Saga Africa

Imposé par les colons, le football est rapidement devenu le sport roi sur le continent. À la veille de la Coupe du monde, plusieurs ouvrages, documentaires et expositions retracent cette histoire passionnante.

Le Marocain Larbi Ben Barek a joué en équipe de France de 1938 à 1954. © Pressesports

Le Marocain Larbi Ben Barek a joué en équipe de France de 1938 à 1954. © Pressesports

Publié le 3 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

La première Coupe du monde de football organisée en Afrique (du 11 juin au 11 juillet, en Afrique du Sud) suscite bien des initiatives. Expositions, documentaires, essais et nouvelles : comme souvent à l’approche d’un tel événement, il est difficile d’échapper à la folie foot. Avec une particularité cette année : la mise en lumière d’un continent dont l’histoire est intrinsèquement liée à celle du ballon rond.

« Civiliser » par le ballon

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Dans les valises des colons, il y avait la Bible, un gros chapeau blanc, des méthodes expéditives… et un ballon de football. Comme le rappellent Olivier Monot et Awa Ly, auteurs du documentaire L’Aventure du football africain1 que diffusera TV5 les 7 et 9 juin, « le football arrive avec la colonisation » sur le continent. Ce sport, explique l’historien Nicolas Bancel dans le catalogue de l’exposition « Allez la France ! Football et immigration, histoires croisées2 », a été introduit très tôt par les colons : dans les années 1860 par les Britanniques, à partir des années 1900 par les Français et les Belges. Objectif (surtout pour les Anglais) : « civiliser les indigènes ».

« On pratiquait déjà ce jeu : deux équipes d’hommes et de femmes, d’un nombre variable, tapant dans un quelconque objet susceptible de rouler. […] Puis l’étranger est venu. […] Le Coach Clemence était en Afrique pour accomplir une grande mission : enseigner aux autochtones la beauté de ce noble sport », raconte l’écrivain nigérian Uzor Maxim Uzoatu3. Ce ne fut pas simple pour Coach Clemence. Malgré tout, l’étranger a accompli sa mission. Rapidement, le foot est devenu « le sport roi » dans toute l’Afrique – au prix de « la négation des jeux africains préexistants », rappellent Monot et Ly.

Réveil nationaliste

Avant un match contre une équipe de Britanniques, Coach Clemence met en garde ses joueurs : leurs adversaires du jour sont doués pour déborder sur les ailes.

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« Les débordements, on connaît bien [rétorque le Presido]. C’est quand quelqu’un vient en missionnaire et se transforme en despote !

– Ne mélangez pas le sport et la politique [réagit le coach].

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– N’écoutez pas le Blanc [ajoute le Presido]. Quand on sera sur le terrain, on imposera notre style. »

Rapidement, le foot se retourne contre ses maîtres. Son rôle dans la montée du nationalisme est prépondérant. Et à ce jeu aussi, les colonies britanniques ont un temps d’avance. En Égypte, le club d’Al-Ahly, le premier du continent, est fondé par des nationalistes, qui s’en servent comme d’une couverture. Au Nigeria, le futur président Nnamdi Azikiwe « construit le football de son pays comme un véritable cheval de Troie de l’indépendance » (TV5). À Tunis, où « le foot a le goût de l’interdit et bientôt de la revanche », Bourguiba utilise le club de l’Espérance pour arriver à ses fins.

Alors que les premières stars d’origine africaine s’imposent en Europe, en club comme en équipe nationale (Diagne, Ben Barek en France, Eusebio au Portugal), dans les années 1930-1940, le ballon rond devient une arme en Afrique. « Vient l’heure des choix pour les joueurs internationaux français », résume le documentaire de TV5, qui raconte l’épopée de l’équipe du FLN, la première sélection algérienne, composée de joueurs ayant fui le championnat de France à la demande du parti nationaliste. Mekloufi est de ceux-là. En s’exilant à Tunis, il sacrifie sa carrière – « j’étais un bon footballeur mais, en tant qu’homme, j’étais nul », livre-t-il. Il accomplit ainsi un « geste historique considérable ».

