuiera sur les conclusions de l’enquête militaire menée parallèlement par le général Giora Eiland.

Une commission d’enquête qui ne convainc pas

Comme convenu, deux observateurs étrangers superviseront l’enquête : Ken Watkin, ex-procureur général de l’armée canadienne, ainsi que l’ancien chef du Parti unioniste d’Ulster, David Trimble, proche d’Israël. Leur mandat sera toutefois limité, puisqu’ils ne disposeront d’aucun droit de vote à l’issue des travaux. Si le compromis ne satisfait que très modérément le Conseil de sécurité de l’ONU, il a été immédiatement rejeté par la Turquie. Et pour cause : pas un seul soldat impliqué dans l’attaque du convoi ne sera auditionné. Les éditorialistes du quotidien Haaretz n’hésitent plus à qualifier la commission Turkel de « farce », tandis que ceux du Yediot Aharonot évoquent une « fuite de responsabilité ».

Conscients de l’isolement croissant de leur pays, les Israéliens s’inquiètent désormais pour leur image. « Une campagne de relations publiques ne saurait se substituer à une véritable diplomatie », estime Tzipi Livni, chef de l’opposition et du parti centriste Kadima. Appréciée par la communauté internationale, cette femme de poigne pourrait être tentée de négocier son retour dans un gouvernement en quête de légitimité. La tâche ne s’annonce pourtant pas facile. Le 7 juin, la motion de censure qu’elle a présentée à la Knesset contre l’actuelle coalition de droite a été rejetée à une écrasante majorité de 59 voix contre 25.

En attendant, la question du blocus de Gaza cristallise tous les enjeux. Alors qu’une nouvelle flottille, iranienne, fait route vers l’enclave palestinienne, l’État hébreu reste plus que jamais sous pression. Malgré une fermeté de façade, il pourrait enfin consentir à alléger son dispositif. Première mesure envisagée : la réouverture de Karni et de Kerem Shalom, deux postes frontières destinés au transfert de marchandises et d’aide humanitaire. « Il est temps de mettre fin au bouclage de Gaza dans sa forme présente, déclarait, le 15 juin, le ministre des Affaires sociales, Itzhak Herzog. Cette situation n’apporte rien à Israël et nous nuit grandement. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Des écoliers de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. © Braheem Abu Mustafa/Reuters

Un si long blocus…

Contenus partenaires