Entreprises sous tension

Alors que les regards des investisseurs du monde entier se tournent vers le continent et son potentiel de croissance alléchant, les groupes français marquent le pas ou abandonnent du terrain. État des lieux.

Reféction d’une route à Lomé par l’entreprise Colas, filiale de Bouygues. © Vincent Fournier pour J.A.

Reféction d’une route à Lomé par l’entreprise Colas, filiale de Bouygues. © Vincent Fournier pour J.A.

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© Vincent Fournier pour JA ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 4 juin 2010 Lecture : 6 minutes.

Les entreprises françaises résistent-elles à la forte poussée en Afrique de la Chine, de l’Inde ou du Brésil ? En apparence, oui. En 2009, le continent a représenté 18 % des exportations et 13 % des importations françaises. En Algérie, au Maroc et en Tunisie, plus de 50 000 entreprises ont concrétisé 9 % des exportations françaises l’an dernier. Pendant que Lacoste, Celio, Carré Blanc, Guy Degrenne ou Sergent Major ouvraient des boutiques à Alger, le groupe d’aéronautique et de défense Safran se renforçait à Tunis. Rien qu’au Maghreb, les investissements tricolores sont passés de 2 à 5 milliards d’euros entre 2008 et 2009 grâce à Total, Renault, GDF Suez ou Vivendi.

Au sud du Sahara, la part de marché moyenne de la France est de 8 % (4 % au plan mondial) et dépasse les 15 % dans la zone CFA. Nigeria, Côte d’Ivoire, Congo, Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon et Sénégal monopolisent 85 % des échanges de la France avec les 18 pays côtiers, de la Mauritanie à la RD Congo. Les patrons soulignent les incursions de Total ou d’Areva au Nigeria, en Namibie, en RD Congo ou en Afrique du Sud.

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Soit, mais le nombre d’exportateurs français en Afrique a chuté de 3,6 % en 2009. Dans les mines, Areva et Eramet sont bien seuls pour défendre les couleurs françaises. Au Niger et en RD Congo, China National Uranium Corp. concurrence frontalement Areva pour la maîtrise de l’uranium. Et si les entreprises font face dans les télécoms, l’énergie ou le transport maritime, l’absence de relève à Total, Areva, Vinci ou Bolloré est une autre source d’inquiétude. « Les entreprises françaises auraient tout intérêt à réinvestir en Afrique », conseille Luc Rigouzzo, directeur général de Proparco.

Infrastructures

Des chantiers dans 35 pays africains : le rouleau compresseur chinois fait des ravages. Partout en Afrique subsaharienne, les Français se heurtent aux groupes chinois qui bénéficient des dispositifs d’échange d’infrastructures financés par Pékin contre l’exploitation des matières premières. Avec des contrats de 3,2 milliards de dollars depuis 2001, les Français demeurent en tête des pays occidentaux, même si leur part de marché a fondu de moitié (13 %). Les Vinci, Bouygues, Eiffage, Razel et leurs filiales (Colas, Sogea Satom…) s’accrochent. En témoigne la seconde tranche du port de Tanger Med gagnée par Bouygues en février pour 650 millions d’euros. En Afrique subsaharienne, les Français du BTP se limitent désormais à la construction, jugeant l’exploitation trop risquée (autoroute Dakar-Diamniadio d’Eiffage). Aujourd’hui, les plus grands succès se concrétisent dans les équipements et les matériels de transports publics. Alstom a raflé de nombreux contrats (tramways d’Oran, Tunis…), s’alliant parfois à Bouygues, les deux entraînant des entreprises dans leur sillage : Systra (ingénierie ferroviaire), Colas et SNCF International.

Énergie

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À la montée en puissance de la Chine (le groupe CSCEC vient de décrocher un contrat de 23 milliards de dollars pour construire trois raffineries et un complexe pétrochimique au Nigeria) s’ajoute celle des compagnies pétrolières nationales (Sonangol) et des juniors anglo-saxonnes Tullow Oil, Heritage ou Anadarko. Dans ce contexte tendu, les Français tirent encore leur épingle du jeu. En Angola, Total a annoncé de nouvelles découvertes en 2009 et augmentera sa production de 200 000 barils par jour à partir de 2011. De son côté, Maurel & Prom, qui annonce un chiffre d’affaires de 48,9 millions d’euros (+ 79 %) au premier trimestre 2010, profite de ses champs au Gabon et au Nigeria. En Algérie, GDF Suez a lancé en 2009 les travaux pour la production du champ gazier de Touat pour plus de 1 milliard d’euros. Le groupe a aussi remporté pour 340 millions d’euros un appel d’offres pour la création en concession de la centrale éolienne de Tarfaya (Maroc). Un secteur des énergies renouvelables très disputé (Espagnols, Allemands), où les Français ont une carte à jouer.

