Dans l’arrière-cour du Quai d’Orsay

De l’univers de la diplomatie on ne connaît souvent que les fastes. Dans un livre fourmillant d’anecdotes qui paraît ces jours-ci, notre confrère Franck Renaud en évoque aussi les petitesses, les mesquineries et les ridicules.

Bernard Kouchner en visite dans un camp de réfugiés près de Goma, en RD Congo, en novembre 2008. © Yasuyoshi Chiba/AFP

Bernard Kouchner en visite dans un camp de réfugiés près de Goma, en RD Congo, en novembre 2008. © Yasuyoshi Chiba/AFP

Publié le 4 juin 2010 Lecture : 8 minutes.

En Égypte, un responsable de l’Alliance française organisait des soirées très particulières, avec des mineurs non rémunérés et pour principale attraction des défilés de drag-queens… Au Tchad, trois tapis d’Aubusson – une ancienne manufacture royale – décorant l’ambassade de France se sont un jour mystérieusement volatilisés… Ailleurs, un diplomate mentait sur le nombre de ses invités pour compenser la baisse de son indemnité de résidence… Un autre se faisait payer des cours de langue quotidiens qui étaient en fait d’agréables séances de massage…

De telles anecdotes, dont le caractère peu glorieux, sinon mesquin, contribue à désacraliser l’univers lointain, policé et encore très aristocratique de la diplomatie française, le livre du journaliste Franck Renaud en fourmille. Dans Les Diplomates. Derrière la façade des ambassades de France, cet ancien du quotidien Ouest-France aujourd’hui en poste à Hanoi, au Vietnam, fait le tour du Quai d’Orsay et de ses cent soixante ambassades – c’est le deuxième réseau diplomatique au monde après celui des États-Unis. Ironisant sur les manies des uns et des autres ou rapportant telle ou telle « petite phrase » prononcée, par exemple, lors d’un voyage ministériel, il illustre surtout un criant paradoxe : celui d’un « petit ministère » à la « grande ambition », « étonnant vivier de femmes et d’hommes de grande qualité » qui n’arrive pas à se réformer, vit sur une « illusion surannée » et dont le budget a baissé de 21 % entre 2000 et 2008. L’ouvrage est sorti le 3 juin chez Nouveau Monde Éditions. Nous en publions ici des bonnes feuilles.

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Depuis le transfert de Rama Yade au secrétariat d’État aux Sports, les ambassadeurs respirent. Car durant ses deux années comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’homme, la chouchou des sondages leur a causé quelques soucis « par ses exigences de diva », comme le souligne un ex-attaché sectoriel en ambassade qui a œuvré pour la mise sur pied d’une de ses visites en Afrique. « Avec elle, on s’est arraché encore un peu plus les cheveux qu’à l’occasion d’une visite “traditionnelle”. Il ne fallait surtout pas lui prévoir de rendez-vous avant 10 h 30 le matin et il fallait en plus tenir compte d’une pause d’une heure après le déjeuner… » Dès lors, pas facile de composer un agenda qui doit aussi tenir compte des contraintes propres aux personnalités locales rencontrées ! Les anecdotes fourmillent sur la jolie et sympathique secrétaire d’État. Armelle Le Goff, journaliste et auteur de la première biographie de Rama Yade, rapporte ainsi qu’en voyage officiel en République démocratique du Congo, en juin 2008, elle patiente durant deux heures à l’aéroport, son iPod sur les oreilles et pianotant SMS sur SMS depuis son téléphone mobile, sans même un regard à l’ambassadeur de France qui, comme le veut le protocole, l’accompagne. Mais Pierre Jacquemot, 61 ans à l’époque, vieux routier de la Coopération, en avait sans doute vu d’autres au gré de ses affectations, la plupart africaines.

