Comment Bouteflika reprend la main
On le qualifiait de « président aux trois quarts ». Son ambitieux plan quinquennal – 286 milliards de dollars d’investissements sur cinq ans – et le remaniement du 28 mai, qui confirme le coup de barre à gauche, prouvent qu’il n’en est rien.
Maître du calendrier, maître du jeu. Le président Abdelaziz Bouteflika a procédé, le 28 mai, à un remaniement ministériel dont le timing et le contenu confirment qu’il n’est pas un « président aux trois quarts ». Il décide quand il veut et ce qu’il veut. Après une décennie de libéralisme débridé fait d’ouverture tous azimuts et de privatisations à tour de bras, le gouvernement algérien avait opéré, en juillet 2009, un virage économique à 180 degrés sans qu’un seul maroquin ne change de titulaire. Ni les malversations à Sonatrach, « mamelle de la nation », révélées le 13 janvier, ni le parfum de corruption qui flotte depuis plusieurs mois sur les chantiers des grandes infrastructures n’ont provoqué, dans l’immédiat, de limogeage de ministre. Et personne n’y a trouvé à redire. Et pour cause : en dix ans, Bouteflika a multiplié par trois le PIB par habitant (4 600 dollars en 2009, contre 1 500 dollars en 1999) et annonce aujourd’hui un programme d’investissements publics de 286 milliards de dollars sur les cinq ans à venir, le tout en s’engageant à s’interdire tout recours à l’endettement extérieur.
Le président a donc choisi de « retoucher » son équipe ministérielle quatre jours après l’avoir réunie pour un ultime Conseil dont l’ordre du jour se limitait à l’adoption du plan quinquennal 2010-2014, au lendemain de la visite du président sud-africain, Jacob Zuma, avec lequel six accords économiques ont été signés. Outre le maintien d’Ahmed Ouyahia au poste de Premier ministre, le remaniement a consacré une promotion, celle de Noureddine Yazid Zerhouni, ministre d’État et ex-titulaire de l’Intérieur, qui devient vice-Premier ministre, événement sans précédent dans l’histoire de la République, et quatre départs, dont le plus significatif est celui d’un membre du cercle présidentiel, Chakib Khelil.
Qui sont les partants ?
Trois ministres et un secrétaire d’État ont fait les frais du remaniement du 28 mai. Dans un exécutif qui se caractérise par sa stabilité (la majorité des ministres en place se targue d’une longévité de dix ans), Azzeddine Mihoubi, secrétaire d’État à la Communication, et Hamid Bessalah, ministre de la Poste et des Technologies de l’information (seul Noir du gouvernement) avaient des allures de novices. Nommés en mai 2009, ils ont été limogés à la première occasion, et feront désormais figure de météorites. Il s’agit manifestement d’erreurs de casting. Quant à l’ex-titulaire du département du Commerce, Hachemi Djaboub, seul ministre politique débarqué – c’est un cadre dirigeant du Mouvement de la société pour la paix (MSP, parti islamiste membre de l’Alliance présidentielle) –, il paierait, selon toute vraisemblance, les errements dans le dossier de l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les couacs consécutifs à la mise en œuvre de l’accord de la Zone arabe de libre-échange (Zale).
Le départ le plus commenté est bien sûr celui de Chakib Khelil. Réputé proche de Bouteflika, l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines était sur la sellette depuis la révélation du scandale qui agite Sonatrach – après la mise en examen de son PDG, de l’un des quatre vice-présidents et l’incarcération de deux autres, poursuivis pour détournements et violation de la réglementation en matière de passation de marchés publics. Mais Chakib Khelil est aussi sacrifié sur l’autel du retour au tout-État. La protection présidentielle de cet interlocuteur privilégié des multinationales pétrolières avait des limites.
Qui sont les gagnants ?
