Révélations explosives
Dans un ouvrage richement documenté, un universitaire américain affirme que l’État hébreu a voulu fournir l’arme atomique au régime de l’apartheid dans les années 1970.
Israël se serait bien passé du scandale. Le 24 mai, le quotidien britannique The Guardian révèle la teneur d’un accord militaire qui aurait été secrètement négocié avec l’Afrique du Sud au plus fort du régime de l’apartheid. Le journal s’appuie sur le travail de Sasha Polakow-Suransky, auteur d’un ouvrage sur les relations étroites qu’ont entretenues les deux pays. Documents officiels à l’appui, cet universitaire américain affirme que l’État hébreu a proposé de fournir des ogives nucléaires à Pretoria.
Le Guardian reprend notamment le compte rendu d’une réunion remontant au 31 mars 1975. Les protagonistes sont Shimon Pérès, alors ministre israélien de la Défense, et son homologue sud-africain, Pieter Willem Botha. Tous deux négocient la livraison de missiles de longue portée Jéricho, qu’Israël développe à l’époque avec le shah d’Iran et qui peuvent être dotés de charges non conventionnelles. À l’issue de la rencontre, l’option nucléaire est offerte par Pérès. Ce dernier insiste pour que les négociations restent strictement confidentielles. Les missiles sont désignés par un nom de code, « Chalet », qui apparaît dans une autre note datée du 4 juin. Polakow-Suransky rapporte que les Sud-Africains finiront par renoncer à la transaction en raison de son coût trop élevé.
Ces allégations ont été immédiatement démenties par Shimon Pérès. « Israël n’a jamais négocié la vente d’armes nucléaires à l’Afrique du Sud, affirme un communiqué de la présidence. Les documents du Guardian sont interprétés de façon sélective et ne se basent sur aucun fait concret. L’article ne montre aucune signature israélienne qui prouve que de telles négociations ont eu lieu. » L’affaire n’en reste pas moins embarrassante pour l’État hébreu, puisque, pour la première fois, elle tend à prouver formellement l’existence d’un arsenal atomique israélien.
« Le travail d’enquête mené par Polakow-Suransky est sérieux mais difficilement vérifiable », estime le Dr Ronen Bergman. Ce spécialiste des relations entre Israël et l’Afrique rappelle que « l’état-major de l’armée sud-africaine a fait détruire toutes ses archives en 1991, deux semaines avant la fin du régime de l’apartheid. Ensuite, si les échanges entre les deux pays ont été très poussés dans les années 1970, il n’a jamais été question pour Israël de soutenir le programme nucléaire de Pretoria à des fins militaires ».
En 1992, l’ancien chef de la marine sud-africaine, Dieter Gerhardt, déclarait à sa sortie de prison – il avait été incarcéré pour espionnage au profit de l’URSS – avoir vu des documents portant sur le transfert de huit missiles balistiques israéliens à tête nucléaire. Jusqu’ici, la seule preuve tangible d’une coopération de ce type entre les deux pays remonte à 1979. Un satellite américain avait identifié une explosion dans l’océan Indien, au large des côtes sud-africaines, qui correspondrait au seul essai nucléaire mené par l’État hébreu.
« Je ne suis pas surpris par ces fuites, explique l’historien militaire Martin van Creveld. Il est évident qu’on cherche à exercer des pressions sur Israël, même si je doute que cela ait une quelconque incidence. » Alors que vient de s’achever, à New York, une conférence de suivi du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), les révélations du Guardian portent clairement atteinte à l’image d’Israël comme puissance atomique « responsable ». Au moment où se décident de nouvelles sanctions contre l’Iran, l’État hébreu pourrait bien être sommé de rendre des comptes sur son programme nucléaire.
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