Les ralliés de Sa Majesté
Anonymes ou célèbres, du futur ambassadeur en Espagne, Ahmedou Ould Souilem, aux jeunes désœuvrés de la hamada de Tindouf, ils sont près de 8 000 à avoir quitté les camps du Polisario en Algérie pour rallier le royaume chérifien. Enquête sur une hémorragie silencieuse.
Sahara : les ralliés de Sa Majesté
Chaque semaine ou presque depuis le début de 2010, les militaires et policiers marocains en poste à Aousserd, Dakhla, Laayoune ou Lagouera les voient venir dans leurs deraas bleus et leurs melhafas colorées, à bord de camions brinquebalants, de minibus loués ou plus rarement à la descente d’un avion en provenance des îles Canaries. Ils arrivent par groupes de quinze à trente personnes, des familles entières avec femmes et enfants, parfois des petites bandes de jeunes nés dans les camps et pour qui le Sahara occidental n’a jamais été autre chose qu’un mythe.
À Rabat, dans son bureau du ministère de l’Intérieur, le gouverneur chargé de la coordination avec la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), El Arbi Mrabet, ancien doyen de la faculté de droit d’Oujda, tient à jour les comptes de ces retours à la mère patrie. Depuis le 1er janvier 2010, quelque 650 Sahraouis en provenance des camps du Front Polisario de la hamada de Tindouf, en Algérie, ont ainsi fait le grand saut, en empruntant, presque toujours de nuit pour échapper aux barrages de la gendarmerie algérienne, la route goudronnée qui relie Tindouf à Zouerate, en Mauritanie. Au total, explique El Arbi Mrabet, ils sont 8 000 ex-réfugiés du Polisario, dont 5 200 officiellement recensés, à avoir regagné le Sahara sous administration marocaine depuis le cessez-le-feu en 1991.
Absence de toute perspective d’évolution
« Ces cinq derniers mois, le phénomène s’est accéléré, ajoute-t-il. L’offre d’autonomie interne formulée par Sa Majesté a été déterminante. » Cette dernière incitation, loin d’être négligeable, n’est pourtant pas la seule. Aux yeux des jeunes Sahraouis, inactifs en Algérie et interdits de contrebande depuis le récent tour de vis sécuritaire opéré par l’armée mauritanienne dans le nord du pays, les aides matérielles offertes par le Maroc aux brebis égarées de retour au bercail – une pension de 1 250 dirhams net par mois (115 euros) et un logement – constituent des motivations aussi puissantes que les discours officiels. L’organisation par la Minurso de visites réciproques de part et d’autre du mur de défense et la généralisation du téléphone cellulaire dans les camps ont également joué un rôle. En réalité, autant qu’un subit prurit de patriotisme ou que le lointain souvenir de l’allégeance de leurs ancêtres à la monarchie chérifienne, c’est l’absence de toute perspective d’évolution du dossier du Sahara occidental – en dehors de la perpétuation indéfinie du statut précaire de réfugiés – qui pousse les Sahraouis exilés à franchir le pas toujours déchirant du retour.
L’administration marocaine n’est pas dupe, au point de ne pas exclure la présence parmi ces « retornados » d’un certain nombre d’infiltrés volontairement envoyés par le Front Polisario pour mener des activités pro-indépendantistes à l’intérieur du territoire, ainsi que celle, plus significative, de « nomades économiques » habitués des allers-retours entre le royaume et les camps de Tindouf. « Des taupes ? Des opportunistes ? Il y en a. Le contraire serait étonnant, confie un très proche du dossier. Mais nous avons décidé de présumer de leur bonne foi.* » À preuve, le choix par le roi Mohammed VI de la dernière personnalité ralliée en date, Ahmedou Ould Souilem, comme ambassadeur du Maroc en Espagne.
Confiance et représentativité
« C’est la première fois qu’un ancien dirigeant du Polisario est nommé à un poste aussi sensible, poursuit notre source. Cela démontre s’il en était besoin que Sa Majesté veut leur faire confiance. C’est un signe fort. » En bonne logique, la lente hémorragie des camps de la hamada en direction du Sahara marocain devrait donc se poursuivre, sans que l’on sache très bien toutefois – faute d’un recensement des réfugiés sahraouis, auquel s’opposent l’Algérie et le Polisario – quel en est l’impact démographique exact dans les khaïmas de cette république virtuelle, ni si ces départs sont ou non compensés par l’introduction de non-Sahraouis : Touaregs, réfugiés économiques sahéliens, Mauritaniens…
Reste que le Maroc serait bien inspiré de ne pas compter uniquement sur le tarissement progressif de la source pour résoudre ce problème. Si le référendum d’autodétermination, avec des électeurs qui votent ainsi avec leurs pieds, est devenu sans objet pour la plupart des ralliés, ces derniers regagnent le royaume avec, en tête, une revendication précise qui rejoint celle de leurs frères et sœurs demeurés sous administration marocaine : l’autonomie du territoire. Le roi l’a proposée. À lui maintenant de lui donner, dès que possible, un vrai contenu et à ses collaborateurs chargés du dossier de ne pas se tromper sur la représentativité réelle des cadres sahraouis. « Faute de quoi, confie un rallié de fraîche date, ce sont toutes les tribus, y compris celles traditionnellement favorables au Makhzen, qui s’estimeront flouées, pour le plus grand profit du Polisario. »
* La thèse d’une éventuelle « cinquième colonne » du Polisario à l’intérieur du Sahara marocain a de toute manière perdu de sa pertinence dans la mesure où l’expression de personnalités indépendantistes comme Aminatou Haidar y est désormais tolérée. Par ailleurs, le parti marocain d’extrême gauche La Voie démocratique continue d’exiger la tenue d’un référendum d’autodétermination dans le territoire sans être pour cela inquiété.
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