Matonge chez les Zoulous
Le quartier de Yeoville est devenu celui des immigrés, congolais essentiellement, mais aussi ivoiriens, béninois ou camerounais. Ici, les étrangers, de moins en moins bien accueillis, vivent entre eux pour plus de sécurité.
Le mur de briques rouges du supermarché, au cœur de Yeoville, à Johannesburg, est couvert de milliers de petits papiers blancs. Sur une quinzaine de mètres de long s’alignent ainsi les petites annonces. Des offres d’emploi – très peu –, des demandes d’emploi, beaucoup de voitures à vendre, mais surtout des chambres à louer, des colocations pour la plupart. Plusieurs d’entre elles sont en français.
Éric se fraie un chemin sur ce trottoir très fréquenté et scrute chaque petite annonce méthodiquement. Il cherche un job, et peut-être une chambre moins chère. Car la vie est dure pour ce jeune avocat arrivé de Bukavu il y a quelques mois. Il travaillait pour une ONG de défense des droits de l’homme. Parce qu’il a dénoncé des exactions commises par l’armée, il s’est senti menacé et a fui son pays.
Aujourd’hui, Éric est garde de sécurité dans une maison de retraite. Ce fils d’un colonel de l’armée zaïroise gagne 2 800 rands par mois (280 euros) et paie sa petite chambre 1 700 rands. Autant dire qu’il ne lui reste presque rien pour manger, se déplacer et aider son épouse restée en RD Congo.
Comme la plupart des Congolais vivant en Afrique du Sud, il s’est installé à Yeoville, où, deux fois par semaine, des bus arrivent directement de Lubumbashi. Quartier de « bourgeois bohèmes », essentiellement des Blancs, dans les années 1990, Yeoville était devenu au début des années 2000 un lieu de mauvaise réputation. Malfamé, dangereux, violent et décati, il était une « no go zone », une zone de non-droit où l’on ne s’aventurait pas. Aujourd’hui, pourtant, après quelques efforts de réhabilitation de la mairie de Johannesburg et un changement de population, Yeoville est à nouveau fréquentable.
Un concentré d’Union africaine
« On est heureux ici, entre nous », explique Jean Kunda, dit Décante, qui vit à Johannesburg depuis si longtemps que son français a pris des accents anglais. Arrivé avec ses parents à la fin des années 1990, il a enterré son père en 2000 et sa mère cinq ans plus tard. Il s’est retrouvé à 27 ans avec une famille de sept personnes à charge. Il vit dans un de ces anciens appartements bourgeois avec de superbes parquets et de jolis balcons. L’immeuble a été préempté par un des habitants, un Sud-Africain, quand le vrai propriétaire a décidé que le lieu, entièrement squatté, ne méritait plus d’investissement. Depuis, hormis le logement occupé par le « propriétaire », tous les appartements sont loués à des étrangers, congolais essentiellement. Chaque famille occupe une pièce, la salle de bains et la cuisine sont communes. Ici, on a des « cochambres », le plus souvent des compatriotes avec lesquels on partage un loyer.
Et il en est ainsi de presque tous les bâtiments de Yeoville, où les étrangers se regroupent par origines. Les Congolais, avec les Nigérians, sont les plus nombreux, mais on croise aussi des Ivoiriens, des Béninois, des Camerounais. Yeoville c’est un concentré d’Union africaine.
Comme dans la boutique de Pierre Sonouga, un Béninois. Juché sur un tabouret, il observe, surveille et encaisse. Ce cuisinier de formation règne aujourd’hui sur l’un des salons de beauté les plus actifs de Rockey Street, l’artère commerçante de Yeoville. Sur 22 employés, il a 15 francophones (Congolais, Togolais, Béninois, Gabonais…). « Chacun a sa façon de tresser. Ici, les clients ont le choix », explique Pierre, qui compte ouvrir bientôt un second salon.
Décante, qui a un stand d’artisanat au marché de Rosebank, l’un des mieux achalandés de la ville, fréquente beaucoup « l’immeuble des Camerounais », à quelques rues de chez lui. Tous où presque importent et vendent des « objets d’art ». Vaguement protégés de la pluie par des bâches mal ajustées, les tabourets, statues et autres sculptures de bois vieillissent dans l’arrière-cour. Ils fournissent les échoppes de Rosebank, mais aussi des grands dépôts de la ville.
