Vie et mort de la « Sorbonne »
Le maire du Plateau, membre de l’opposition, veut fermer la célèbre place d’Abidjan, haut lieu de la propagande des Jeunes patriotes, soutiens du président Laurent Gbagbo.
En attendant l’élection présidentielle, un autre combat oppose déjà le camp du chef de l’État et l’opposition dans la commune du Plateau, au cœur d’Abidjan : celui du contrôle de la « Sorbonne ». Le lieu est en effet convoité par le maire, Akossi Benjo, membre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui tente d’en déloger les occupants actuels, proches du camp présidentiel.
À Abidjan, quand on parle de la Sorbonne, une place au cœur du Plateau, le quartier administratif et des affaires, il ne s’agit pas d’une réplique locale de la célèbre université parisienne. C’est un espace d’expression où, dans les années 1990, s’étaient installés des prédicateurs diffusant la bonne parole aux fonctionnaires pendant la pause déjeuner.
Depuis quelques années, le lieu s’est politisé. Il est désormais occupé par des Jeunes patriotes, partisans du pouvoir, qui défendent le président Gbagbo et diffusent une propagande antifrançaise. Chaque jour, attirées par l’indéniable talent des orateurs, des centaines de personnes y viennent en badauds ou en inconditionnels écouter les harangueurs de foules.
Au fil des ans, la Sorbonne est devenue un véritable dépotoir. Des commerçants et des tenancières de « maquis », petits restaurants à bas prix, se sont installés de façon anarchique. Selon le maire du Plateau, la Sorbonne est aujourd’hui le lieu de tous les trafics, de la vente de CD et DVD piratés à la prostitution. L’endroit, où les Jeunes patriotes lèvent directement « l’impôt » auprès des commerçants, échappe à toutes règles. Des policiers de la Brigade antiémeutes (BAE) et de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) qui tentaient de mettre de l’ordre ont régulièrement été repoussés.
Expédition punitive
Le 24 mai au petit matin, le lieu a été le théâtre de violents affrontements entre des agents de la police municipale en service commandé et les Jeunes patriotes. Les « sorbonnards », armés de machettes, de bâtons, de barres de fer et de pierres ont opposé une forte résistance, obligeant les agents de la police municipale, dont plusieurs ont été blessés, à battre en retraite.
Revigorés, les Jeunes patriotes ont menacé de lancer une expédition punitive dans les locaux de la mairie situés à quelques centaines mètres. La police nationale, jusque-là absente, a été obligée de sécuriser le bâtiment.
La crise est loin d’être terminée. « On s’était préparés à cette éventualité, et on attendait de pied ferme le maire et ses sbires. Nous ne bougerons pas d’ici. C’est une manœuvre du maire pour affaiblir le président Gbagbo », déclare Clément Nadaud, le « président » de la Sorbonne.
En prélude aux assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), les 27 et 28 mai, Abidjan a décidé de faire le ménage. Les autorités ont demandé aux maires des dix communes de s’y atteler. Un bon prétexte pour celui du Plateau, qui voulait depuis longtemps fermer cette « université » en plein air.
Déjà en 2008, le conseil municipal avait annoncé « le déguerpissement de la Sorbonne » pour nuisance. Mais le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, avait recommandé la suspension de la mesure jusqu’à l’organisation de l’élection présidentielle. Pour Akossi Benjo, le délai de grâce est largement dépassé : « On ne sait même pas quand se tiendra l’élection présidentielle, on ne peut plus attendre, je suis déterminé à débarrasser la Sorbonne des squatteurs pour en faire l’hôtel communal du Plateau, et cela prendra le temps qu’il faudra », explique-t-il, ajoutant que « [son] combat n’est pas politique ».
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