Outre Noureddine Yazid Zerhouni, l’autre grand gagnant est sans conteste Ahmed Ouyahia. Non seulement le patron du Rassemblement national démocratique (RND) conserve son poste de Premier ministre, mais son parti engrange un nouveau ministère, sans doute le plus prestigieux : celui de l’Énergie et des Mines. Youcef Yousfi, 69 ans, membre du conseil national du RND, succède ainsi à Chakib Khelil. Cet ancien ministre des Affaires étrangères de Bouteflika retrouve un portefeuille qu’il a déjà occupé en 1997, sous Liamine Zéroual. Il connaît d’autant mieux le secteur des hydrocarbures qu’il a été directeur général de Sonatrach en 1985. Pour avoir été l’artisan du partage de production avec les partenaires, politique abandonnée par son prédécesseur, Yousfi incarne aujourd’hui l’anti-Khelil par excellence.
À 55 ans, Moussa Benhamadi représente depuis de longues années les nouvelles technologies de l’information. Aîné d’une fratrie qui a réussi dans l’industrie électronique (le groupe Benhamadi est leader dans la production d’électroménager), il a toujours privilégié le public sur le privé. Longtemps patron du Centre de recherche sur l’information scientifique et technique (Cerist), ancêtre des fournisseurs d’accès internet algériens, Benhamadi hérite de ce qui est un ministère clé aux yeux du président, qui a fait des nouvelles technologies l’une des priorités de sa stratégie de développement avec le plan Ousratic (la connexion de plus de 6 millions de foyers et de la totalité des établissements scolaires) et le programme e-Algérie, dont la mise en œuvre est prévue pour 2013.
Journaliste de métier, Nacer Mehal, 67 ans, ancien patron de l’agence de presse officielle, Algérie Presse Service (APS), nommé à la Communication avec rang de ministre, hérite de deux dossiers sensibles : le statut des journalistes et l’élaboration d’un nouveau code de l’information. Autre nouveau ministre à avoir du pain sur la planche : Mohamed Benmeradi. Cet énarque algérois, ancien directeur des domaines au ministère des Finances, un poste qu’il occupait depuis le début des années 2000, aura à régler une épineuse question qui se pose à tous les investisseurs, publics ou privés, nationaux ou étrangers : celle du foncier. Sa feuille de route ? La résolution de l’imbroglio juridique qui entoure le domaine de l’État.
Au nom de l’équilibre politique, le départ de Hachemi Djaboub a été compensé par la nomination du député MSP Abdallah Khenafou, 59 ans, spécialiste des infrastructures portuaires et des terminaux pétroliers, à la Pêche et aux Ressources halieutiques. Secrétaire d’État chargé de la Communauté nationale à l’étranger, Halim Benatallah est un diplomate chevronné. Ancien directeur général Europe au ministère des Affaires étrangères, il a été ambassadeur à Bruxelles entre 2002 et 2008, une période marquée par la finalisation de l’accord d’association avec l’Union européenne et le rapprochement entre l’armée algérienne et l’Otan.
Miraculés et sursitaires
Autre proche de Bouteflika sous le feu de la critique, Hamid Temmar est maintenu dans l’équipe gouvernementale, mais à la tête d’un maroquin (Prospectives et Statistiques) qui relève plus du brainstorming que de l’action concrète. Il y a fort à parier que sa fameuse stratégie industrielle, décriée publiquement par Ahmed Ouyahia, ne lui survive pas.
Amar Ghoul, inamovible ministre des Travaux publics depuis 2003, conserve son poste en dépit des affaires de corruption qui ont secoué les grands projets dont il est chargé, notamment le chantier du siècle : l’autoroute est-ouest. Un scandale qui a valu à son secrétaire général et à son chef de cabinet de se retrouver en détention préventive. Bouteflika lui a donc renouvelé sa confiance. À l’instar du docteur Saïd Barkat. Chahuté par les syndicats autonomes des médecins et praticiens, Barkat perd le portefeuille de la Santé au profit d’un autre médecin de l’équipe Ouyahia : Djamel Ould Abbas, ancien ministre de la Solidarité nationale, avec lequel il permute. Autre miraculé : Amar Tou. Malgré les retards enregistrés dans la réception du métro d’Alger et dans les projets d’extension du réseau ferroviaire, le ministre des Transports a survécu au remaniement. Quant à Dahou Ould Kablia, ministre délégué aux Collectivités locales et patron de l’Association des anciens du Malg (ministère de l’Armement et des Liaisons générales, du temps du GPRA, ancêtre des services de renseignements), il profite de la promotion de Noureddine Yazid Zerhouni pour prendre la tête du ministère régalien de l’Intérieur.
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