(En plein coeur de Yeoville, le salon de coiffure du Béninois Pierre Sonouga emploie du personnel de tout le continent. © Bénédicte Kurzen/VII Network).
« L’insécurité, ici, c’est zéro. Yeoville est devenu un endroit très calme ; Même les sans-papiers peuvent circuler tranquillement », assure Ousmane Foundikou, un Bamoun, et l’un de ces marchands d’art.
Depuis la vague de violences xénophobes de 2008, qui a fait une centaine de morts et des milliers de déplacés, les quelques étrangers qui vivaient dans les townships se sont regroupés au centre-ville, à Hillbrow, mais surtout à Yeoville. « On a vraiment eu très peur », se souvient Décante. Il n’est d’ailleurs pas très optimiste : « Pendant la Coupe du monde, ça va, mais après… ? Ça peut recommencer. »
Des millions de migrants
Xénophobes, les Sud-Africains ? « Ils sont surtout très ignorants », argumente Décante. Son ami, l’Ivoirien Abdoulaye Ouattara, acquiesce : « Ils sont restés enfermés dans leur pays très longtemps, ils ne connaissent rien du reste de l’Afrique. »
Depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud a attiré des millions de migrants. Le plus important contingent vient du Zimbabwe, pays voisin, en proie depuis dix ans à une grave crise politique et économique. Parmi les francophones, les Congolais sont de loin les plus nombreux, avec une communauté de quelque 800 000 personnes.
« Il y a eu une première vague dans les années 1990, surtout des gens qui fuyaient les troubles dans le Katanga. Parmi eux il y avait des médecins, des ingénieurs ; ils ont été très bien accueillis ici et se sont intégrés sans problème, ensuite, il y a les jeunes diplômés, arrivés ces dix dernières années, qui ont trouvé des postes de cadres. C’était l’époque faste pour les étrangers », explique Hubert Tshiswaka, membre du Forum des organisations congolaises en Afrique du Sud (Focas).
Cet ancien avocat, spécialiste des droits de l’homme, actuellement chargé du programme RD Congo au sein de l’Open Society Initiative for Southern Africa (Osisa) – laquelle, financée par George Soros, travaille sur la démocratie –, est plus inquiet pour les nouveaux arrivants. « Les jeunes diplômés ont beaucoup plus de mal à trouver un emploi ici. Désormais, l’Afrique du Sud a formé ses propres cadres et ferme ses portes. »
Mais le gros des émigrés congolais regroupés à Yeoville appartient au petit peuple. Ils sont surnommés les « Matonge » par leurs compatriotes, en référence au vaste quartier populaire et animé de Kinshasa.
« Ils ne parlent pas l’anglais, souvent leurs papiers ne sont pas en règle et leur intégration est très difficile », explique Hubert Tshiswaka. Certains obtiennent un statut de réfugiés, d’autres épousent des Sud-Africaines ou attendent cinq ans et demandent un permis de résidence. Les tracasseries sont multiples et « les policiers nous prennent pour des ATM » (distributeurs automatiques de billets), raconte Amadou, un Malien, qui après dix ans n’a toujours pas de papiers valides.
Rafles et expulsions
En cas de rafle, il faut réagir vite et trouver quelqu’un pour payer la caution. Sinon c’est direction Lindela, le camp de transit à quelques dizaines de kilomètres de Johannesburg, avant le rapatriement. « Les Zimbabwéens, ils ont deux trains par semaine qui les ramènent au pays, nous, on peut attendre des mois à Lindela », explique Décante. Idem pour les autres immigrés venus de pays lointains, comme le Bénin ou la Côte d’Ivoire.
L’Afrique du Sud n’est plus l’eldorado dont toute une génération d’Africains avait rêvé. La vie y est plus dure qu’avant, « mais c’est quand même plus facile que chez nous », ajoute Décante. « Aux jeunes, je dis : “Venez avec un projet bien réfléchi. Ne venez pas à l’aventure, cette époque-là est finie.” »
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