«Les Mille et Une Nuits » décryptées
L’anthropologue algérien Malek Chebel consacre un dictionnaire original aux contes. Plus de 900 pages dédiées au symbole de l’éternel féminin : Shéhérazade.
Nous connaissons de l’islam ses interprètes classiques et ses exégètes modernes, les écrivains qui en diagnostiquent les maladies et ceux qui en font un objet de scandale. Malek Chebel présente, lui, un tout autre profil. Depuis des années, il a fait le pari de livrer, en anthropologue avisé, le déroulé des histoires ludiques de la religion de Mohammed plutôt que ses pages noires, l’audace de ses odalisques d’hier plutôt que la fausse pudeur de ces femmes qui portent la burqa. Son œuvre est de plus en plus volumineuse, connue et reconnue – n’en déplaise à ses détracteurs qui reprochent à l’essayiste franco-algérien de faire de l’islam son fonds de commerce. Après L’Encyclopédie de l’amour en islam (Payot) et Le Kama-Sutra arabe (Pauvert), voici donc le Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits, soit quelque 918 pages dédiées à la reine des contes et symbole de l’éternel féminin : Shéhérazade.
De quoi s’agit-il ? Après un prélude sur le canevas des Nuits – autrement dit un rappel de la mésaventure du roi Chahrayar, trompé par sa première épouse et jurant de tuer ses futures concubines, jusqu’à l’intervention de Shéhérazade qui met fin au massacre et réussit à différer la menace du roi en lui racontant chaque nuit un bout de conte –, l’auteur nous livre son propos de A (Aboul Hassan, personnage emblématique des Nuits) à Z (Zadig, de Voltaire).
Toutefois, il ne s’agit pas de référencer uniquement des personnages liés de près ou de loin aux Nuits, mais aussi des créatures vivantes, telles que les « Animaux fantastiques », ou des notions (« Beauté », « Diversité dans le genre humain »), des lieux (« Bain maure »), voire les marronniers de la littérature comparée, comme la « Fascination des Occidentaux ».
Hymne à la moustache perdue
Le lecteur trouvera aussi des citations d’auteurs tels qu’Antoine Galland, traducteur des Mille et Une Nuits, des titres d’ouvrage (L’Enlèvement au sérail), ou des attitudes (« Hymne à la moustache perdue ! »). Bref, il ne faut pas s’attendre à la formule usuelle du simple dictionnaire, ni à un classement logique et ciblé selon des critères bien arrêtés. Mais plutôt à un pot-pourri où tout ce qui a trait de près ou de loin aux Nuits peut être mentionné, donner matière à exploitation, que ce soit un conte, un poème, une bio, une notice historique, un récit ou une analyse. Autrement dit, il convient de rentrer dans ce Dictionnaire sans l’idée d’une destination précise ni d’une explication rationnelle, d’aimer lire des définitions sous forme de parabole, de suivre à la trace les petits pas de Shéhérazade en Occident ou en Orient.
Ainsi ce livre est-il écrit comme une déclaration d’amour, avec fougue et débordements, maladresses et subtilités, coups de cœur et belles intuitions. Mais, plus que cela, Chebel y fait œuvre utile en participant au déverrouillage des mentalités musulmanes au même titre que tous ceux et toutes celles qui osent désormais parler d’amour et de sexe en terre d’islam. Lesquels, tout compte fait, nous rappellent cette évidence : une religion qui enseignait jadis le sexe dans les mosquées et qui stipule qu’il n’y a « pas de honte en religion » est une religion qu’on aurait tort de taxer d’obscurantisme.
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