Israël : l’État hors-la-loi
En lançant un raid meurtrier contre une flottille affrétée par des activistes propalestiniens au large de Gaza, le 31 mai, les Israéliens se sont attiré la réprobation du monde entier. Dérapage ou stratégie visant à préparer le terrain à une attaque contre l’Iran ?
« Terrorisme d’État », « acte de piraterie », « crime de guerre »… L’assaut sanglant d’un commando israélien contre la flottille Free Gaza, le 31 mai, s’est attiré la réprobation générale. Le monde entier y a vu la preuve éclatante du mépris d’Israël pour le droit international et du peu de prix qu’il accorde à la vie humaine dès lors que des Juifs ne sont pas impliqués.
Devant la gravité de cet acte – au vu des neuf morts et du nombre de blessés parmi les militants non armés qui cherchaient à rompre le blocus de Gaza en vigueur depuis trois ans –, cette indignation semble justifiée. Mais elle n’explique pas pourquoi Israël a choisi d’agir de la sorte. Ses dirigeants, civils comme militaires, ne sont pas des débutants. Leurs actions sont mûrement réfléchies et pesées avec soin. Quel a donc été leur calcul ?
Deux doctrines sécuritaires ont, semble-t-il, été appliquées : l’une dirigée contre les Palestiniens, l’autre contre les adversaires d’Israël au Moyen-Orient (l’Iran, principalement, et ses alliés arabes radicaux : la Syrie, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien).
Afin de satisfaire ses ambitions expansionnistes, Israël a toujours évité de s’engager dans de vraies négociations avec les Palestiniens qui, en cas d’accord, le contraindraient à céder des territoires. Les dirigeants israéliens détestent les modérés, comme Mahmoud Abbas, l’infortuné président de l’Autorité palestinienne. Ils leur préfèrent de loin les extrémistes du Hamas, avec lesquels toute discussion est exclue, donnant prétexte à cet éternel refrain : « Comment négocier avec quelqu’un qui veut vous tuer ? »
L’attaque de la flottille au large de Gaza est leur dernière tentative destinée à radicaliser les Palestiniens et à torpiller, avant même qu’ils aient réellement commencé, les « pourparlers indirects » que George Mitchell, l’émissaire du président Obama au Moyen-Orient, a laborieusement réussi à relancer. Désormais, la pression qui pèse sur Mahmoud Abbas est énorme. S’il ne se retire pas de ce processus, il risque d’être qualifié de traître par une opinion palestinienne et arabe très remontée.
De toute évidence, Israël a calculé que la tempête finirait par se calmer et que, en attendant, il pouvait mettre cet épisode à profit pour continuer son expansion territoriale. Ce dernier assaut militaire sera vite oublié. Tout comme la guerre de Gaza (décembre 2008-janvier 2009) a été balayée par d’autres événements. Le blocus est maintenu, les Palestiniens restent divisés, la communauté internationale s’offusque mais ne fait rien… et, pendant ce temps, Israël poursuit la colonisation.
Des dossiers intimement liés
Le Premier ministre Benyamin Netanyahou pense très probablement que Barack Obama n’osera pas durcir le ton avant les élections de la mi-mandat, en novembre – ni même après, si les démocrates vacillent. Quant à la doctrine de défense israélienne au Moyen-Orient, elle était établie avant même la création de l’État hébreu par David Ben Gourion : afin de garantir sa viabilité et sa sécurité dans un environnement hostile, il est impératif qu’Israël soit la superpuissance militaire de la région. Il doit être plus fort que tous ses adversaires réunis, ne jamais montrer de signes de faiblesse et systématiquement réagir avec la plus grande fermeté à tout défi, fût-il posé par des activistes propalestiniens désarmés.
Aujourd’hui, Israël considère l’Iran comme son principal adversaire. S’il décidait de frapper ses installations nucléaires, il devrait préalablement s’assurer que les États-Unis le soutiendraient et le protégeraient contre toutes représailles. Mais, pour obtenir ce soutien, Tel-Aviv doit montrer son entière détermination à combattre – et à détruire – la moindre menace à sa suprématie. Peut-être l’assaut de la flottille visait-il à préparer le terrain, politiquement et psychologiquement, à une attaque contre l’Iran. Car, pour Netanyahou et Obama, la guerre que mène Israël contre les Palestiniens et sa confrontation avec l’Iran sont deux dossiers liés.
Pressions intenables
Le Premier ministre israélien et les idéologues qui l’entourent se sont engagés dans une stratégie risquée et coûteuse. Israël s’est mis à dos une bonne partie de la planète. La haine qu’il suscite ira croissant – pas seulement chez les musulmans –, avec l’antisémitisme comme corollaire. La « délégitimation » d’Israël, qui inquiète déjà de nombreux intellectuels juifs en Europe et aux États-Unis, va se poursuivre.
Les pressions internationales en faveur d’une levée du blocus de Gaza pourraient devenir intenables pour l’État hébreu. La population égyptienne, très en colère, exercera également une forte pression sur ses dirigeants pour qu’ils rompent les relations avec Israël, avec lequel l’Égypte est en paix depuis 1979. Accusé par les pays arabes de contribuer au blocus de Gaza, le président Moubarak a déjà ordonné la réouverture du point de passage de Rafah entre son pays et la bande de Gaza afin de permettre le transit de matériel humanitaire. La Jordanie, qui entretient de bonnes relations avec Israël depuis de nombreuses années, estimera peut-être à son tour qu’elle doit prendre ses distances.
Quant à la Turquie, qui fut l’alliée d’Israël, elle a rejoint les rangs de ses plus farouches ennemis. C’est le plus lourd tribut que les Israéliens auront à payer pour avoir opprimé les Palestiniens et s’être lancés dans une expansion à outrance. Désormais, les Turcs leur disputent la domination régionale.
Cette crise internationale aura-t-elle des répercussions en Israël ? Il se pourrait en effet que l’opinion, inquiète de susciter une telle hostilité dans le monde et craignant de perdre l’appui des États-Unis, rejette la politique intransigeante et dangereuse de Netanyahou. Celui-ci serait alors contraint de démissionner et d’affronter de nouvelles élections. Peut-être est-ce ce qu’espère secrètement Obama.
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