Centrafrique : un si long purgatoire…
Marquée par le passage de son fondateur – et éphémère président -, Barthélemy Boganda, référence de tous ses successeurs, la République centrafricaine dresse un bilan douloureux de ses cinquante années de souveraineté. Parmi les plus pauvres au monde, traumatisé par une série de coups d’État à répétition et sous la férule de pouvoirs liberticides, le pays a cependant amorcé une réconciliation nationale avec les groupes rebelles en 2008 pour mettre fin à la guerre civile. Saura-t-il capitaliser ces acquis pour entrer dans une ère de stabilité et de démocratie ? Le report de l’élection présidentielle et la persistance des mouvements de rébellion, qui terrorisent la population, montrent que le chemin est encore long.
Centrafrique, un si long purgatoire…
« Barthélemy Boganda.» Tous les Centrafricains scandaient son nom depuis que cet ancien abbé était entré en politique en 1950. Symbole de la lutte anticoloniale, il représentait l’espoir des temps nouveaux, la colonisation ayant été particulièrement dure en Oubangui-Chari. Fondateur du Mouvement de l’évolution sociale de l’Afrique noire (Mesan), président du gouvernement de la République centrafricaine proclamée le 1er décembre 1958 dans le cadre de l’autonomie interne, il meurt dans un accident d’avion le 29 mars 1959. Les Centrafricains y voient la main des services secrets français.
Son neveu David Dacko profite de ce lien familial et du soutien des Français de Bangui pour évincer le Premier ministre Abel Goumba, dauphin naturel, et prendre la présidence du gouvernement. En mai 1960, le Mesan éclate : les dissidents créent le Mouvement d’évolution démocratique de l’Afrique centrale (Medac), que dirige Goumba. Le 13 août 1960, jour de la proclamation de l’indépendance, Dacko, 32 ans, à la tête du Mesan depuis juillet, est le premier président de la République centrafricaine.
Pendant cinq ans, il tente en vain de se faire accepter comme le fils spirituel de Boganda. Pour l’opinion, il n’est qu’un béni-oui-oui au service des Français. Dacko est tenté par le pouvoir personnel. En novembre 1960, il demande les pleins pouvoirs à l’Assemblée nationale. Et fait voter des lois liberticides qui rappellent les heures sombres de l’époque coloniale, celles du zèle de l’administration et des brimades des agents des compagnies concessionnaires. Il dissout le Medac et fait arrêter Goumba. Deux ans plus tard, le Mesan devient le seul parti autorisé. Toutes ces actions nuisent à l’image de Dacko, de plus en plus impopulaire. Même son bilan économique, plutôt positif, ne suffit pas. Seul candidat à la présidentielle de janvier 1964, il est renversé le 31décembre 1965 par le colonel Jean-Bedel Bokassa, chef de l’armée.
Gestion théâtrale du pouvoir
De l’ethnie ngbaka, à laquelle appartenait aussi Boganda, Bokassa se présente comme un héritier spirituel de ce dernier. Mais aussi comme l’homme à poigne dont le pays a besoin, le véritable chef qui va mettre fin au désordre de l’ère Dacko. Les Centrafricains acceptent l’offre, Bokassa correspondant bien à l’image du vrai chef dans l’imaginaire collectif.
Ses quatorze années de règne seront un long cauchemar. Gestion théâtrale et baroque du pouvoir; violence spectaculaire pour marquer les esprits; « patrimonialisation » et clientélisme à outrance, en particulier au profit de son ethnie, telles sont les principales caractéristiques de la méthode Bokassa. Il veut disposer de toutes les ressources du pays, afin de demeurer le seul ordonnateur, l’unique bienfaiteur, le papa des Centrafricains. Abandonnant l’arrière-pays à son triste sort, il se concentre sur Bangui et son palais de Berengo, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, où il construit quelques infrastructures. Le contrôle du pays passe par un vaste réseau d’informateurs, issus de tous les milieux, dont les femmes du Mesan et les vendeuses du marché central de Bangui. Tous se surveillent et se dénoncent mutuellement. Dans sa violence spectaculaire, le maréchal, puis le président à vie, et enfin l’empereur élimine l’un après l’autre ses adversaires, participe aux interrogatoires et aux séances de torture. Ceux qui travaillent avec lui encaissent des humiliations permanentes.