Et vogue la jonque…

Les ministres sont gens très occupés. Et en ce mois de juin 2008, entre un stop à Singapour et une escale au Japon, Valérie Pécresse trouve quand même le temps d’une étape au Vietnam. Pour vingt-quatre heures chrono d’une visite au pas de course. Diffusé sur le site du ministère, son agenda officiel indique trois rendez-vous de la plus haute importance. […] Et après ? Rien à signaler […] avant le départ en soirée vers Tokyo. Pas même une petite visite de courtoisie à la vingtaine de chercheurs français en poste dans la capitale du Vietnam ? Surtout pas, alors que la recherche française, en ébullition face aux projets ministériels, s’inquiète de lendemains qui risquent de déchanter. Valérie Pécresse préfère esquiver ces grincheux. Et trouver refuge sur un paradis bien terrestre, la baie de Halong, site classé au patrimoine mondial, immortalisé dans le film Indochine, de Régis Wargnier.

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Le gentil organisateur de l’étape vietnamienne du périple asiatique de la ministre, se souvenant fort à propos que Valérie Pécresse est aussi ministre de la Recherche, a de surcroît eu l’idée lumineuse de justifier cette fugue par une étude de la biodiversité. D’ailleurs, pour un habillage cosmétique et scientifique de l’expédition, un chercheur français spécialiste des questions de biodiversité… en milieu forestier – mais ne le dites pas trop fort car en baie de Halong, si ce n’est sur quelques îlots, les arbres se font rares – a été convoqué, ainsi que deux experts vietnamiens : un universitaire et un directeur du ministère de l’Environnement. Autre membre de cette équipée, une journaliste de l’hebdomadaire Paris Match, qui n’a pourtant rien d’une publication scientifique.

L’emploi du temps de la ministre tenant du contre-la-montre, Valérie Pécresse et sa suite ont donc rallié Halong depuis Hanoi… en hélicoptère. Départ à 12 h 45 pour quarante-cinq minutes de vol ; puis retour à 17 h 45. Entre les deux, un délicieux plateau de fruits de mer et crustacés pêchés en mer de l’Est, servi à bord d’une jonque. Une prestation facturée par les agences de voyages à un tarif moyen de 500 dollars par personne – or l’expédition comptait en tout une quinzaine de membres. Avec transport aérien en hélicoptère russe qui, puisque l’assemblée était réunie pour se pencher sur la biodiversité, a dû mettre un coup de griffe supplémentaire à la couche d’ozone…

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Une star nommée French Doctor

Gérer une visite de Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, n’a rien d’une partie de plaisir. Le fondateur de Médecins sans frontières sait ce qu’il veut et se montre ferme sur les prix. Comme pour ce voyage de janvier 2008 en Afrique, où il compte enchaîner RD Congo, Rwanda et Burkina. Le tout sur trois journées, du 25 au 27 janvier. Le French Doctor a pourtant été mis en garde : une visite au Rwanda juste après la RDC risque d’être très mal prise par les Congolais, ennemis jurés des Rwandais même si, officiellement, l’heure semble être à la détente. Jusqu’au conseiller Afrique du ministre qui tente de le dissuader de se rendre à Kigali, la capitale rwandaise. En vain. Bernard Kouchner a sa propre histoire avec ce pays déchiré par un génocide et des liens avec son président, Paul Kagamé. Le 25 janvier, le ministre débarque à Kinshasa, la capitale de la RDC, et mène sa visite au pas de charge. Le témoignage d’un agent alors affecté à l’ambassade de France : « Son programme était bourré à bloc, avec en plus un crochet par Goma [dans l’est de la RDC] où il a visité un camp de réfugiés et un hôpital pour femmes violées. C’est toujours pareil lors de ces visites, les ministres n’écoutent pas le terrain lors de la préparation et ne tiennent pas compte des conditions locales, pour le transport par exemple. »

Au menu de Bernard Kouchner pour ce voyage en RDC, en guise d’entrée, une réunion au Centre culturel français. Il s’agit d’y présenter la coopération française dans le pays, en présence de quelques-uns des partenaires congolais des actions menées.

Or en raison des difficultés de circulation et du programme trop chargé, le ministre déboule en retard et déjà énervé à la réunion. Il prend cependant le temps de saluer chacune des vingt personnes avant de faire un bref discours.

« Puis le conseiller culturel a démarré une présentation Powerpoint des axes de la coopération. C’était interminable et sa main tremblait à chaque changement de diapo ! Bernard Kouchner a commencé à soupirer ouvertement. Plus personne n’osait prendre la parole. » Le ministre, entre deux soupirs, utilise son téléphone mobile ou échange quelques mots avec le directeur Afrique du Quai d’Orsay.