Télécoms

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Avec 21 implantations africaines, France Télécom (FT) et son rival Vivendi, via sa filiale Maroc Télécom (MT) détenue à 53 %, sont dans le top 10 africain. FT, sous sa marque Orange, est en cinquième position, suivi de MT, avec respectivement 38,6 millions et 19,6 millions d’abonnés à la fin de 2009. Mêmes places en termes de chiffre d’affaires, avec 4,3 milliards de dollars en Afrique pour FT et 3,8 milliards pour MT. Ils sont devancés par MTN (14 milliards de dollars), Zain Afrique (racheté en mars 2010 par l’indien Bharti), Vodacom et Orascom Telecom. Depuis quatre ans, FT surfe sur une croissance de 21 % de ses revenus et de 39 % de ses abonnés. Les deux groupes privilégient une stratégie de croissance externe avec les opérateurs historiques pour cible, comme Sotelma repris en 2009 par le franco-marocain. Mais pour rester dans la course, ils doivent absolument croître sur des gros marchés. Avec un résultat mitigé, FT s’implante en Afrique anglophone (Ouganda, Kenya) depuis 2008. Et sa prise de contrôle récente de l’égyptien MobiNil lui apporte 25 millions d’abonnés supplémentaires.

Banques

Les banques françaises, autrefois incontournables en Afrique subsaharienne francophone, délaissent la zone au profit des concurrents locaux nigérians (UBA), marocains (Attijariwafa Bank) et panafricains (Ecobank). « Les Français resteront présents, mais sur certaines niches, comme l’activité “corporate” », analyse Alain Le Noir, directeur général de l’association Finances sans frontières. Ce repli est la conséquence d’un intérêt accru pour le Maghreb, devenu une zone stratégique pour les groupes français notamment du fait de l’importance des flux financiers entre l’Hexagone et cette région (en 2008, 7,5 milliards d’euros de transferts de fonds). Ainsi, en contrepartie de la cession de ses cinq filiales subsahariennes à Attijariwafa Bank en 2008 pour 250 millions d’euros, le Crédit agricole a repris 24 % de Crédit du Maroc et 15 % de Wafasalaf (crédit à la consommation). En 2009, le groupe Crédit Mutuel-CIC a porté sa participation dans BMCE, deuxième groupe bancaire marocain, de 20 % à 25 % pour 200 millions d’euros. De son côté, la Société générale a ouvert 70 nouvelles agences en Algérie l’an passé.

Automobile

En Algérie, le groupe Renault est leader pour la troisième année consécutive grâce à ses modèles low cost. La marque au losange devrait y ouvrir une usine avec la SNVI pour contourner les lourdes taxes à l’importation. Même succès au Maroc, avec 14 200 Logan écoulées en 2009. Renault veut continuer sur sa lancée. Sa nouvelle usine de Tanger produira 170 000 véhicules par an à partir de 2012. Moins heureux, Peugeot attend la sortie de son premier modèle low cost vers la fin de 2011 pour reconquérir les parts de marché abandonnées aux coréens Hyundai et Kia et au chinois Chery. En Afrique subsaharienne, la situation est plus difficile pour les Français. Peugeot a vendu seulement 2 000 véhicules neufs au sud du Sahara (hors Nigeria) l’an passé, submergé par les véhicules japonais, coréens puis chinois. « Nos clients nous reprochent de faire des voitures européennes. Le mot d’ordre est donc la robustesse et la simplicité », explique Antoine Bouzinac, chef de projet de la marque. C’est la réponse que vient de donner le groupe Renault­ avec son nouveau 4 x 4 Duster.

Transport maritime

C’est l’un des secteurs dans lesquels les Français résistent le mieux à la concurrence internationale, notamment asiatique. Après son cuisant revers en 2007 face à DP World pour la concession du port de Dakar, Bolloré a pris pied à Pointe-Noire (Congo) en 2008, au Togo et au Bénin en 2009. Déjà bien implanté en Afrique francophone, le groupe se positionne sur la corne du continent pour profiter de la forte croissance des flux commerciaux entre l’Afrique et l’Asie. Bolloré Logistic serait prêt à investir 500 millions d’euros dans le port de Berbera, dans le nord de la Somalie, pour ouvrir un nouveau corridor d’approvisionnement pour l’Éthiopie. Autre acteur incontournable : CMA CGM. En phase de redressement, le numéro trois mondial mise sur l’Afrique et sa filiale Delmas pour renouer avec une forte croissance. CMA CGM doit construire pour 2013 un port en eau profonde sur l’île de São Tomé pour 438 millions d’euros.

Grande distribution

Impossible de recenser le nombre exact de Leader Price, de Géant ou de Monoprix (groupe Casino), de Jumbo (Auchan), de Champion (Carrefour), etc., qui ont essaimé sur le continent, même si la grande distribution y est encore balbutiante. Seule certitude : leur développement s’y fait toujours avec l’appui d’un partenaire local, à l’instar de Casino qui recourt au système de la franchise. Ce dernier compte 13 hyper et supermarchés en Afrique subsaharienne, où il s’est allié aux groupes Mercure et Coubèche (Djibouti). En Tunisie, les 71 Monoprix ont été installés en partenariat avec Mabrouk. Mais tout n’est pas un long fleuve tranquille. Auchan a quitté le Maroc en 2007, après sept années de joint-venture avec l’ONA, en raison de divergences stratégiques. Pour Carrefour, présent en Tunisie et en Égypte mais qui a échoué en Afrique du Sud et en Algérie, l’arrivée au Maroc a payé : deux hypermarchés Label’Vie ont ouvert depuis février 2009. Si la concurrence est plutôt éclatée et locale, les distributeurs sud-africains (Woolworth, ShopRite, Spar ou Pick’n Pay) ont des visées continentales et se révéleront de sérieux compétiteurs à l’avenir.

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