En attendant la bataille présidentielle

La réussite de la présidentielle, prévue le 27 juin, première élection libre du pays depuis un demi-siècle, dépend de la conduite des militaires. État des lieux à moins d’un mois de l’échéance, alors que les rumeurs sur un éventuel report du scrutin se font, chaque jour, plus tenaces.

Le colonel Nouhou Thiam a la lourde tâche d’encadrer le scrutin. © Cellou Bibani

Le colonel Nouhou Thiam a la lourde tâche d’encadrer le scrutin. © Cellou Bibani

cecile sow

Publié le 7 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

« Son Excellence le général Sékouba Konaté, sentinelle de la paix. » Regard pénétrant et mine plutôt sévère pour le président de la transition, dont les affiches côtoient dans les rues de Conakry celles des principaux candidats à l’élection présidentielle souriants et détendus. Alors que la Guinée s’apprête à vivre sa première élection libre, démocratique et transparente, cette image apparaît comme un ultime rappel de la mission que le général s’est imposée, après une année de régime chaotique du capitaine Moussa Dadis Camara : rendre aux civils, dans les meilleures conditions et le meilleur délai possible, le pouvoir qu’ils convoitent depuis un quart de siècle.

Processus irréversible

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Depuis qu’il a pris en charge le destin de son pays, le 15 janvier 2010, il ne fait plus de doute, pour personne ou presque, que Konaté ne s’accrochera pas au pouvoir (voir : "Sékouba Konaté, héros malgré lui"). « Le pays sera dirigé par un civil. Le processus est irréversible. Les militaires ont compris que sans la démocratie il n’y aura aucune avancée en Guinée », a-t-il dit à J.A. lors d’une rencontre le 25 mai, à Conakry.

Même son de cloche du côté des rares soldats encore visibles dans la ville. En apparence, le message est bien passé, et l’armée se serait bel et bien assagie. Et le général a pris des dispositions afin d’éviter que les militaires, régulièrement accusés par le passé d’exactions à l’encontre des populations, mettent en péril la transition.

Au cours des dernières semaines, il a placé ses hommes à tous les postes stratégiques de l’armée, de la gendarmerie et de la police. Les premiers signes du changement sont visibles. Les groupuscules d’hommes en armes circulant à tombeau ouvert, parfois sirènes hurlantes, ont quasiment disparu de la ville, qui présente désormais un visage plus sympathique. Même si la nuit il est encore fréquent de se faire intercepter à l’entrée de Kaloum, la commune abritant le centre administratif, par des quémandeurs en uniforme.

Cela est néanmoins sans commune mesure avec ce qui se passait du temps où le capitaine Dadis régnait en maître depuis les hauteurs du camp Alpha-Yaya-Diallo, où se trouvait le siège du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD-junte).

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Aujourd’hui, Alpha-Yaya-Diallo est désert. Le parking autrefois encombré d’automitrailleuses, de voitures de luxe et de courtisans attendant une audience est vide. Fenêtres et climatiseurs ont même disparu des bâtiments cadenassés. « Ils doivent être rénovés », dit le général Konaté, ajoutant que tous les militaires qui occupaient les lieux ont été envoyés vers d’autres camps.

Inflation des effectifs

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Selon le rapport (confidentiel) d’évaluation du secteur de la sécurité en République de Guinée, préparé par le général sénégalais Mamadou Lamine Cissé et un groupe d’experts internationaux entre 2008 et 2009, environ 10 000 jeunes ont gagné les rangs, faisant ainsi grimper l’effectif de l’armée à plus de 30 000 éléments. Jamais un recrutement aussi important n’avait eu lieu en si peu de temps. Ces jeunes, essentiellement originaires des régions forestières, comme l’ancien président autoproclamé, ont été mis à l’écart.

Et si au sein de la population certains croient encore en l’existence de milices pro-Dadis capables de sévir à tout moment, du côté des forces armées on affiche une certaine sérénité. « La situation est totalement sous contrôle, et la Fossepel veillera au bon déroulement du processus électoral », indique un haut gradé qui tient à garder l’anonymat.

La Fossepel, c’est la Force spéciale de sécurisation du processus électoral, qui comprendra 8 000 policiers et 8 000 gendarmes, et dont la formation a été annoncée le 18 mai. Son action sera coordonnée par le nouveau chef d’état-major général des forces armées, le colonel Nouhou Thiam, nommé à la fin d’avril en même temps que plusieurs autres officiers à des postes stratégiques. Les 16 000 agents doivent être déployés dans les 33 préfectures du pays et les 5 communes de Conakry.

Mais tout n’est pas pour autant réglé. Selon les textes, cette force aurait dû être mise en place trois jours avant le démarrage de la campagne électorale, et on ignore encore quand elle pourra être fonctionnelle. « Les uniformes sont commandés, mais nous avons besoin de véhicules, de carburant, de moyens de communication… Il faut environ 20 millions de dollars pour sa mise en place effective », explique la même source.

Manque de fonds

Si la communauté internationale, à travers l’Union européenne (UE) notamment, a débloqué 15,5 millions d’euros, en mars dernier, pour l’organisation de la présidentielle du 27 juin, l’ensemble des dépenses liées à la transition ne sont pas soutenues par les bailleurs qui attendent le retour de la démocratie pour restaurer totalement l’aide. L’État doit ainsi prendre en charge un certain nombre de dépenses, parmi lesquelles la couverture médiatique de la campagne, élément important du processus. Il faut environ 9 milliards de francs guinéens, dont 3 milliards pour l’achat de matériel, afin que les médias publics soient en mesure d’assurer la même couverture pour les 24 candidats.

Au 25 mai, l’argent n’avait toujours pas été débloqué. Les inquiétudes portent aussi sur l’organisation technique du scrutin (voir "Présidentielle : les retards s’accumulent"). Néanmoins, à un mois du vote, à Conakry, comme dans plusieurs localités du pays, rien ne semblait pouvoir empêcher des hordes de jeunes euphoriques de déambuler en chantant les louanges de leur favori tandis que, dans les états-majors des partis, c’était le branle-bas de combat avant les départs des candidats vers la province.

En attendant, chacun pense savoir qui sera le vainqueur et, dans les commerces comme dans les rues, les pronostics vont bon train. Cinq hommes sont bien-sûr favoris (voir : "Le top 5 des candidats à la présidence"), mais certains espèrent que le challenger de leur choix ne fera pas que de la figuration. Si comme prévu le premier tour du scrutin se déroule le 27 juin, la Guinée tournera une page de son histoire.

Mais malgré la réconciliation apparente entre l’armée et les citoyens guinéens, la question du sort des soldats impliqués dans les nombreux événements sanglants (émeutes de janvier et février 2007, tuerie du 28 septembre 2009…) reste épineuse. Même la joie liée à l’installation prochaine d’un président civil n’a pas dissipé les craintes. « Le général a joué sa partition. On pense que l’armée lui est dévouée. Mais elle contient encore des éléments qui ont tiré sur nous. Si ces gens ne sont pas jugés, pourra-t-on vraiment vivre en paix et en confiance avec elle ? » s’interroge un étudiant croisé dans un cybercafé. Konaté a peut-être bonne presse, mais il faudra sans doute que la réforme de l’armée, qui vient à peine de débuter, prenne en compte ces inquiétudes. Alors on pourra dire que le général a assuré avec succès son rôle de « sentinelle de la paix ».

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