Les joyeuses mégères de Tanger

Fouad Laroui © DR

Publié le 6 juin 2010 Lecture : 2 minutes.

Vous est-il arrivé un jour de vous trouver pris dans une foule de contrebandiers ? C’est une expérience intéressante. Or donc, mercredi dernier, je me pointe tôt le matin au port de Tanger pour prendre le ferry qui mène à Algésiras. D’habitude, en dehors des vacances, c’est une opération qui ne pose aucun problème, c’est l’affaire d’un petit quart d’heure au maximum, entre le contrôle de police et l’examen des bagages par les gabelous.

Mais ce jour-là, mercredi donc, les choses ne se déroulent pas du tout comme ça. Au moment où j’arrive dans le hall où se passent les opérations, une horde, il n’y a pas d’autre mot, une horde d’au moins deux cents femmes surgit, chacune d’elles munie d’énormes valises, piaillant, gesticulant, se pressant devant l’unique policier chargé de viser les passeports. Inutile de préciser que personne ne fait la queue, sauf moi, et que je me retrouve donc englouti dans le flot de ces furies.

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Renseignements pris, il s’agit de centaines de femmes de Tanger qui prennent chaque matin le ferry pour aller à Tarifa, en Espagne – c’est juste en face, la traversée dure une demi-heure. Elles remplissent leurs valises de marchandises chinoises – des vêtements, des jouets, des scoubidous – et elles reviennent dans l’après-midi vendre cette camelote sur les marchés de Tanger.

Tout cela pose des questions intéressantes. Comment se fait-il que toutes ces mégères disposent de passeports en bonne et due forme alors qu’elles ne se livrent qu’à une seule activité : la contrebande ? Plus intrigant encore : comment se fait-il que l’Espagne, donc l’Europe, qui est censée avoir fait de son territoire une ­forteresse imprenable et bouclé ses frontières, laisse chaque jour y entrer des contrebandières, de façon officielle et légale ? Qu’écrivent ces femmes sur leur fiche de débarquement à la case « motif du voyage » ? « Séjour linguistique d’environ une heure » ? « Tourisme quotidien » ? « Business sans taxes ni scrupules » ?

D’autre part, comment se fait-il qu’il n’y ait qu’un seul policier à Tanger pour contrôler ces centaines de luronnes en sus des quelques dizaines de vrais voyageurs : travailleurs émigrés, touristes, hommes d’affaires et étudiants ?

Finalement, j’ai raté mon ferry et perdu une demi-journée. Mais ne vous en faites pas : les contrebandières ont levé l’ancre à temps. Au moment où j’accostais enfin à Algésiras, fourbu, elles étaient déjà de retour à Tanger, chargées de chinoiseries kitsch et de bidules qui font « bing ». Qui organise cette confusion ? J’aimerais bien le savoir avant de donner à nouveau une demi-journée de ma vie à la noble cause de la contrebande…

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