Retour de la BAD : Abidjan devra patienter

Ardemment souhaité par les Ivoiriens, le retour de la Banque africaine de développement à son siège officiel d’Abidjan n’est pas (encore) à l’ordre du jour. En attendant, l’institution que préside Donald Kaberuka se porte bien, merci…

Au Palais des congrès d’Abidjan, le 27 mai. © AFDB

Au Palais des congrès d’Abidjan, le 27 mai. © AFDB

Publié le 3 juin 2010 Lecture : 4 minutes.

Tout comme la pluie en cette saison tropicale humide, les craintes qui planaient sur la sécurité se sont dissipées, et les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) et du Fonds africain de développement (FAD) ont pu se tenir dans un climat serein, les 27 et 28 mai.

« Abidjan a fait sa toilette des grands jours. Vous êtes ici chez vous », a lancé Laurent Gbagbo aux 2 500 délégués venus participer aux travaux des assemblées statutaires ainsi qu’aux multiples séminaires organisés en marge. Mais son espoir de voir la BAD revenir rapidement à son siège officiel à Abidjan s’est tout aussi vite évaporé dans le ciel bleu qui surplombe la lagune Ébrié.

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« La Côte d’Ivoire était tombée dans une crise dans laquelle elle n’aurait pas dû tomber. Aujourd’hui, l’heure n’est pas à la polémique. Le temps est venu, pour la BAD, de revenir dans sa maison », a poursuivi le président ivoirien, en soulignant que le départ de la banque pour Tunis, en février 2003, après trente-huit ans passés à Abidjan, n’était que la « fugue d’une fille adoptive, pas une séparation définitive ». Et de lancer, à l’adresse d’une salle largement acquise à sa cause (près de quatre cents invités ivoiriens) : « Faites-nous confiance. La crise est derrière nous. La Côte d’Ivoire n’a pas sombré. Ce qui unit les fils et les filles de ce pays est plus fort que ce qui pourra les opposer. »

Mais après un discours enflammé de vingt-trois minutes, le visage de Laurent Gbagbo s’est crispé. Il a été déçu d’entendre Donald Kaberuka, le président de la BAD, lui rappeler que l’équipe et les actionnaires de l’institution attendent que « le peuple ivoirien trouve une paix durable avant de regagner leur siège, dans le quartier des affaires du Plateau ».

Peur et précipitation

En effet, la banque ne ressemble plus à celle qui dut, dans la peur et la précipitation, quitter ses bureaux en quelques semaines, entre la fin de 2002 et le début de 2003. Les deux tiers de son personnel (qui a doublé depuis, pour passer à près de 2 000 salariés) sont nouveaux et n’ont jamais connu la capitale économique ivoirienne. Il faudrait aujourd’hui offrir à toutes ces familles des logements et des prestations (en matière d’éducation, de santé, de sécurité, de transports…) de standing international, dignes de la nouvelle dimension de la banque, dont la stature et les rémunérations sont désormais proches de celles des autres banques multilatérales de développement. Le risque est grand de la voir perdre une bonne partie de son personnel – et le plus qualifié – en cas de déménagement précipité à Abidjan.

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Les gouverneurs représentants des 77 États actionnaires de la banque (53 africains et 24 européens, américains et asiatiques) ont appuyé les propos prudents de Donald Kaberuka. Comme ils l’ont fait systématiquement depuis 2003, ils ont reporté de douze mois leur décision sur ce retour qui hante les esprits en Côte d’Ivoire et attise la convoitise des affairistes.

Certes, selon le texte de leur résolution (confidentielle), les gouverneurs ont pris note des progrès accomplis sur le plan politique et en matière de sécurité ; leur décision d’organiser les assemblées de 2010 à Abidjan en témoigne. Toutefois, après l’examen des rapports semestriels sur le terrain, ils estiment que « la situation dans le pays n’est pas encore propice à un retour immédiat au siège ». Elle sera donc réexaminée lors des prochaines assemblées, qui se tiendront à Lisbonne, au Portugal, les 9 et 10 juin 2011.

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Détendant un peu l’atmosphère, le président malien, Amadou Toumani Touré, l’un des trois chefs d’État – avec le Béninois Yayi Boni et le Togolais Faure Gnassingbé – qui avait accepté l’invitation de son homologue ivoirien, a pris la parole pendant sept minutes. Le temps de mettre du baume au cœur de son hôte et de recentrer les débats sur le bilan de la banque. « Laurent Gbagbo était obligé de m’inviter pour bien des raisons. Et j’étais obligé de venir pour bien des raisons aussi », a-t-il déclaré dans un grand éclat de rire à l’adresse de son voisin. Puis, se tournant vers Donald Kaberuka : « Pour aller de Bamako à mon village, autrefois, je mettais deux semaines. Aujourd’hui, je mets seulement quatre heures et demie, grâce à la construction d’une route financée par la BAD. M. Kaberuka, vous avez trouvé une bonne banque en 2005 et vous en avez fait une bien meilleure en 2010 ! » Tonnerre d’applaudissements. Et retour aux actions concrètes.

Triplement de capital

Pour le président de la banque, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le montant des opérations annuelles est passé de 5,5 milliards de dollars en 2008 à 12,6 milliards en 2009. Depuis 2005, la BAD a doublé ses activités (+ 100 %), alors que ses effectifs ne croissaient que de 50 %. Ses bénéfices, qui se sont élevés à 346 millions de dollars en 2009, sont redistribués aux pays les plus pauvres sous forme de dons. « Aujourd’hui, nos finances sont solides, nos opérations sont ciblées et efficaces, a-t-il déclaré. Notre institution est devenue rigoureuse et proactive. Elle est désormais la voix de l’Afrique sur la scène financière internationale. Une voix crédible et respectée. Mais si nous sommes forts, c’est aussi grâce au soutien de nos actionnaires, qui ont unanimement accepté, le 27 mai, de tripler le capital de la banque, en le faisant passer de 33 milliards à 100 milliards de dollars. »

Dans l’après-midi du 27 mai, personne n’a été surpris de voir une salle comble acclamer et reconduire le « capitaine du vaisseau amiral africain » à la tête de la banque pour un second mandat de cinq ans. Élu après sept tours de scrutin en 2005, l’ancien ministre rwandais des Finances, 58 ans, promet de doubler encore, d’ici à 2015, le volume des prêts de la banque. « The best is yet to come » (« le meilleur est à venir »), a-t-il lancé à ses électeurs et à une équipe ravie de voir son travail ainsi reconnu. « En toute humilité, je dédie ma victoire à mon personnel. »

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