Avec la France, les rapports varient selon les saisons et les circonstances. Surtout avec son « parent » Valéry Giscard d’Estaing, à qui il a offert des diamants. Pour faire chanter Paris, Bokassa, comme plus tard certains de ses successeurs, dont André Kolingba, se jette dans les bras de Mouammar Kadhafi, l’ennemi jurédes Français. Il se convertit même à l’islam. Pour ne pas perdre le Tchad, l’enjeu principal, la France est obligée de se montrer plus conciliante envers la Centrafrique, qui sert à la fois de tampon et de base arrière. Paris va jusqu’à financer le couronnement de Bokassa en 1977.
Mais de janvier à avril 1979, Bangui est le théâtre de manifestations d’élèves et d’étudiants réprimées dans le sang. Les adversaires de Bokassa l’accusent d’avoir participé personnellement aux tueries. Amnesty International s’en mêle. Une commission d’enquête arrive à Bangui. Le complot commence lorsque Dacko, devenu conseiller de l’empereur depuis sa sortie de prison, ainsi que le Premier ministre Henri Madou sollicitent l’aide de la France pour prendre le pouvoir. L’Elysée est d’accord. Dacko, en mission à Paris, passe par N’Djamena, où l’attend l’équipe de l’opération Barracuda, destinée à le remettre au pouvoir. Le 20 septembre, profitant d’un voyage de Bokassa en Libye, les Français débarquent à Bangui avec Dacko, qui reprend le pouvoir sans coup férir.
Réconciliation
Comme en 1960, David Dacko, entouré de conseillers français, essaie de réinstaurer le parti unique pour un pouvoir personnel. Il ravive ainsi des tensions auprès d’hommes politiques qui, faute d’idéologie, jouent la carte ethnique. Contraint et forcé, il finit par accepter le multipartisme. Le 15 mars 1981, il remporte l’élection présidentielle au premier tour. Mais les manifestations violentes qui secouent Bangui six jours plus tard compliquent sa tâche.
Le 1er septembre, le général AndréKolingba le renverse. Pendant une décennie de pouvoir personnel (sans la violence de Bokassa), il pratique aussi le clientélisme, le favoritisme envers les siens. S’il privilégie la construction d’infrastructures dans sa région d’origine en délaissant celles datant du temps de Bokassa à Berengo et dans la Lobaye, il n’oublie pas pour autant les autres provinces. D’autre part, il poursuit la remise en état du réseau routier, ce qui profite à la production agricole, en particulier à celle du coton. En combattant la contrebande du diamant, Kolingba contribue à l’augmentation des recettes douanières du pays. Il instaure même un impôt de solidariténationale et organise, en novembre 1986, le procès de Bokassa, revenu au pays en octobre. L’ex-empereur sera condamné à mort puis gracié. Le général Kolingba revient au multipartisme au début des années 1990. En 1993, battu à l’élection présidentielle par Ange-Félix Patassé, ancien Premier ministre de Bokassa, il accepte le verdict des urnes. Mais Patassé, bien que réélu en 1999, n’arrive pas à diriger le pays d’une façon apaisée. Les tentatives de putsch se succèdent : celle de Kolingba en 2001, puis celle du général François Bozizé, un ancien allié de Patassé, l’année suivante.
Patassé est sauvé par les forces libyennes et les hommes du Congolais Jean-Pierre Bemba. Le pays entre dans un cycle de mutineries et de rébellions. Finalement, en 2003, Bozizé, soutenu par N’Djamena et Kinshasa, atteint son but et chasse Patassé du pouvoir. Il sera élu président en 2005. Mais le pays peine toujours à trouver ses marques, malgré le dialogue national, fin 2008, qui a scellé, en principe, la réconciliation.
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