Dans la peau de Villepin

Un album sur la vie quotidienne derrière les hautes grilles du ministère français des Affaires étrangères entre 2002 et 2004, il fallait oser. Le dessinateur Christophe Blain et le mystérieux Abel Lanzac l’ont fait. Et c’est à mourir de rire !

« Quai d’Orsay, Chroniques diplomatiques », de Blain et Lanzac. © Éd. Dargaud

« Quai d’Orsay, Chroniques diplomatiques », de Blain et Lanzac. © Éd. Dargaud

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 30 mai 2010 Lecture : 3 minutes.

Que se passe-t-il dans l’arrière-cuisine du pouvoir ? Et plus particulièrement au Quai d’Orsay, où se mitonne la politique étrangère de la France ? Presque par effraction, le dessinateur de BD Christophe Blain (Le Réducteur de vitesse, Isaac le pirate) s’est introduit au ministère à l’époque où Dominique Galouzeau de Villepin y officiait (2002-2004). Il en a rapporté un album tout à fait crédible, parfois risible, souvent hilarant.

L’idée de Quai d’Orsay, Chroniques diplomatiques (tome 1) est en fait née de la rencontre entre Christophe Blain et un informateur particulier, un certain « Abel Lanzac », auteur qui fut chargé des « langages » aux Affaires étrangères. « Il m’a raconté son histoire avec tant de brio, il m’a fait tellement marrer que j’ai eu envie de faire une BD avec lui », explique Blain. De Lanzac, on ne saura rien : il serait en « phase d’écriture » et tiendrait à préserver sa liberté de ton en évitant de rencontrer la presse…

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Il faut dire que le personnage principal de l’album, parfois cité comme candidat potentiel à l’élection présidentielle française de 2012, est plutôt du genre à chercher – et à attirer – la lumière des projecteurs. Décrivons-le tel que nous le montrent les auteurs. Il s’appelle Alexandre Taillard de Vorms, il est grand, beau, carré des épaules et ministre. Il a des amis poètes, aime citer les grands auteurs – en particulier Héraclite – et se lance souvent dans de grandes envolées lyriques. Il rend fous les membres de son cabinet avec ses exigences à géométrie variable et ses idées tous azimuts. Ses grandes mains s’agitent en tous sens ; il est constamment dans le mouvement. « J’ai le sentiment que dans l’exercice du pouvoir il faut brasser de l’air. Mais c’est aussi une caractéristique du personnage : il est dans l’envolée lyrique », confie Blain. Lors d’un entretien accordé au magazine spécialisé Casemate, Dominique de Villepin s’est reconnu dans ce romantique d’un autre siècle qui « stabilosse » les passages des livres qu’il juge importants. Dans un autre entretien, accordé cette fois à l’hebdomadaire français Marianne, le meilleur ennemi de Nicolas Sarkozy semble avoir particulièrement apprécié le dynamisme du trait : « Ce que je préfère dans l’album, ce sont les VLON ! de la porte qui claque quand j’arrive, le corps élastique… C’est la diplomatie courant d’air. J’ai tellement cru qu’on pouvait la renouveler. Rompre avec la diplomatie de colin froid […]

Que Villepin apprécie Quai d’Orsay ne doit pas surprendre : l’album n’est pas un pamphlet politique, et Taillard de Vorms n’est pas une caricature de celui qui se prononça à l’ONU contre la guerre en Irak. Même si l’humour est constamment au rendez-vous, Lanzac et Blain proposent plutôt une immersion dans les coulisses de la politique. Derrière les immenses grilles du Quai, entre les moulures dorées, des personnages s’agitent, intriguent, s’affrontent pour offrir au ministre les mots qu’il faut quand il doit se prononcer sur « la crise au Lousdem » ou les « manifestations en Oubanga ».â

À ce titre, l’intervention de Taillard de Vorms en Afrique, et plus précisément à Oscarville où « avec le jeu des ethnies, les Banshis contre les Tanas, le conflit peut s’étendre », donne lieu à un monologue désopilant. « L’art de la diplomatie aujourd’hui, c’est pas de rester derrière son fauteuil, déclare de Vorms avec emphase avant de s’envoler pour l’Oubanga. Il faut être en mouvement. Il ne faut pas avoir peur de la flamme. Je vais dans la flamme. Je deviens la flamme. » Et tandis que le ministre superhéros s’adresse aux manifestants oubangais, c’est le directeur de cabinet – visage semblable à une motte de beurre fondue – qui gère la crise depuis Paris en appelant au téléphone les dirigeants du Zambara, du Barouna, du Kerouana… L’opposition entre ces deux hommes est l’un des ressorts les plus puissants de l’album. Christophe Blain, qui dit ne pas s’être documenté sur Villepin, confie : « Le directeur de cabinet et le ministre ont des personnages diamétralement opposés. Quand ils sont ensemble, c’est un véritable ballet.â »

Quels que soient les commentaires qui accompagneront la sortie de ce premier tome, Blain est déterminé à « rester un électron libre » et, surtout, à conduire Alexandre Taillard de Vorms jusqu’au discours historique prononcé aux Nations unies, contre la guerre au Lousdem. D’ailleurs, Vorms y travaille d’arrache-pied : « Vous voulez ma mort ou quoi ?! Il marche pas, ce stabilo. […] Il peluche. Il y a une crise au Liban, une crise au Lousdem qui risque de virer à la guerre mondiale… Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec un stabilo pourri ?! »

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