Après les indépendances, « football et politique restent un seul et même combat » (TV5). Mais bientôt, « le football devient le jouet de leaders orgueilleux ». C’est l’époque des présidents qui font et défont les équipes nationales. « Notre style, c’est le football libre de la démocratie joué avec des rangers de militaires ! » clame le gardien de l’équipe de Coach Clemence…

L’Afrique, c’est chic (et pas cher)

Les préjugés datant de l’époque coloniale sont tenaces. Il faut attendre la Coupe du monde 1970 pour voir la Fifa accorder un ticket à l’Afrique (au Maroc). Mais les années 1980 changent la donne. L’exploit de l’Algérie en 1982 (victoire 2-1 contre l’Allemagne) puis l’épopée du Cameroun en 1990 (défaite en quart de finale face à l’Angleterre) marquent les esprits. « On était la fierté de tout un continent », se souvient François Omam-Biyik (TV5). Bientôt, l’Afrique obtient cinq tickets à la Coupe du monde (six cette année). C’est aussi l’ère de la professionnalisation, d’abord en Égypte et en Tunisie, puis sur tout le continent.

L’argent commence à couler à flots. Longtemps bloqués par certains régimes qui entendent préserver la qualité de leur championnat, les joueurs s’exilent en masse dans les années 1990. Aujourd’hui, Joachim Barbier et Antoine Derouet estiment, dans leur enquête Football made in Afrique4, à 160 le nombre d’Africains évoluant dans les cinq plus grands championnats européens. Mais les retombées financières ne profitent pas aux acteurs du foot ; les championnats locaux ne fonctionnent plus. Où est passé l’argent ? Joseph-Antoine Bell, le mythique gardien des Lions indomptables du Cameroun, se le demande : « Un concessionnaire ne peut pas vendre toutes les voitures de sa concession sans avoir un compte en banque fourni ! » (TV5)

Fin des années 1990, début des années 2000 : Pelé, Weah, Eto’o sont érigés au rang de stars – et touchent les salaires qui vont avec. L’Afrique est à la mode. Et le foot devient, pour des millions de jeunes Africains, l’unique planche de salut. Le ballon rond « est pensé comme la seule possibilité d’ascenseur social » (Barbier et Derouet). Les agents véreux en profitent. Ils font miroiter aux gamins un destin à la Drogba. Ce sont les « négriers du foot » que dénonce Maryse Ewanje-Épée dans sa remarquable enquête5. C’est toujours le même scénario, celui du « ballon poussière », « distinction imaginaire pour les joueurs dont les rêves d’or et de gloire ont échoué dans l’anonymat, la galère et la clandestinité », que raconte le romancier congolais Wilfried N’Sondé dans Enfants de la balle. Tout y passe : la falsification de l’âge, les fausses promesses faites à la famille, l’abandon une fois arrivé en Europe…

Jean-Claude Mvoumin, un ancien joueur qui s’occupe des « ballons poussière », fait ce constat : « On ne pourra véritablement se réjouir du symbole d’une Afrique “qui gagne” que si, parallèlement, on protège sa jeunesse des rêves de pacotille6. »

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1. L’Aventure du football africain, en deux parties, diffusée sur TV5 Afrique lundi 7 (20h30) et mercredi 9 juin (13h30); également disponible sur la web TV de TV5.
2. Allez la France ! Football et immigration, sous la direction de Claude Boli, Yvan Gastaut et Fabrice Grognet, coédition Gallimard, 192 pages, 26 euros (à paraître). En lien avec les expositions « Allez la France! Les footballeurs africains sont là », au Musée national du sport, à Paris, du 26 mai 2010 au 2 janvier 2011, et « Allez la France ! Football et
immigration, histoires croisées », à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à Paris, du 26 mai au 17 octobre.
3. « Le Football à la nigériane », d’Uzor Maxim Uzoatu, dans Enfants de la balle. Nouvelles d’Afrique, nouvelles de foot, éditions JC Lattès, 224 pages, 17 euros.
4. Football made in Afrique, de Joachim Barbier et Antoine Derouet, Actes Sud Junior, 96 pages, 8,50 euros.
5. Négriers du foot, de Maryse Ewanje-Épée, éditions du Rocher, 304 pages, 19 euros.
6. Les Super Bonus du foot, de Renaud Lecadre, Presses de la cité, 240 pages, 19 euros.

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