Flairant le danger, l’ambassadeur vole au secours de son conseiller culturel en voie de noyade. Il tente désespérément d’attirer l’attention du ministre en haussant la voix. Mais Bernard Kouchner ne l’entend pas de cette oreille, ou plutôt l’entend trop bien. Levant la tête, il interrompt le malheureux diplomate : « Monsieur l’ambassadeur, je ne suis pas venu jusqu’ici pour voir une présentation Powerpoint. J’ai un rendez-vous avec le président Kabila dans vingt minutes. Mes conseillers vont rester là ; mais moi, j’y vais. » Sur ce, le voilà qui se lève et disparaît.

Le docteur Kouchner a beau avoir roulé sa bosse sur toute la planète, en déplacement à Goma, il témoigne parfois d’un cœur de midinette. Le ministre apprend que l’acteur américain George Clooney se trouve également « en ville »… Depuis peu « Messager de la paix » des Nations unies, le Dr Ross de la série télévisée Urgences, star engagée, effectue incognito une tournée en Afrique et en Inde, qui passe par la RDC.

À cette annonce, Bernard Kouchner ne tient plus en place. Entre médecins sans frontières (mais l’un télévisé seulement), il veut absolument rencontrer George Clooney, lequel attend un avion dans un salon de l’aéroport de Goma.

La suite se déroule comme dans un film. Le French Doctor pousse la porte du salon et interpelle le comédien : « When a famous Hollywood star meets a famous politician star… » Une accolade suit, avec un George Clooney quelque peu interloqué par ce visiteur imprévu qu’il ne semble pas complètement remettre… Commentaire de notre témoin : « Bernard Kouchner disait haut et fort qu’il voulait que cette rencontre se fasse en privé, mais il n’aurait pas dit non à une petite photo ! » Avec ou sans sac de riz, comme en Somalie, l’histoire ne le dit pas…

Sous les roquettes

À quelques semaines de l’élection présidentielle de 2007, Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, effectue une tournée dans les deux Congos. Après Brazzaville, elle doit signer le document cadre de partenariat (DCP) avec Joseph Kabila, le président de la RD Congo voisine.

Lors des préparatifs de son déplacement, la ministre a lourdement insisté pour signer ce texte, comme si le sort de la prochaine élection en dépendait ! Et du côté de l’ambassade à Kinshasa, les diplomates ne font rien pour réfréner ses ardeurs, s’attendant à ce que des dizaines de millions d’euros d’aide et projets pleuvent sur la capitale congolaise…

En attendant, ce sont les roquettes et les obus qui tombent. En cette fin mars 2007, le jeudi 22, Joseph Kabila a décidé de « nettoyer » la garde armée de son rival politique, Jean-Pierre Bemba.

Coincée à Brazzaville, la ministre insiste pour traverser le fleuve Congo et effectuer un saut à Kinshasa. L’ambassadeur, un ancien militaire, Bernard Prévost, assisté du premier conseiller, tente poliment de raisonner son cabinet ; tout en préparant l’évacuation de la communauté française, en partie réfugiée dans les locaux vieillots de l’ambassade, alors que les combats redoublent.

« Mais, vous n’entendez pas les obus et les roquettes tomber depuis Brazzaville ? » Le calme, relatif, ne reviendra que le samedi 24 au matin.

Alors même que la capitale congolaise vient de vivre quarante-huit heures de scènes de guerre et de pillages, les conseillers de la ministre harcèlent l’ambassadeur pour que Brigitte Girardin puisse signer le DCP. À force de suppliques, la ministre et son cabinet obtiennent l’organisation de la séance de signature, avec un représentant du gouvernement congolais.

« Ils ont débarqué en hélicoptère depuis Brazzaville le samedi matin. On a compris pourquoi ils avaient mis tant d’insistance pour venir lorsqu’on a vu qu’ils étaient accompagnés d’une équipe de la télévision publique, des journalistes qui, eux, cherchaient d’abord à filmer des cadavres dans les rues… »

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